par Alter Echos
Un an après la conférence des peuples de Cochabamba, Alternatives Québec et Canadian Dimension ont organisé les 15, 16 et 17 avril 2011 à Montréal une rencontre « Cochabamba +1 pour la justice climatique et les alternatives écologiques ». Alter-Echos (www.alter-echos.org) y était.
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Il y a tout juste un an, Evo Morales et le gouvernement bolivien conviaient une Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre-Mère à Cochabamba. Quelques mois après les résultats affligeants du sommet de Copenhague, 35 000 personnes venues de plus de 140 pays de la planète ont contribué à la rédaction d’un « accord des peuples » préconisant de véritables solutions alternatives face aux défis climatiques et environnementaux. Malgré les multiples initiatives des réseaux Climate Justice Now et la détermination de la Bolivie pour faire adopter ces mesures dans le cadre des négociations officielles, le dernier sommet de Cancun n’a fait qu’entériner les pseudo-décisions prises par quelques pays à Copenhague. Qui plus est, certains pays, comme le Japon ou le Canada ont voulu enterrer le protocole de Kyoto, seul instrument légalement et actuellement contraignant.
Le Canada, « hors la loi »
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Véritable hors la loi écologique », selon les mots de
Maude Barlow, le Canada, pourtant signataire du protocole de Kyoto, ne respecte aucun de ses engagements. Il s’est par ailleurs lancé dans une course folle à l’extraction des ressources naturelles fossiles, sables bitumineux en tête, quel qu’en soit le prix. L’initiative Cochabamba +1 prise par Alternatives Québec et Canadian Dimension résonne ainsi au delà du seul Canada. A quelques jours des prochaines élections fédérales canadiennes, le gouvernement Harper et toute la classe politique canadienne ont ainsi été
vivement interpellés sur le rôle extrêmement nocif que joue le Canada en ces domaines et la nécessité de poser ces questions dans le débat électoral.
S’appuyant sur «
l’esprit de Cochabamba »,
Pablo Solon, Maude Barlow et bien d’autres ont appelé à rejeter les fausses solutions, notamment les marchés carbone, l’évaluation monétaire des services fournis par la nature ou la géo-ingéniérie. Mais également à renforcer les alliances entre la justice sociale et la justice environnementale, dans la perspective des prochaines échéances de
Durban (28 novembre – 9 décembre 2011) et
Rio+20 (14 – 16 mai 2012). Comme l’a exprimé Maude Barlow, «
impossible de défendre les droits humains sans une planète en bonne santé, et impossible de protéger la planète si les besoins élémentaires des populations ne sont pas satisfaits ».
Avec une forte présence de syndicats, notamment québécois, cette rencontre a permis de préciser ce que serait une «
transition vers une économie sans carbone » par de véritables «
conversions industrielles », notamment par le développement de «
transports écologiques et d’énergies vertes ». Dans une ville qui abrite le siège de Bombardier, fabricant de transports en commun, mais qui ne met aucun tramway à disposition, ou qui prévoit de revoir plusieurs infrastructures routières comme
le désastreux échangeur Turcot, voilà des discussions à travaux pratiques immédiats.
Contre un capitalisme vert
Néanmoins, plusieurs intervenants ont précisé que repeindre en vert le capitalisme, à l’aide de technologies vertes ou d’emplois verts, n’était ni suffisant ni pertinent. Selon Maud Barlow, «
vous pouvez remplacer les mauvaises technologies par de meilleures technologies, rien ne sera réglé sans relever le défi du tout-marché et de la croissance infinie ». Ainsi, Pat Mooney du
groupe ETC a rappelé que les industriels de la planète n’ont pas abdiqué dans leurs velléités de transformer en marchandise tout ce qui peut l’être. Selon lui, «
sur toute la biomasse produite sur la planète, aujourd’hui seulement 25 % est transformée en marchandise, signifiant que les 3/4 restants sont une nouvelle frontière d’expansion pour le système capitaliste », donnant pour exemple l’extension des plantations pour produire des agrocarburants ou l’extension de la compensation carbone en valorisant les forêts et les sols. 40 % du mais produit aux Etats-Unis l’est aujourd’hui pour fabriquer de l’éthanol.
