Investig'Action | 30 août 2014 | par Joyce Nelson | Traduction Jean-Jacques Hector
Monsanto en Ukraine, la nourriture génétiquement modifiée et le retour de H+K
Finalement, un aspect secondaire de la crise ukrainienne commence à
recevoir une attention internationale. Le 28 juillet, l’Institut
Oakland, basé en Californie, a publié un rapport révélant que la
Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), selon les
termes de leur prêt de $17 milliards à l’Ukraine, ouvriraient ce pays
aux cultures génétiquement modifiées (GM), ainsi qu’aux OGM dans
l’agriculture. Le rapport est intitulé vu de l’Ouest : la Banque mondiale et le FMI en Ukraine [1].
Fin 2013, le président ukrainien du moment, Viktor Yanukovych, a
rejeté l’agrément d’association à l’Union européenne lié au prêt de $17
milliards, dont les termes viennent seulement d’être révélés. Au
contraire, Yanukovych a opté pour une aide russe de $15 milliards,
assortie d’une réduction sur le prix du gaz naturel. Sa décision a été
un facteur majeur des protestations mortelles qui s’ensuivirent et qui
l’ont renversé du pouvoir en février 2014, ainsi que de la crise en
cours.
Selon l’Oakland Institute, « alors que l’Ukraine n’autorise pas
l’utilisation des OGM dans l’agriculture, l’Article 404 de l’accord avec
l’UE, en rapport avec l’agriculture, inclut une clause qui est
généralement passée inaperçue : cette clause indique, entre autres, que
les deux parties vont coopérer pour étendre l’utilisation des
biotechnologies. Il ne fait aucun doute que cette clause rencontre les
attentes de l’agro-industrie. Comme Michael Cox, directeur de recherche à
la banque d’investissement Piper Jaffray, l’a observé, « l‘Ukraine,
et de manière générale l’Europe de l’Est, sont parmi les marchés en
croissance les plus prometteurs pour le géant de l’équipement en
matériel agricole Deere, ainsi que pour les producteurs Monsanto et
Dupont« » [2].
La loi ukrainienne interdit aux agriculteurs de cultiver des plantes
génétiquement modifiées. Longtemps considérée comme « le grenier à blé
de l’Europe », l’Ukraine, avec les riches terres noires de son
sol, est idéale pour la croissance des céréales. Ainsi, en 2012, les
agriculteurs ukrainiens ont produit plus de 20 millions de tonnes de
céréales.
L’investissement de Monsanto
En mai 2013, Monsanto a annoncé un plan d’investissements de $140
millions dans une usine de semences de céréales non OGM en Ukraine, avec
le porte-parole de Monsanto en Ukraine, Vitally Fechuk, confirmant que
« Nous travaillerons seulement avec des semences conventionnelles
parce que ce sont les seules autorisées en Ukraine pour la production et
l’exportation ».
Mais, en novembre 2013, six grandes associations d’agriculteurs
ukrainiens avaient préparé un projet d’amendement à la loi, poussant à
« créer, tester, transporter et utiliser des OGM dans le cadre de la législation sur les semences génétiquement modifiées » [4]. Le président de Ukrainian Grain Association, l’association des semenciers ukrainiens, Volodymyr Klymenko, a dit lors d’une conférence de presse à Kiev que : « Nous
pourrions réfléchir à cette question très longtemps, mais nous, avec
les associations [agricoles], avons signé deux lettres pour modifier la
loi sur la biosécurité, dans lesquelles nous avons proposé la
légalisation des semences OGM pour nos agriculteurs, semences qui ont
été testées depuis longtemps aux États-Unis » (en fait, les
semences génétiquement modifiées ainsi que les OGM n’ont jamais été
soumis à des tests indépendants sur le long-terme aux U.S.).
Les amendements des associations agricoles coïncidaient avec les
termes de l’association avec l’UE et avec le prêt FMI/Banque Mondiale.
Le site web sustainablepulse.com, qui traque les nouvelles
sur les OGM au niveau mondial a fustigé les propositions des
associations agricoles, avec le directeur Henry Rowlands déclarant : « L’agriculture
de l’Ukraine sera sérieusement endommagée si le gouvernement autorise
les semences génétiquement modifiées dans le pays. Les agriculteurs
verront se réduire les marchés à l’exportation à cause des sentiments
anti-OGM en Russie et dans l’UE ». Rowlands a dit que les investissements de Monsanto en Ukraine « pouvaient
atteindre $300 millions sur plusieurs années. Est-ce-que l’agriculture
ukrainienne veut faire totalement confiance au succès ou à l’échec d’une
compagnie U.S.? » [5]
Le 13 décembre 2013, le vice-président de Monsanto (Corporate
Enaggement), Jesus Madrazo, a dit à la conférence U.S-Ukraine à
Washington D.C. que la compagnie voyait « l’importance de la
création d’un environnement favorable [en Ukraine], qui encourage
l’innovation et émule le développement continu de l’agriculture.
