Je m’appelle Patrick Mohr.
Je suis né le 18 septembre 1962 à Genève.
Je suis acteur, metteur en scène et auteur.
A Genève je dirige une compagnie, le théâtre Spirale, je co-dirige le
théâtre de la Parfumerie et m’occupe également du festival « De bouche à
oreille.
Dans le cadre de mes activités artistiques, je viens régulièrement au
festival d’Avignon pour y découvrir des spectacles du « in » et du « off
». Notre compagnie s’y est d’ailleurs produite à trois reprises. Cette
année, je suis arrivé dans la région depuis le 10 juillet et j’ai
assisté à de nombreux spectacles.
Le Lundi 21 juillet, je sors avec mon amie, ma fille et trois de ses
camarades d’une représentation d’une pièce très dure sur la guerre en
ex-Yougoslavie et nous prenons le frais à l’ombre du Palais des Papes,
en assistant avec plaisir à un spectacle donné par un couple d’acrobates.
A la fin de leur numéro, je m’avance pour mettre une pièce dans leur
chapeau lorsque j’entends le son d’un Djembé (tambour africain) derrière
moi. Etant passionné par la culture africaine. (J’y ai monté plusieurs
spectacles et ai eu l’occasion d’y faire des tournées.) Je m’apprête à
écouter les musiciens. Le percussionniste est rejoint par un joueur de
Kamele Ngoni. (Sorte de contrebasse surtout utilisée par les chasseurs
en Afrique de l’Ouest.)
A peine commencent-ils à jouer qu’un groupe de C.R.S se dirige vers eux
pour les interrompre et contrôler leur identité. Contrarié, je me décide
à intervenir. Ayant déjà subit des violences policières dans le même
type de circonstances il y a une vingtaine d’année à Paris, je me suis
adressé à eux avec calme et politesse. Le souvenir de ma précédente
mésaventure bien en tête. Mais je me suis dit que j’étais plus âgé, que
l’on se trouvait dans un haut lieu culturel et touristique, dans une
démocratie et que j’avais le droit de m’exprimer face à ce qui me
semblait une injustice. J’aborde donc un des C.R.S et lui demande :
« Pourquoi contrôler vous ces artistes en particulier et pas tous ceux
qui se trouvent sur la place? » Réponse immédiate.
« Ta gueule, mêle-toi de ce qui te regardes!
« Justement ça me regarde. Je trouve votre attitude discriminatoire. »
Regard incrédule. « Tes papiers ! »
« Je ne les ai pas sur moi, mais on peut aller les chercher dans la
voiture. »
« Mets-lui les menottes ! »
« Mais vous n’avez pas le droit de… »
Ces mots semblent avoir mis le feu aux poudres.
« Tu vas voir si on n’a pas le droit.»
Et brusquement la scène a dérapé.
Ils se sont jetés sur moi avec une sauvagerie inouïe. Mon amie, ma
fille, ses camarades et les curieux qui assistaient à la scène ont
reculé choqués alors qu’ils me projetaient au sol, me plaquaient la tête
contre les pavés, me tiraient de toutes leurs forces les bras en arrière
comme un poulet désarticulé et m’enfilaient des menottes. Les bras dans
le dos, ils m’ont relevé et m’ont jeté en avant en me retenant par la
chaîne. La menotte gauche m’a tordu le poignet et a pénétré profondément
mes chairs. J’ai hurlé :
« Vous n’avez pas le droit, arrêtez, vous me cassez le bras ! »
« Tu vas voir ce que tu vas voir espèce de tapette. Sur le dos ! Sur le
ventre ! Sur le dos je te dis, plus vite, arrête de gémir ! »
Et ils me frottent la tête contre les pavés me tordent et me frappent,
me traînent, me re-plaquent à terre.
La foule horrifiée s’écarte sur notre passage. Mon amie essaie de me
venir en aide et se fait violemment repousser. Des gens s’indignent,
sifflent, mais personne n’ose interrompre cette interpellation d’une
violence inouïe. Je suis traîné au sol et malmené jusqu’à leur
fourgonnette qui se trouve à la place de l’horloge 500 m . plus bas. Là.
