(mise au point sur trois schèmas identitaires)
Toute exacerbation idéologique de l’identité nationale dans une société dite civilisée est un glissement vers la barbarie, un terreau fertile au fascisme et au racisme. L’identité nationale exaltée contre autrui, est un accroc au principe d’ouverture à l’autre qui constitue l’un des caractères dominants de l’humanité, cette seule identité supérieure et universelle qui devrait s’imposer.
Je tiens à préciser dès l’abord du concept d’identité, que je n’évoquerai pas dans ce qui suit, l’identité génétique des espèces qu’étudie la phylogenèse ni celle encore génétique des individus des espèces, qui intéresse l’ontogenèse ; mais l’aspect humano-social et politique du sujet.
Pour parler de l’identité, il faut commencer par interroger le concept lui-même dans son sens sémantique. L’identité est ce qui permet de distinguer entre tous les différents et tous les ressemblants, tel être particulier à cause de ses caractéristiques spécifiques et uniques. Derrida nous dit dans l’Écriture et la Différence, de façon ludique mais assez claire : « l’identité, c’est ce qui diffère de la différence ». Pour moi, l’identité est l’inextensible marque emblématique du substratum d’un être pris en soi parmi tous. C’est donc l’altérité unique, c’est-à-dire l’unicité exclusive parmi toutes les altérités possibles. Il s’agit précisément de la dimension expressive et spécifique à l’être identifié.
Voici ma saisie définitionnelle du vocable d’identité, que je tiens à soutenir, et propose comme canevas d’exploration conceptuelle de l’identité collective au moment où l’identité nationale est brandie comme idéologie d’exclusion par des dirigeants d’État au début de ce troisième millénaire.
Au-delà des grandes querelles qui agitent la bannière théorique (philosophique, anthropologique) et pratique (politique) de l’identité comme mode d’être étatico-national, nous devons préciser ce qui suit, l’identité connaît trois grands schèmes de manifestation à l’échelle de la vie collective dans le contexte de ce qu’on appelle abusivement, vu l’irréalisme factuel du vocable, les États-Nations :
A) l’identité culturelle populaire.
B) l’identité culturelle nationale.
C) l’identité politico-étatique.
L’identité culturelle populaire est la composante la plus faible de l’identité des communautés. Il s’agit de cette part flexible et manipulable de l’identité. Elle est constituée des manières d’être dues à l’évolution scientifiques techniques, technologiques qui transforment constamment les aspects pratiques de la vie sociale, tels les moyens de communication (la téléphonie, l’Internet, la télévision interactive), la mode vestimentaire et ménagère (gadgets électroménagers), les formes du transport privé et public (voitures, trains à grande vitesse, métros), la perception du corps (l’obsession de la minceur, par exemple), les soucis écologiques, les droits individuels, le libéralisme sexuel, le féminisme, les droits des minorités, les droits des enfants, les droits des homosexuels, la condamnation formelle du racisme, bref, la démocratie par la liberté d’expression et le respect institutionnel des droits à la différence… Tout cela est désormais aujourd’hui d’expansion sinon planétaire, mais à tout le moins, dans la grande majorité des pays, et ne peut souffrir de répression au moins au niveau des discours officiels, des chartes onusiennes et des revendications juridico-légales nationales et internationales. Les peuples, quoique souvent hypocritement au niveau de leurs plus petits ressortissants, exigent ces acquis et vivent selon eux. C’est la méga-culture populaire standardisée malgré les énormes différences entre les cultures nationales.
L’identité culturelle nationale est d’abord celle de la société, de ses composantes ethniques fondues dans l’histoire, c’est donc celle du rapport à soi de l’ensemble social malgré les particularités internes qui peuvent exister selon que la société soit multiethnique ou non. L’identité culturelle nationale donc, est l’espace de la manifestation de soi d’un peuple en tant que mégalithe social exprimant sa weltanschauung, ses rapports à soi et à autrui par-delà l’assumation différente de cette weltanschauung à l’intérieur des différentes classes sociales. Elle comporte donc le discours du sens de la société à travers les domaines de ce rapport à soi, à la nature et à autrui tel que susdit. Les langues, les mythes, les religions, les manières de penser et de réagir face aux inéluctables existentiels tels la naissance, la mort…, voire les éléments culinaires (malgré l’invasion du fast food ou des flocons de céréales en boîte), la relation entre les sexes etc… Cette face de la culture, la nationale donc, est de loin plus rigide, plus imperméable, et plus durable que la culture populaire extrêmement flexible parce que hypermédiatisée et influencée par la télévision et les autres médiums de communication de masse. Il faut remarquer que l’identité culturelle nationale est si fortement ancrée dans les sociétés que si dans un ensemble étatico-national multiethnique, telle société ou ethnie est trop différente, elle finit par déboucher sur le sécessionnisme, l’indépendantisme voire le nationalisme qui peut aller à la friction politique dans les meilleurs cas (Québec-Canada) mais parfois jusqu’au bellicisme ou au « terrorisme » (Pays Basque-Espagne).