Maude Barlow a précisé que cette marchandisation de la planète était notamment véhiculée par les très nombreux accords de libre-échange actuellement en cours de négociation. Elle a notamment ciblé
l’accord économique et commercial global (AECG) actuellement négocié entre l’UE et le Canada, «
le plus dangereux des accords de libre-échange auquel le Canada n’a jamais participé ». Ouvrant à la concurrence des secteurs clefs comme celui de l’énergie ou des exploitations minières, notamment dans la perspective d’accroître les exploitations de ressources dans le grand nord canadien, cet accord pourrait avoir des effets désastreux sur le plan social, par de nombreuses pertes d’emploi, mais aussi sur le plan environnemental en encourageant la prédation des ressources naturelles.
Les multinationales pétrolières comme BP, Statoil, Shell ou Total seraient ainsi fortement incités à accroître leur participation dans l’exploitation des sables bitumineux aux conséquences environnementales non commensurables, tout en facilitant l’importation du pétrole qui en est issue en Europe.
Dévastation de l'environnement en Alberta
Fuite en avant
Tony Clarke, du
Polaris Institute, a également précisé que «
l’économie canadienne était en train de changer de fond en comble ». La production d’énergie primaire, pétrole et gaz, serait en train de remplacer la production industrielle, construisant une économie de la rente approvisionnant les Etats-Unis en ressources naturelles. «
A travers les sables bitumineux, on comprend que la plus-value économique réalisée sur le territoire canadien est fonction de notre capacité à détruire l’environnement ».
Amir Khadir, député de
Québec Solidaire au niveau provincial, a ainsi dénoncé que le Canada soit «
devenu un minéralo-Etat en raison de la dépendance toxique et criminelle du pays à l’industrie minière, du pétrole et du gaz ». Dépeinte avec précision par le livre
Noir Canada, cette relation incestueuse entre le Canada et les entreprises minières pourrait être renforcée par de nouveaux plans d’exploitation des ressources naturelles dans le nord du pays.
Fortement imprégnés par le succès des mobilisations récentes contre l’exploitation des gaz de schiste au Québec, les ateliers portant sur l’exploitation sans fin des énergies fossiles ont permis de mettre en évidence les logiques communes qui président à l’exploitation des sables bitumineux en Alberta et celles des gaz de schiste, actuelles ou à venir, aux Etats-Unis, au Canada ou en Europe. Fuite en avant perpétuelle à la recherche de nouvelles ressources fossiles pour alimenter un modèle de production et de consommation énergivore quelles qu’en soient les conséquences environnementales et les effets sur les populations, l’extraction de gaz et de pétrole non conventionnel élude la finitude de notre planète, les défis climatiques et la nécessaire transition énergétique dans laquelle nous devrions nous engager pour préserver les conditions d’existence humaine sur la planète.
Ben Powless, de l’
Indigenous Environmental Network (IEN), a bien montré comment la cupidité des multinationales pétrolières était en train de sacrifier plusieurs populations autochtones en Alberta sans que le gouvernement canadien n’y trouve rien à redire, pas plus que les Etats-Unis trop heureux de s’approvisionner en pétrole. Tout au long du week-end, il a été rappelé que nos modèles économiques basés sur l’exploitation intensive et massive des énergies fossiles ne sont pas durables. Les principaux animateurs de la mobilisation contre les gaz de schiste au Québec ont pour leur part dénoncé un gouvernement provincial prêt à brader aux entreprises américaines les ressources du sous-sol québécois sans avoir-même pris connaissance des conséquences environnementales désastreuses issues des techniques d’exploitation des gaz de schiste.
Reconstruire notre imaginaire
Les exemples des mobilisations contre les gaz de schistes ou les sables bitumineux montrent qu’il s’agit de déconstruire tout un imaginaire extractiviste qui pose comme inéluctable l’exploitation d’une ressource naturelle. Puisant au fondement même de notre conception occidentale du rapport entre l’homme et la nature, cet imaginaire se heurte frontalement aux exigences environnementales de ce 21ème siècle. Pour déconstruire cet imaginaire, plusieurs intervenants ont signalé l’apport et la nécessité de s’appuyer sur les revendications des peuples autochtones ou indigènes, comme le «
vivre bien » qui permettraient de véritablement repenser notre rapport avec la nature et préserver les conditions d’une véritable justice environnementale et climatique.
Permettant de confronter des mouvements et intellectuels francophones et anglophones, comme cela n’avait sans doute pas eu lieu depuis 10 ans et les mobilisations de Québec contre l’accord de libre-échange des Amériques en 2001, ce week-end aura permis de travailler à la convergence des luttes sociales et environnementales dans la perspective d’un mouvement pour la justice climatique prenant appui sur l’accord de Cochabamba.