Ils me jettent dans le véhicule, je tente de m’asseoir et le plus grand
de mes agresseurs (je ne peux pas les appeler autrement), me donne un
coup pour me faire tomber entre les sièges, face contre terre, il me
plaque un pied sur les côtes et l’autre sur la cheville il appuie de
tout son poids contre une barre de fer.
« S’il vous plait, n’appuyez pas comme ça, vous me coupez la circulation. »
« C’est pour ma sécurité. »
Et toute leur compagnie de rire de ce bon mot. Jusqu’au commissariat de
St Roch
Le trajet est court mais il me semble interminable. Tout mon corps est
meurtri, j’ai l’impression d’avoir le poignet brisé, les épaules
démises, je mange la poussière.
On m’extrait du fourgon toujours avec autant de délicatesse.
Je vous passe les détails de l’interrogatoire que j’ai subi dans un état
lamentable.
Je me souviens seulement du maquillage bleu sur les paupières de la
femme qui posait les questions.
« Vous êtes de quelle nationalité ? » « Suisse. »
« Vous êtes un sacré fouteur de merde »
« Vous n’avez pas le droit de m’insulter »
« C’est pas une insulte, la merde » (Petit rire.)
C’est fou comme la mémoire fonctionne bien quand on subit de pareilles
agressions.
Toutes les paroles, tout les détails de cette arrestation et de ma garde
à vue resterons gravés à vie dans mes souvenirs, comme la douleur des
coups subits dans ma chair.
Je remarque que l’on me vouvoie depuis que je ne suis plus entre les
griffes des CRS.
Mais la violence physique a seulement fait place au mépris et à une
forme d’inhumanité plus sournoise. Je demande que l’on m’ôte les
menottes qui m’ont douloureusement entaillé les poignets et que l’on
appelle un docteur. On me dit de cesser de pleurnicher et que j’aurais
mieux fait de réfléchir avant de faire un scandale. Je tente de
protester, on me coupe immédiatement la parole. Je comprends qu’ici on
ne peut pas s’exprimer librement. Ils font volontairement traîner avant
de m’enlever les menottes. Font semblant de ne pas trouver les clés. Je
ne sens plus ma main droite.
Fouille intégrale. On me retire ce que j’ai, bref inventaire, le tout
est mis dans une petite boîte.
« Enlevez vos vêtements ! » J’ai tellement mal que je n’y arrive presque
pas.
« Dépêchez-vous, on n'a pas que ça à faire. La boucle d’oreille ! »
J’essaye de l’ôter sans y parvenir.
« Je ne l’ai pas enlevée depuis des années. Elle n’a plus de fermoir. »
« Ma patience à des limites vous vous débrouillez pour l’enlever, c’est
tout ! »
Je force en tirant sur le lob de l’oreille, la boucle lâche.
« Baissez la culotte ! »
Je m’exécute. Après la fouille ils m’amènent dans une petite cellule de
garde à vue.
4m de long par 2m de large. Une petite couchette beige vissée au mur.
Les parois sont taguées, grattées par les inscriptions griffonnées à la
hâte par les détenus de passage. Au briquet ou gravé avec les ongles
dans le crépis. Momo de Monclar, Ibrahim, Rachid…… chacun laisse sa marque
.
L’attente commence. Pas d’eau, pas de nourriture. Je réclame en vain de
la glace pour faire désenfler mon bras. Les murs et le sol sont souillés
de tâches de sang, d’urine et d’excréments. Un méchant néon est allumé
en permanence. Le temps s’étire. Rien ici qui permette de distinguer le
jour de la nuit. La douleur lancinante m’empêche de dormir. J’ai
l’impression d’avoir le cœur qui pulse dans ma main. D’ailleurs alors
que j’écris ces lignes une semaine plus tard, je ne parviens toujours
pas à dormir normalement.
