16 avril 2009

Mona Chollet : « Le triomphe de Sarkozy résulte d’une manipulation à grande échelle des imaginaires. »

Car c’est un fait : les exhibitions de luxe et les impudeurs répétées de Sarkozy sont pour l’instant une arme politique dévastatrice, remarquablement adaptée à notre époque et à son salmigondis médiatique. En faisant rêver sur son ascension, en racontant de "belles histoires" à la sauce TF1 (l’ascension du petit hongrois parti de rien ; Rachida, Rama et Fadela sorties de l’enfer des banlieues à force de volonté), en rentabilisant chaque occasion de mise en scène, Sarkozy a gagné la bataille des imaginaires. Dans l’affaire, c’est aussi une vision du monde décomplexée, rollexisée et dominatrice, qui s’est installée à l’Élysée. Pour Article11, Mona Chollet revient sur ce processus.

Il y a quelques années, j’avais aussi écrit un article sur Erin Brockovich, un film que je vois comme très représentatif de la manière dont on fait rêver les masses avec la réussite d’un individu, réussite permettant d’oublier l’injustice politique qui reste la règle pour la majorité.
Et puis, plus j’avançais et plus me rendais compte de l’efficacité de cet imaginaire qui joue sur des ressorts très primaires de l’être humain. Les ficelles sont grossières : le besoin de reconnaissance personnelle doublé d’un contenu matérialiste. Ce besoin de reconnaissance n’est d’ailleurs pas incompatible avec un contenu positif, mais la gauche l’a abandonné depuis trop longtemps. Si bien que la France, faute de modèle alternatif, n’est pas à l’abri de devenir l’Italie.

Pour lPasolini, la télévision est une manière d’éradiquer complètement la culture propre des gens et de la remplacer par un imaginaire uniformisé et petit-bourgeois qui leur enlève toute estime d’eux-mêmes.

A partir du moment où des médias de masse propagent un univers de valeurs, de désirs et de rêves complètement aliénés, c’est évident que ça a une énorme influence sur les gens. On voit très bien cette idée d’espèce de confort industriel qui prend le pas sur tout, s’impose dans notre société via la pub et les médias. On rend désirable des choses secondaires, avec une forme de tyrannie du « neuf », du « dernier cri » : il faut donner l’impression aux gens que ce qu’ils ont eux-mêmes est vieux, dépassé, démodé. Et qu’ils doivent acheter pour compenser. Sur la longueur, tout ce que les gens avaient comme culture propre, comme estime d’eux-mêmes, a été détruit, remplacé par la consommation. Désormais, la question est : comment reconstruire ça ?

C’est le même genre de personnage que Berlusconi : il invite à s’identifier à lui en tant qu’individu, pas en tant qu’incarnation de la nation. Il veut être vu comme un individu parmi d’autres auquel on pourrait s’identifier, comme quelqu’un de normal qui a réussi dans la vie.
Je pense même qu’il y a une espèce d’allergie à la politique chez Sarkozy, c’est très frappant. Il est incapable de passer au niveau supérieur, d’avoir une réflexion en surplomb, une réflexion politique. On voit bien comment il fonctionne : il y a un fait divers, il faut faire une loi. Il ne peut penser que dans le particulier, au coup par coup.

ceux qui essaient de revenir sur un terrain politique, de ne pas prendre les gens pour des imbéciles et de ne pas se comporter en vedettes du show-biz sont ringards (parce qu’il y a une vraie obsolescence dans la manière de faire de la politique) ou ringardisés par les critères médiatiques.

Le spectacle prend toute la place. On préfère donner en pâture l’espèce de richesse extravagante et de luxe d’une infime minorité plutôt que de proposer des conditions de vie décentes pour tout le monde, mais pas très spectaculaires. Un projet de société où les gens vivent modestement ne sera jamais mis en avant. Malgré tout, il faut signaler le retour d’un discours – encore modéré – prônant une certaine forme de frugalité. On voit ça par exemple dans la presse anglo-saxonne. Il y a un type aux États-Unis qui est devenu une star parce qu’il construit de minuscules maisons en bois de 15 m2. Sauf qu’à l’arrivée, ce genre de discours est aussi une manière d’éluder les inégalités, de dire aux gens : « Vous n’avez rien mais c’est très bien comme ça, et en plus c’est écolo, vous allez sauver la planète… »
Le nerf de la guerre, ce ne serait pas le fait que les inégalités croissantes sont de mieux en mieux acceptées ?
Oui. On parvient à ça en jouant sur deux ressorts. D’abord, on table sur le fait que les gens vont complètement s’oublier eux-mêmes dans le spectacle. Et puis on les culpabilise en disant : « Si vous n’êtes pas riches c’est de votre faute. »

Cet imaginaire peut-il tomber en disgrâce ? Dans ce cas, par quoi le remplacer ?

À un moment, ça ne fonctionnera certainement plus du tout. Mais alors : quel autre modèle de bonheur et de vie en commun proposer ? Il est à réinventer. On a des repoussoirs mais pas vraiment de propositions inverses. C’est quelque chose que j’ai découvert lors de l’écriture de ce livre : il était vraiment évident de pointer les différents composants de cet imaginaire qui s’est imposé en France, beaucoup moins de proposer un autre modèle.
En outre, très peu de gens peuvent véritablement se revendiquer comme hors de portée de cet imaginaire. On est tous contaminés, au moins un peu. Et la nouvelle génération politique est nourrie de ça, transporte ce modèle avec elle.

il y a une très forte conscience de classe chez les plus riches et qu’elle a été totalement détruite chez les plus pauvres. Il y a un énorme déséquilibre. Dans le miroir, les riches ont droit à un reflet ultra valorisant ; par contre, dans ce même miroir, les classes populaires ou moyennes ne voient plus rien, ou alors une sorte de reflet brouillé. On leur agite des modèles de réussite trompeurs qui débouchent sur la culpabilisation et l’oubli de leur identité. L’enjeu serait de retrouver des images plus valorisantes.

à l’époque, tous les grands créateurs étaient du côté du peuple. Il y avait une effervescence politique autour des ouvriers qui englobait des œuvres culturelles très valorisantes. Les prolétaires étaient des héros, ils avaient une conscience très forte, une fierté, une solidarité.
Et j’ai l’impression qu’avec le temps on est passé de Jean Renoir aux Deschiens. Et qui a envie d’être un Deschien ?

certains auteurs contemporains qui affirment qu’on ne peut plus penser les choses uniquement au niveau politique, qu’il faut remonter au niveau anthropologique : repenser complètement des choses qui nous apparaissent évidentes, les rapports des individus entre eux, des individus à la nature. A ce sujet, des auteurs comme François Flahault ou Jacques Généreux (notamment dans « La dissociété », un livre très important) ont écrit des choses fondamentales. Pour eux, le libéralisme et la droite prospèrent sur des conceptions philosophiques, des visions du monde et de l’humain, qui sous-tendent toute notre modernité. La droite pousse ces conceptions à l’extrême, mais c’est un arrière-fond sociétal. Toute notre pensée moderne est conditionnée par ça, même à gauche, et c’est là qu’il faudrait reconstruire la pensée critique.

pour une lecture intégrale sur le site "articleXI" ==> http://tr.im/imaginaire_de_doite
merci à Pascal pour ce résumé

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