L’identité étatico-nationale est celle politique et juridico-légale que les élites, les gouvernants impriment à l’État. D’abord, elle passe par la Constitution. L’État y dit clairement s’il est une monarchie ou une république. Ensuite, elle est déterminée par la vocation que les politiques en cours donnent à l’État. L’orientation économique, l’organisation de la société, les manières de définir sa diplomatie, voilà l’effigie de cette identité complexe que l’État détermine. D’où elle peut facilement changer par une action d’éclat de l’élite dirigeante ou du peuple. Par exemple, la Russie, d’abord, monarchique sous les tsars Romanov pendant des siècles, est devenue en 1917 une république socialiste sous la houlette de Lénine, phare de la révolution marxiste et centralisatrice de ce qu’on a appelé la fameuse Union-Soviétique. Puis, la même Russie, tout en gardant le tracé républicain, s’est transformée - sous la trique de la perestroïka de Gorbatchev, et ensuite par la politique d’Eltsine - en une république capitaliste hors de l’union qui a éclaté.
Identité nationale, cannibalisme politique d’une idéologie anthropophage !
En considérant l’histoire, je ne peux m’empêcher que l’un des paramètres des plus potentiellement agressifs, soit celui de l’identité. Car l’identité a pour étendard la manipulation des mythes fondateurs et la manipulation des peuples par ces mythes selon le jeu des pervers qui, parfois, les dirigent. L’identité, cette différence de soi affirmée envers l’autrui, devient nettement idéologie contre autrui quand les déchets du racisme s’en emparent au nom de l’État et de la nation. Ce qui est en fait l’affirmation de soi et qui aurait dû être lieu de partage a servi d’alibi aux tyrans et aux dirigeants exaltés des nations pour livrer la guerre à de paisibles phratries, agresser, soumettre, tuer autrui pour sa différence inférieure et sale tout en dominant leur propre société programmée pour obéir, soutenir leur infamie de conquérant et leur privilège de chefs. L’identité comporte ce germe de l’excès et de l’indécence facilement exploitable par les oligarchies pour « légitimer » leur pouvoir acquérir l’appui de leurs peuples les considérant comme défenseurs de leur être collectif. Peuples fanatisés et au sentiment d’appartenance faux et excentrique qui enrichissent à l’extrême leurs oligarques bourreaux, allant jusqu’à tuer et à se faire tuer tout au long de cette réalité géo-temporelle qu’est l’histoire qui voit l’action marquer et transformer le temps et l’espace en enfantant les périodes, les progrès et les âges des sociétés des civilisations et du monde.
L’identité est donc cette forme d’absolu au nom duquel les masses se laissent utiliser par leurs élites et qui fait partir en guerre de conquête de domination contre les différents nécessairement inférieurs. C’est aussi cette référence totalitaire érigée en repères par les colons, les ethnocentristes, les sociocentristes, tous les racistes, les ostracistes, les persécuteurs d’immigrants - malgré l’exploitation coloniale puis impérialiste qui produit cette fracture Nord-Sud engendrant les flots d’immigrations - au nom de l’identité supérieure des pays qui les excluent selon le vœu des grands tenants identitaires au pouvoir.
Quand un imbécile d’un pays ex colonialiste, peut dire par pureté identitaire, que son pays est aux nationaux sous prétexte d’identité, il lui faudrait aussi par pureté morale et par dignité, déclarer la restitution de tous les biens volés et aussi le dédommagement pour toutes les vies et générations sacrifiées pour la gloire de son abominable et criminelle identité ethno-sociale et nationale à travers l’histoire d’agression et de misère jadis infligée aux pays et peuples colonisés, tout en arrêtant les horreurs aujourd’hui imposées sous forme de politiques par le Nord au Sud..
La décence des identités ne se fera que par l’abolition des crimes latents ou patents du nationalisme, de l’ethnocentrisme, du sociocentrisme et de toutes formes de centrismes agressifs. L’identité doit être ouverture à autrui ou elle n’est que haine de l’homme et crime potentiel contre l’humanité suspendu aux basques de l’imbécillité des bouffis du racisme.
Quand l’identité nationale réinvente l’histoire au service de son orgueil, évacuant ses propres bévues, elle n’est que l’hubris des sociétés qui en font une arme meurtrière contre l’altérité. Dans l’occurrence bête et infrahumaine de cette frénésie obsidionale voire paranoïaque de l’identité « pure » à préserver chez les pires néocolonialistes et impérialistes de notre temps, ceux-là même dont les ancêtres, criminels contre l’humanité, ont tout pillé ailleurs tout en tuant et asservissant, on peut traiter de guerre à l’humanité l’attitude des rois proclamateurs de l’identité nationale. La différence ethnique toujours inférieure et donc mauvaise et indigne, jadis transformée en malédiction et raison de colonisation et d’esclavagisation par les ordures de la supériorité raciale, redevient le péché originel dans l’essentialisme identitaire des hommes où le non blanc le non européen est coupable et naît condamné à vivre indignement et en sous-hommes dans la civilisation des ordures supérieures par la peau, la race et la nationalité.
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