J’écris tout cela en détails, non pas pour me lamenter sur mon sort. Je
suis malheureusement bien conscient que ce qui m’est arrivé est
tristement banal, que plusieurs fois par jours et par nuits dans chaque
ville de France des dizaines de personnes subissent des traitements bien
pires que ce que j’ai enduré. Je sais aussi que si j’étais noir ou arabe
je me serais fait cogner avec encore moins de retenue. C’est pour cela
que j’écris et porte plainte. Car j’estime que dans la police française
et dans les CRS en particulier il existe de dangereux individus qui sous
le couvert de l’uniforme laissent libre cour à leurs plus bas instincts.
(Evidement il y a aussi des arrestations justifiées, et la police ne
fait pas que des interventions abusives. Mais je parle des dérapages qui
me semblent beaucoup trop fréquents.)
Que ces dangers publics sévissent en toute impunité au sein d’un service
public qui serait censé protéger les citoyens est inadmissible dans un
état de droit.
J’ai un casier judiciaire vierge et suis quelqu’un de profondément non
violent, par conviction, ce type de mésaventure me renforce encore dans
mes convictions, mais si je ne disposais pas des outils pour analyser la
situation je pourrais aisément basculer dans la violence et l’envie de
vengeance. Je suis persuadé que ce type d’action de la police nationale
visant à instaurer la peur ne fait qu’augmenter l’insécurité en France
et stimuler la suspicion et la haine d’une partie de la population (Des
jeunes en particulier.) face à la Police. En polarisant ainsi la
population on crée une tension perpétuelle extrêmement perverse.
Comme je suis un homme de culture et de communication je réponds à cette
violence avec mes armes. L’écriture et la parole. Durant les 16h qu’a
duré ma détention. (Avec les nouvelles lois, on aurait même pu me garder
48h en garde à vue.) Je n’ai vu dans les cellules que des gens d’origine
africaine et des gitans. Nous étions tous traité avec un mépris
hallucinant. Un exemple, mon voisin de cellule avait besoin d’aller aux
toilettes. Il appelait sans relâche depuis près d’une demi heure,
personne ne venait. Il c’est mit à taper contre la porte pour se faire
entendre, personne. Il cognait de plus en plus fort, finalement un
gardien exaspéré surgit. »Qu’est ce qu’il y a ? » « J’ai besoin d’aller
aux chiottes. » « Y a une coupure d’eau. » Mais j’ai besoin. » « Y a pas
d’eau dans tout le commissariat, alors tu te la coince pigé. »
Mon voisin qui n’est pas seul dans sa cellule continue de se plaindre,
disant qu’il est malade, qu’il va faire ses besoins dans la cellule.
« Si tu fais ça on te fait essuyer avec ton t-shirt. »
Les coups redoublent. Une voix féminine lance d’un air moqueur. « Vas-y
avec la tête pendant que tu y es. Ca nous en fera un de moins. » Eclats
de rire dans le couloir comme si elle avait fait une bonne plaisanterie.
Après une nuit blanche vers 9h du matin on vient me chercher pour
prendre mon empreinte et faire ma photo. Face, profil, avec un petit
écriteau, comme dans les films. La dame qui s’occupe de cela est la
première personne qui me parle avec humanité et un peu de compassion
depuis le début de ce cauchemar. « Hee bien, ils vous ont pas raté.
C’est les CRS, ha bien sur. Faut dire qu’on a aussi des sacrés cas
sociaux chez nous. Mais ils sont pas tous comme ça. »
J’aimerais la croire.
Un officier vient me chercher pour que je dépose ma version des faits et
me faire connaître celle de ceux qui m’ont interpellé. J’apprends que je
suis poursuivi pour : outrage, incitation à l’émeute et violence envers
des dépositaires de l’autorité publique. C’est vraiment le comble. Je
les aurais soi disant agressés verbalement et physiquement. Comment ces
fonctionnaires assermentés peuvent ils mentir aussi éhontement ? Je
raconte ma version des faits à l’officier. Je sens que sans vouloir
l’admettre devant moi, il se rend compte qu’ils ont commis une gaffe. Ma
déposition est transmise au procureur et vers midi je suis finalement
libéré. J’erre dans la ville comme un boxeur sonné. Je marche
péniblement. Un mistral à décorner les bœufs souffle sur la ville. Je
trouve un avocat qui me dit d’aller tout de suite à l’hôpital faire un
constat médical. Je marche longuement pour parvenir aux urgences ou je
patiente plus de 4 heures pour recevoir des soins hâtifs. Dans la salle
d’attente, je lis un journal qui m’apprend que le gouvernement veut
supprimer 200 hôpitaux dans le pays, on parle de couper 6000 emplois
dans l’éducation. Sur la façade du commissariat de St Roch j’ai pu lire
qu’il allait être rénové pour 19 millions d’Euros. Les budgets de la
sécurité sont à la hausse, on diminue la santé, le social et
l’éducation. Pas de commentaires.