L’Ukraine a l’opportunité de développer encore plus le potentiel des
cultures conventionnelles, là où nous concentrons actuellement nos
efforts. Nous espérons aussi que, le moment venu, la biotechnologie
sera un outil disponible pour les agriculteurs ukrainiens dans le
futur » [6].
Juste quelques jours avant les remarques de Madrazo à Washington,
Monsanto Ukraine a lancé son programme de « développement social » pour
le pays, appelé « Panier de grains du futur » [7]. Il fournissait une
bourse à des villageois ruraux afin qu’ils puissent (selon les mots de
Monsanto) « commencer à ressentir qu’ils peuvent améliorer leur situation eux-mêmes au lieu d’attendre une subvention ».
Actuellement, les véritables subventions sont celles qui
vont aux gros de l’agro-business, selon les termes des prêts du FMI et
de la Banque mondiale, qui, en plus d’ouvrir le pays aux cultures OGM,
va aussi conduire, plus tard, à lever l’interdiction qui pèse sur la
vente des riches terres ukrainiennes au secteur privé [8].
Comme l’a formulé Morgan Williams, président et PDG du Conseil pour le commerce U.S.-Ukraine, en mars dans International Business Times, « L’agriculture ukrainienne pourrait être une vraie mine d’or » [9]. Mais, a-t-il ajouté, « de
nombreux aspects du climat des affaires [en Ukraine] doivent changer,
le point principal étant de garder le gouvernement hors des affaires
commerciales… ».
Les câbles Wikileaks
En août 2011, Wikileaks a diffusé des câbles diplomatiques U.S.
montrant que le Département d’État des U.S. [Affaires étrangères, NdT] a
fait du lobbying au niveau mondial pour le compte de Monsanto et
d’autres multinationales de la biotechnologie, telles que DuPont,
Syngenta, Bayer et Dow. L’organisme à but non lucratif, Food & Water
Watch [Surveillance de l'eau et de la nourriture, NdT], après passage
au peigne fin de ces câbles sur cinq ans (2005-2009), a publié son
rapport le 14 mai 2013, intitulé « Ambassadeurs de la Biotechnique : comment le ministère des Affaires étrangères U.S. fait la promotion du programme global de l’industrie des semences » [10]. Le rapport montre que le ministère des Affaires étrangères U.S. a « fait
du lobbying auprès de gouvernements étrangers pour qu’ils adoptent des
politiques et légifèrent en faveur des biotechnologies agricoles, a
réalisé des campagnes rigoureuses de relations publiques pour améliorer
l’image de la biotechnologie, et a défié ouvertement les gardes-fous et
les règles de bon sens, allant même jusqu’à s’opposer aux lois
concernant l’étiquetage des nourritures OGM ».
Selon un article de consortiumnews.com du 16 mars 2014, Morgan
Williams est au centre du réseau d’alliances du regroupement des
multinationales du business agroalimentaire (Big Ag) avec la politique
étrangère des U.S. [11]. « En plus d’être président et PDG du Conseil pour le commerce
U.S.-Ukraine, Williams est Directeur des affaires gouvernementales dans
la firme privée d’investissement SigmaBleyzer, qui racole pour
le travail de Williams « diverses agences du gouvernement U.S., membres
du Congrès, commissions du Congrès, l’ambassade d’Ukraine aux U.S., des
institutions financières internationales, des groupes de réflexion et
autres organisations concernant les affaires U.S.-Ukraine, les questions
de commerce, d’investissement et d’économie ».
Les seize membres du Comité exécutif du Conseil pour le commerce
U.S.-Ukraine viennent de compagnies agroalimentaires U.S., incluant des
représentants de Monsanto, John Deere, DuPont Pioneer, Eli Lilly, et
Cargill [12]. Parmi les vingt « Consultants principaux », on rencontre
James Greene (ancien chef du Bureau de liaison Otan-Ukraine), Ariel
Cohen (chargé de recherche principal à The Heritage Foundation [Groupe
de réflexion conservateur à Washington D.C.], Léonid Kozachenko
(président de la Confédération agraire ukrainienne), six anciens
ambassadeurs U.S. en Ukraine, et l’ancien ambassadeur d’Ukraine aux
U.S., Oleh Shamshur.
