Quand fifille tue opportunément le père

De fait, tout au long de son petit opuscule, François Ruffin passe au crible “quarante ans de discours économique du Front national” et démontre le virage à quasiment 180 degrés — reste tout de même l’épouvantail immigration, faut pas déconner ! — opéré par la fille Le Pen par rapport au père :
  • fifille en appelle à rebâtir l’État, pire à restaurer les services publics, quand papa, en pleine reaganomanie anticommuniste, n’avait de cesse de dénoncer « l’étatisme économique » de ces feignasses de fonctionnaires ;

  • fifille veut en finir avec « l’Europe de Bruxelles », quand papa réclamait de ses vœux plus d’« Europe politique » pour contenir les barbares étrangers aux portes de l’Occident civilisé ;

  • fifille entend relocaliser le travail et l’économie « grâce au protectionnisme social et territorial », prétend même lutter contre la précarité, quand papa s’évanouissait d’indignation à la moindre évocation d’une régulation sociale ;

  • fifille s’en prend aux marchés financiers et aux milliardaires-voyous, quand papa et ses potes plaignaient ces « pauvres actionnaire » tracassés par une administration socialo-bolchévique. 

Le discours de gauche a le vent en poupe… mais la gauche ne le sait pas

Mais… eh non, “fifille” n’est pas un cryptonyme de Mélenchon. Le FN n’a pas lancé une OPA sur le NPA de Besancenot. Marine Le Pen a juste phagocyté opportunément les thèmes habituels de la gauche. Parce que, eh oui, c’est le discours de gauche qui a le vent en poupe en ce moment dans le pays.
Et ce n’est pas la gauche qui parle comme le FN, mais bien l’inverse. La vraie gauche, me direz-vous, devrait s’en féliciter ? Ben non, la pauvrette s’en émeut, fait des complexes, aidée en cela par la fausse gauche qui n’en demandait pas tant pour exploiter tant de candides scrupules.
Car il n’y a que les gogos pour penser que fifille, recyclée pour l’occasion en Jeanne d’Arc d’une vague cause ouvrière, est plus crédible que l’aspirant-président Hollande se déclarant adversaire résolu de la finance internationale.
Peu de chance que les électeurs compulsifs du FN se ravisent en lisant le très éclairant ouvrage de François Ruffin (conclu par un entretien décoiffant avec Emmanuel Todd). Mais le texte constituerait à coup sûr une très bonne thérapie pour les partisans moralement déboussolés de la (vraie) gauche.