Je n’écris pas ces lignes pour me faire mousser, mais pour clamer mon
indignation face à un système qui tolère ce type de violence. Sans doute
suis-je naïf de m’indigner. La plupart des Français auxquels j’ai
raconté cette histoire ne semblaient pas du tout surpris, et avaient
connaissance de nombreuses anecdotes du genre. Cela me semble d’autant
plus choquant. Ma naïveté, je la revendique, comme je revendique le
droit de m’indigner face à l’injustice. Même si cela peut paraître de
petites injustices. C’est la somme de nos petits silences et de nos
petites lâchetés qui peut conduire à une démission collective et en
dernier recours aux pires systèmes totalitaires. (Nous n’en sommes bien
évidement heureusement pas encore là.) Depuis ma sortie, nous sommes
retournés sur la place de papes et nous avons réussi à trouver une
douzaine de témoins qui ont accepté d’écrire leur version des faits qui
corroborent tous ce que j’ai dis. Ils certifient tous que je n’ai
proféré aucunes insultes ni n’ai commis aucune violence. Les témoignages
soulignent l’incroyable brutalité de l’intervention des CRS et la totale
disproportion de leur réaction face à mon intervention. J’ai essayé de
retrouver des images des faits, mais malheureusement les caméras qui
surveillent la place sont gérées par la police et, comme par hasard
elles sont en panne depuis début juillet. Il y avait des centaines de
personnes sur la place qui auraient pu témoigner, mais le temps de
sortir de garde à vue, de me faire soigner et de récupérer suffisamment
d’énergie pour pouvoir tenter de les retrouver. Je n’ai pu en rassembler
qu’une douzaine. J’espère toujours que peut être quelqu’un ait
photographié ou même filmé la scène et que je parvienne à récupérer ces
images qui prouveraient de manière définitive ce qui c’est passé.
Après 5 jours soudain, un monsieur africain m’a abordé, c’était l’un des
musiciens qui avait été interpellé. Il était tout content de me
retrouver car il me cherchait depuis plusieurs jours. Il se sentait mal
de n’avoir rien pu faire et de ne pas avoir pu me remercier d’être
intervenu en leur faveur. Il était profondément touché et surpris par
mon intervention et m’a dit qu’il habitait Grenoble, qu’il avait 3
enfants et qu’il était français. Qu’il viendrait témoigner pour moi.
Qu’il s’appelait Moussa Sanou.
« Sanou , c’est un nom de l’ethnie Bobo. Vous êtes de Bobo-Dioulasso ? »
« Oui. » Nous nous sommes sourit et je l’ai salué dans sa langue en Dioula.
Il se trouve que je vais justement créer un spectacle prochainement à
Bobo-Dioulasso au Burkina-faso. La pièce qui est une adaptation de
nouvelles de l’auteur Mozambicain Mia Couto s’appellera « Chaque homme
est une race » et un des artistes avec lequel je vais collaborer se
nomme justement Sanou.
Coïncidence ? Je ne crois pas.
Je suis content d’avoir défendu un ami, même si je ne le connaissais pas
encore.
La pièce commence par ce dialogue prémonitoire.
Quand on lui demanda de quelle race il était, il répondit : « Ma race
c’est moi. »
Invité à s’expliquer il ajouta
« Ma race c’est celui que je suis. Toute personne est à elle seule une
humanité.
Chaque homme est une race, monsieur le policier. »
Patrick Mohr
Je suis né le 18 septembre 1962 à Genève.
Je suis acteur, metteur en scène et auteur.
