8 janvier 2014

Rio+20 : Le discours de José Mujica


Conférence des Nations unies sur le développement durable 2012: traduction du discours de Pepe Mujica à Rio+20


Le discours de Pepe Mujica à Rio+20 (Source)

José Mujica, le président de l’Uruguay, lors du sommet à Rio +20 a émis « des vérités brutales » devant un auditoire de chefs d’état médusés. C’est pourquoi, quelques jours seulement après son discours la presse et les médias internationaux commencent à réaliser que ce que le président uruguayen a partagé est plus qu’un simple discours.


« Autorités présentes, de toutes les latitudes et organismes, je vous remercie beaucoup. Merci beaucoup au peuple du Brésil et à son président, Dilma Rousseff. Et merci beaucoup pour l’honnêteté dont ont fait preuve tous les orateurs précédents.

En tant que gouvernants nous tenons à exprimer notre volonté de soutenir tous les accords dans les quels notre pauvre humanité pourra s’engager.

Cependant, nous saisissons cette occasion pour nous poser quelques questions à haute voix. Tout l’après-midi, nous avons débattu du développement durable et du sauvetage des masses humaines de la pauvreté. Mais qu’avons-nous à l’esprit? Ce modèle de développement et de consommation? Celui qui règne dans les sociétés riches actuelles?

Je me pose cette question : que deviendrait la planète si les hindous avaient le même nombre de voitures par famille que les allemands ? Combien d’oxygène nous resterait-il pour pouvoir respirer ?

Notamment, est-ce que le monde a les ressources nécessaires pour permettre que 7 ou 8 milliards de personnes bénéficient du même niveau de consommation et de gaspillage que celui des sociétés les plus riches d’occident? Cela serait-il possible?!

Ou devrions-nous, un jour, focaliser notre attention sur un autre type de discussion?

Parce-que nous avons créé cette civilisation, dans laquelle nous vivons aujourd'hui : nous sommes les enfants du marché, les enfants de la compétitivité, et cette civilisation a engendré un progrès matériel prodigieux et explosif ! Mais cette économie de marché a fini par créer des « sociétés de marché ». Et cela nous a conduit jusqu’à cette mondialisation dont les conséquences atteignent la planète entière.

Mais gouvernons-nous cette mondialisation ? Ou bien est-elle qui nous gouverne?!

Est-il possible de parler de solidarité et de «vivre tous ensemble» dans une économie fondée sur la concurrence impitoyable? Jusqu'où peut aller notre fraternité?

Je ne dis pas tout cela pour nier l'importance de cet événement. Au contraire : le défi que nous devons relever est énorme et la grande crise que nous vivons n'est pas juste environnemental, elle est surtout politique.

L'homme ne maitrise pas les forces qu’il a déchaînées, mais aujourd’hui ce sont ces forces qui gouvernent sur les hommes et ses vies.

Nous ne venons pas au monde juste pour nous développer, juste comme ça, sans discernement. Nous venons au monde pour être heureux. Parce que la vie est courte et que le temps nous file entre les doigts. Et aucun bien ne peut être si important que la Vie : ceci est une évidence…

Mais nous passons notre vie à travailler et travailler encore, pour pouvoir consommer «plus». Et notre société de consommation est le moteur de cette mécanique impitoyable. Parce que, enfin, si la consommation est paralysée, l'économie s'arrête, et si l'économie s'arrête, la peur de la régression s’installe en chacun de nous. Mais c'est justement cette hyper- consommation qui est en train de violenter notre planète.

Ce modèle d’hyper consommation a besoin de produits qui durent peu de temps, des produits avec une vie éphémère, puisque il faut vendre un lot, il faut vendre beaucoup. Alors une ampoule électrique ne peut pas durer plus de 1000 heures. Bien sûr qu’il existe des ampoules qui peuvent durer 100,000 heures! Mais celles-ci, -non ! - on ne doit pas les fabriquer puisque le patron c’est le marché. Parce- que nous devons aussi créer du travail et nous devons entretenir notre civilisation du « jetable » ; nous nous retrouvons ainsi dans un cercle vicieux.

Ce sont des questions notamment politiques qui nous alertent sur l’urgence de combat. Il nous faut inventer une autre culture !

Il ne s’agit pas de retourner à l'époque de l'homme des cavernes, ou de faire de l’apologie du passé.

Mais nous ne pouvons pas continuer indéfiniment à vivre selon les caprices du marché. Nous devons gouverner le marché. Nous sommes donc confrontés à un défi de nature politique.

Les grands philosophes de l’antiquité, Épicure, Sénèque, mais aussi les indiens Aymara affirment : «les pauvres ne sont pas ceux qui ont peu, les pauvres sont ceux qui ont besoin d’infiniment beaucoup et qui désirent toujours plus »

Il s'agit d'une question de nature culturelle.

Je salue les efforts et les accords en cours. Et je vais les soutenir, en tant que dirigeant. Je sais que je dis des choses qui peuvent en gêner certains. Mais nous devons prendre conscience que la crise de l'eau et l'agression de l'environnement ne sont pas les causes principales de cette triste réalité. Non, la cause principale c’est le modèle de civilisation que nous avons conçu. Nous devrons donc remettre en cause notre mode de vie.

J'appartiens à un petit pays bien pourvu en ressources naturelles qui permettent de mener une vie plus que correcte. Nous sommes un peu plus de 3 millions d’habitants. Nous avons environ 13 millions de vaches parmi les meilleurs au monde, nous avons aussi environ 8 ou 10 millions de moutons magnifiques. Mon pays est exportateur de produits alimentaires, de produits laitiers et de viande. Il s'agit d'une presque plaine et près de 90% de son territoire est utilisable. Mes collègues travailleurs se sont battus pour n’avoir que 8 heures de travail. Et maintenant ils revendiquent les 6 heures. Mais celui qui obtiendra six heures va chercher deux emplois, il va donc travailler plus qu’avant !

Mais pourquoi?

Parce qu’il doit payer un certain nombre de choses : le vélo, la voiture qu’il a acheté et toujours les petites mensualités à rembourser, et quand il se rendra compte de cette aberration il sera devenu un vieil homme qui est passé à côté de l’essentiel.

Et l'on se pose alors LA question: est-ce le sort de la vie humaine?

Juste consommer?

Ce sont des choses très élémentaires: le développement ne peut pas aller à l’encontre de notre épanouissement.

En effet, quand nous nous battons pour l'environnement, nous devons toujours avoir à l’esprit que la base de notre développement se nomme « le Bonheur humain » :

L’amour de la terre, les relations humaines, prendre soin de ses enfants, de ses amis. Et avoir bien entendu le minimum vital.

Précisément parce que le Bonheur est le trésor le plus précieux que nous ayons, et l’un des piliers de notre bien-être.

Merci »

José Mujica, lors de la Conférence des Nations unies sur le développement durable 2012, Rio+20, juin 2012
  

 

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