A Genève je dirige une compagnie, le théâtre Spirale, je co-dirige le
théâtre de la Parfumerie et m’occupe également du festival « De bouche à
oreille.
Dans le cadre de mes activités artistiques, je viens régulièrement au
festival d’Avignon pour y découvrir des spectacles du « in » et du « off
». Notre compagnie s’y est d’ailleurs produite à trois reprises. Cette
année, je suis arrivé dans la région depuis le 10 juillet et j’ai
assisté à de nombreux spectacles.
Le Lundi 21 juillet, je sors avec mon amie, ma fille et trois de ses
camarades d’une représentation d’une pièce très dure sur la guerre en
ex-Yougoslavie et nous prenons le frais à l’ombre du Palais des Papes,
en assistant avec plaisir à un spectacle donné par un couple d’acrobates.
A la fin de leur numéro, je m’avance pour mettre une pièce dans leur
chapeau lorsque j’entends le son d’un Djembé (tambour africain) derrière
moi. Etant passionné par la culture africaine. (J’y ai monté plusieurs
spectacles et ai eu l’occasion d’y faire des tournées.) Je m’apprête à
écouter les musiciens. Le percussionniste est rejoint par un joueur de
Kamele Ngoni. (Sorte de contrebasse surtout utilisée par les chasseurs
en Afrique de l’Ouest.)
A peine commencent-ils à jouer qu’un groupe de C.R.S se dirige vers eux
pour les interrompre et contrôler leur identité. Contrarié, je me décide
à intervenir. Ayant déjà subit des violences policières dans le même
type de circonstances il y a une vingtaine d’année à Paris, je me suis
adressé à eux avec calme et politesse. Le souvenir de ma précédente
mésaventure bien en tête. Mais je me suis dit que j’étais plus âgé, que
l’on se trouvait dans un haut lieu culturel et touristique, dans une
démocratie et que j’avais le droit de m’exprimer face à ce qui me
semblait une injustice. J’aborde donc un des C.R.S et lui demande :
« Pourquoi contrôler vous ces artistes en particulier et pas tous ceux
qui se trouvent sur la place? » Réponse immédiate.
« Ta gueule, mêle-toi de ce qui te regardes!
« Justement ça me regarde. Je trouve votre attitude discriminatoire. »
Regard incrédule. « Tes papiers ! »
« Je ne les ai pas sur moi, mais on peut aller les chercher dans la
voiture. »
« Mets-lui les menottes ! »
« Mais vous n’avez pas le droit de… »
Ces mots semblent avoir mis le feu aux poudres.
« Tu vas voir si on n’a pas le droit.»
Et brusquement la scène a dérapé.
Ils se sont jetés sur moi avec une sauvagerie inouïe. Mon amie, ma
fille, ses camarades et les curieux qui assistaient à la scène ont
reculé choqués alors qu’ils me projetaient au sol, me plaquaient la tête
contre les pavés, me tiraient de toutes leurs forces les bras en arrière
comme un poulet désarticulé et m’enfilaient des menottes. Les bras dans
le dos, ils m’ont relevé et m’ont jeté en avant en me retenant par la
chaîne. La menotte gauche m’a tordu le poignet et a pénétré profondément
mes chairs. J’ai hurlé :
« Vous n’avez pas le droit, arrêtez, vous me cassez le bras ! »
« Tu vas voir ce que tu vas voir espèce de tapette. Sur le dos ! Sur le
ventre ! Sur le dos je te dis, plus vite, arrête de gémir ! »
Et ils me frottent la tête contre les pavés me tordent et me frappent,
me traînent, me re-plaquent à terre.
La foule horrifiée s’écarte sur notre passage. Mon amie essaie de me
venir en aide et se fait violemment repousser. Des gens s’indignent,
sifflent, mais personne n’ose interrompre cette interpellation d’une
violence inouïe. Je suis traîné au sol et malmené jusqu’à leur
fourgonnette qui se trouve à la place de l’horloge 500 m . plus bas. Là.
Ils me jettent dans le véhicule, je tente de m’asseoir et le plus grand
de mes agresseurs (je ne peux pas les appeler autrement), me donne un
coup pour me faire tomber entre les sièges, face contre terre, il me
plaque un pied sur les côtes et l’autre sur la cheville il appuie de
tout son poids contre une barre de fer.
« S’il vous plait, n’appuyez pas comme ça, vous me coupez la circulation. »
« C’est pour ma sécurité. »
Et toute leur compagnie de rire de ce bon mot. Jusqu’au commissariat de
St Roch
Le trajet est court mais il me semble interminable. Tout mon corps est
meurtri, j’ai l’impression d’avoir le poignet brisé, les épaules
démises, je mange la poussière.
On m’extrait du fourgon toujours avec autant de délicatesse.
Je vous passe les détails de l’interrogatoire que j’ai subi dans un état
lamentable.
Je me souviens seulement du maquillage bleu sur les paupières de la
femme qui posait les questions.
« Vous êtes de quelle nationalité ? » « Suisse. »
« Vous êtes un sacré fouteur de merde »
« Vous n’avez pas le droit de m’insulter »
« C’est pas une insulte, la merde » (Petit rire.)
C’est fou comme la mémoire fonctionne bien quand on subit de pareilles
agressions.
Toutes les paroles, tout les détails de cette arrestation et de ma garde
à vue resterons gravés à vie dans mes souvenirs, comme la douleur des
coups subits dans ma chair.
Je remarque que l’on me vouvoie depuis que je ne suis plus entre les
griffes des CRS.
Mais la violence physique a seulement fait place au mépris et à une
forme d’inhumanité plus sournoise. Je demande que l’on m’ôte les
menottes qui m’ont douloureusement entaillé les poignets et que l’on
appelle un docteur. On me dit de cesser de pleurnicher et que j’aurais
mieux fait de réfléchir avant de faire un scandale. Je tente de
protester, on me coupe immédiatement la parole. Je comprends qu’ici on
ne peut pas s’exprimer librement. Ils font volontairement traîner avant
de m’enlever les menottes. Font semblant de ne pas trouver les clés. Je
ne sens plus ma main droite.
Fouille intégrale. On me retire ce que j’ai, bref inventaire, le tout
est mis dans une petite boîte.
« Enlevez vos vêtements ! » J’ai tellement mal que je n’y arrive presque
pas.
« Dépêchez-vous, on n'a pas que ça à faire. La boucle d’oreille ! »
J’essaye de l’ôter sans y parvenir.
« Je ne l’ai pas enlevée depuis des années. Elle n’a plus de fermoir. »
« Ma patience à des limites vous vous débrouillez pour l’enlever, c’est
tout ! »
Je force en tirant sur le lob de l’oreille, la boucle lâche.
« Baissez la culotte ! »
Je m’exécute. Après la fouille ils m’amènent dans une petite cellule de
garde à vue.
4m de long par 2m de large. Une petite couchette beige vissée au mur.
Les parois sont taguées, grattées par les inscriptions griffonnées à la
hâte par les détenus de passage. Au briquet ou gravé avec les ongles
dans le crépis. Momo de Monclar, Ibrahim, Rachid…… chacun laisse sa marque
.
L’attente commence. Pas d’eau, pas de nourriture. Je réclame en vain de
la glace pour faire désenfler mon bras. Les murs et le sol sont souillés
de tâches de sang, d’urine et d’excréments. Un méchant néon est allumé
en permanence. Le temps s’étire. Rien ici qui permette de distinguer le
jour de la nuit. La douleur lancinante m’empêche de dormir. J’ai
l’impression d’avoir le cœur qui pulse dans ma main. D’ailleurs alors
que j’écris ces lignes une semaine plus tard, je ne parviens toujours
pas à dormir normalement.
J’écris tout cela en détails, non pas pour me lamenter sur mon sort. Je
suis malheureusement bien conscient que ce qui m’est arrivé est
tristement banal, que plusieurs fois par jours et par nuits dans chaque
ville de France des dizaines de personnes subissent des traitements bien
pires que ce que j’ai enduré. Je sais aussi que si j’étais noir ou arabe
je me serais fait cogner avec encore moins de retenue. C’est pour cela
que j’écris et porte plainte. Car j’estime que dans la police française
et dans les CRS en particulier il existe de dangereux individus qui sous
le couvert de l’uniforme laissent libre cour à leurs plus bas instincts.
(Evidement il y a aussi des arrestations justifiées, et la police ne
fait pas que des interventions abusives. Mais je parle des dérapages qui
me semblent beaucoup trop fréquents.)
Que ces dangers publics sévissent en toute impunité au sein d’un service
public qui serait censé protéger les citoyens est inadmissible dans un
état de droit.
J’ai un casier judiciaire vierge et suis quelqu’un de profondément non
violent, par conviction, ce type de mésaventure me renforce encore dans
mes convictions, mais si je ne disposais pas des outils pour analyser la
situation je pourrais aisément basculer dans la violence et l’envie de
vengeance. Je suis persuadé que ce type d’action de la police nationale
visant à instaurer la peur ne fait qu’augmenter l’insécurité en France
et stimuler la suspicion et la haine d’une partie de la population (Des
jeunes en particulier.) face à la Police. En polarisant ainsi la
population on crée une tension perpétuelle extrêmement perverse.
Comme je suis un homme de culture et de communication je réponds à cette
violence avec mes armes. L’écriture et la parole. Durant les 16h qu’a
duré ma détention. (Avec les nouvelles lois, on aurait même pu me garder
48h en garde à vue.) Je n’ai vu dans les cellules que des gens d’origine
africaine et des gitans. Nous étions tous traité avec un mépris
hallucinant. Un exemple, mon voisin de cellule avait besoin d’aller aux
toilettes. Il appelait sans relâche depuis près d’une demi heure,
personne ne venait. Il c’est mit à taper contre la porte pour se faire
entendre, personne. Il cognait de plus en plus fort, finalement un
gardien exaspéré surgit. »Qu’est ce qu’il y a ? » « J’ai besoin d’aller
aux chiottes. » « Y a une coupure d’eau. » Mais j’ai besoin. » « Y a pas
d’eau dans tout le commissariat, alors tu te la coince pigé. »
Mon voisin qui n’est pas seul dans sa cellule continue de se plaindre,
disant qu’il est malade, qu’il va faire ses besoins dans la cellule.
« Si tu fais ça on te fait essuyer avec ton t-shirt. »
Les coups redoublent. Une voix féminine lance d’un air moqueur. « Vas-y
avec la tête pendant que tu y es. Ca nous en fera un de moins. » Eclats
de rire dans le couloir comme si elle avait fait une bonne plaisanterie.
Après une nuit blanche vers 9h du matin on vient me chercher pour
prendre mon empreinte et faire ma photo. Face, profil, avec un petit
écriteau, comme dans les films. La dame qui s’occupe de cela est la
première personne qui me parle avec humanité et un peu de compassion
depuis le début de ce cauchemar. « Hee bien, ils vous ont pas raté.
C’est les CRS, ha bien sur. Faut dire qu’on a aussi des sacrés cas
sociaux chez nous. Mais ils sont pas tous comme ça. »
J’aimerais la croire.
Un officier vient me chercher pour que je dépose ma version des faits et
me faire connaître celle de ceux qui m’ont interpellé. J’apprends que je
suis poursuivi pour : outrage, incitation à l’émeute et violence envers
des dépositaires de l’autorité publique. C’est vraiment le comble. Je
les aurais soi disant agressés verbalement et physiquement. Comment ces
fonctionnaires assermentés peuvent ils mentir aussi éhontement ? Je
raconte ma version des faits à l’officier. Je sens que sans vouloir
l’admettre devant moi, il se rend compte qu’ils ont commis une gaffe. Ma
déposition est transmise au procureur et vers midi je suis finalement
libéré. J’erre dans la ville comme un boxeur sonné. Je marche
péniblement. Un mistral à décorner les bœufs souffle sur la ville. Je
trouve un avocat qui me dit d’aller tout de suite à l’hôpital faire un
constat médical. Je marche longuement pour parvenir aux urgences ou je
patiente plus de 4 heures pour recevoir des soins hâtifs. Dans la salle
d’attente, je lis un journal qui m’apprend que le gouvernement veut
supprimer 200 hôpitaux dans le pays, on parle de couper 6000 emplois
dans l’éducation. Sur la façade du commissariat de St Roch j’ai pu lire
qu’il allait être rénové pour 19 millions d’Euros. Les budgets de la
sécurité sont à la hausse, on diminue la santé, le social et
l’éducation. Pas de commentaires.
Je n’écris pas ces lignes pour me faire mousser, mais pour clamer mon
indignation face à un système qui tolère ce type de violence. Sans doute
suis-je naïf de m’indigner. La plupart des Français auxquels j’ai
raconté cette histoire ne semblaient pas du tout surpris, et avaient
connaissance de nombreuses anecdotes du genre. Cela me semble d’autant
plus choquant. Ma naïveté, je la revendique, comme je revendique le
droit de m’indigner face à l’injustice. Même si cela peut paraître de
petites injustices. C’est la somme de nos petits silences et de nos
petites lâchetés qui peut conduire à une démission collective et en
dernier recours aux pires systèmes totalitaires. (Nous n’en sommes bien
évidement heureusement pas encore là.) Depuis ma sortie, nous sommes
retournés sur la place de papes et nous avons réussi à trouver une
douzaine de témoins qui ont accepté d’écrire leur version des faits qui
corroborent tous ce que j’ai dis. Ils certifient tous que je n’ai
proféré aucunes insultes ni n’ai commis aucune violence. Les témoignages
soulignent l’incroyable brutalité de l’intervention des CRS et la totale
disproportion de leur réaction face à mon intervention. J’ai essayé de
retrouver des images des faits, mais malheureusement les caméras qui
surveillent la place sont gérées par la police et, comme par hasard
elles sont en panne depuis début juillet. Il y avait des centaines de
personnes sur la place qui auraient pu témoigner, mais le temps de
sortir de garde à vue, de me faire soigner et de récupérer suffisamment
d’énergie pour pouvoir tenter de les retrouver. Je n’ai pu en rassembler
qu’une douzaine. J’espère toujours que peut être quelqu’un ait
photographié ou même filmé la scène et que je parvienne à récupérer ces
images qui prouveraient de manière définitive ce qui c’est passé.
Après 5 jours soudain, un monsieur africain m’a abordé, c’était l’un des
musiciens qui avait été interpellé. Il était tout content de me
retrouver car il me cherchait depuis plusieurs jours. Il se sentait mal
de n’avoir rien pu faire et de ne pas avoir pu me remercier d’être
intervenu en leur faveur. Il était profondément touché et surpris par
mon intervention et m’a dit qu’il habitait Grenoble, qu’il avait 3
enfants et qu’il était français. Qu’il viendrait témoigner pour moi.
Qu’il s’appelait Moussa Sanou.
« Sanou , c’est un nom de l’ethnie Bobo. Vous êtes de Bobo-Dioulasso ? »
« Oui. » Nous nous sommes sourit et je l’ai salué dans sa langue en Dioula.
Il se trouve que je vais justement créer un spectacle prochainement à
Bobo-Dioulasso au Burkina-faso. La pièce qui est une adaptation de
nouvelles de l’auteur Mozambicain Mia Couto s’appellera « Chaque homme
est une race » et un des artistes avec lequel je vais collaborer se
nomme justement Sanou.
Coïncidence ? Je ne crois pas.
Je suis content d’avoir défendu un ami, même si je ne le connaissais pas
encore.
La pièce commence par ce dialogue prémonitoire.
Quand on lui demanda de quelle race il était, il répondit : « Ma race
c’est moi. »
Invité à s’expliquer il ajouta
« Ma race c’est celui que je suis. Toute personne est à elle seule une
humanité.
Chaque homme est une race, monsieur le policier. »
Patrick Mohr
Dimanche 24 Août 2008 - 23:38
source: http://www.dabio.net/-Ta-gueule,-mele-toi-de-ce-qui-te-regardes!_a2004.html
source: http://www.dabio.net/-Ta-gueule,-mele-toi-de-ce-qui-te-regardes!_a2004.html
0 Comments:
Post a Comment