Shamshur est maintenant un conseiller principal chez PBN Hill + Knowlton Strategies, une unité du géant des relations publiques Hill + Knowlton Strategies (H+K). H+K est une filiale du gargantuesque groupe WPP,
basé à Londres, qui possède quelques douzaines de grosses firmes de
relations publiques, dont Burson-Marsteller (un conseiller de Monsanto
depuis longtemps).
Stratégies de Hill + Knowlton
Le 15 avril 2014, le journal de Toronto The Globe & Mail a
publié un éditorial de l’assistant consultant de H+K, Olga Radchenko
[13]. L’article fulminait contre le Président russe Vladimir Poutine et
« la machine de relations publiques de Mr. Poutine », déclarant que « le mois dernier [mars 2014, un mois après le coup d'État], un groupe de professionnels des relations publiques, basé à Kiev, avait formé le Centre des médias sur la crise ukrainienne,
une opération volontaire dans le but d’aider à améliorer l’image de
l’Ukraine et de gérer ses communications sur la scène globale ».
Le site web de PNB Hill + Knowlton Strategies déclare que le PDG de la compagnie, Myron Wasylyk, est un « membre du bureau du Conseil pour le Commerce U.S.-Ukraine », et que le Directeur général pour l’Ukraine, Oksana Monastyrska, « dirige les travaux de la firme pour Monsanto ». Monastyrska a aussi travaillé pour la Société financière internationale de la Banque mondiale.
Selon Oakland Institut, les conditions du prêt accordé à l’Ukraine
par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont déjà
conduit à « un accroissement des investissements étrangers, qui
entraînera probablement une expansion des acquisitions de terres
agricoles sur une grande échelle par des compagnies étrangères et une
future privatisation de l’agriculture du pays » [14].
En attendant, le Permier ministre russe, Dmitry Medvedev, a déclaré en avril 2014 : « Nous
n’avons pas pour but de développer les produits OGM ici, ni de les
importer. Nous pouvons nous nourrir avec des produits normaux non
génétiquement modifiés. Si les Américains aiment
manger de tels produits, qu’ils les mangent. Nous n’avons pas besoin de
faire ça ; nous avons assez de place et d’occasions pour produire une
nourriture organique naturelle » [15].
Hill + Knowlton, avec ses mensonges sur les « atrocités dans les incubateurs de bébés »
au Koweït, a instrumentalisé le public américain pour qu’il supporte la
première Guerre du Golfe en Irak au début des années 90. Maintenant la
compagnie fomente une nouvelle Guerre Froide ou encore pire pour le
compte de Monsanto, récemment élue « la pire » multinationale de la
planète. C’est une chose dont il faut se souvenir au moment de la
diabolisation tous azimuts de Poutine par les médias de masse.
Joyce Nelson
Traduit par Jean-Jacques pour vineyardsaker.fr
(CounterPunch 22-24 août 2014
Joyce Nelson est un free-lance écrivain/chercheur canadien et l’auteur de cinq livres, dont
Sultans of Sleaze: PR & The Media (lien vers amazon.fr).
[1]
Press Release: The World Bank and the IMF Open up Ukraine to Western Interests (oaklandinstitute.org, english, 28-07-2014)
[2] Ibid.
[3]
Monsanto plans $140 mln Ukraine non-GM corn seed plant (reuters, anglais, 24-05-2013)
[4]
Agrarian associations initiate legalization of GM seeds in Ukraine (en.interfax.com.ua, anglais, 05-11-2013)
[5]
Sustainable Pulse Slams Ukraine Agri Associations over GM Seeds Draft Law (sustainablepulse.com, english, 05-11-2013)
[6]
Monsanto’s Commitment to Ukraine (monsantoblog.com, english, 19-12-2013)
[7]
Monsanto Ukraine Launching Social Development Program (monsantoblog.com, english, 13-12-2013)
[8]
Ukraine: Secretive Neo-Nazi Military Organization Involved in Euromaidan Sniper Shootings (globalresearch.ca, english, 03-03-2014)
[9]
‘Westerners Know Very Little About Ukraine…’: Q&A With U.S.-Ukraine Business Council President (ibtimes.com, english, 13-03-2014)
[10]
U.S. Version – Biotech Ambassadors: How the U.S. State Department Promotes the Seed Industry’s Global Agenda (foodandwaterwatch.org, english, 14-03-2014)
[11]
Corporate Interests Behind Ukraine Putsch (consortiumnews.com, anglais, 16-03-2014)
[12]
USUBC EXECUTIVE COMMITTEE & OFFICERS, 2014 (usubc.org, english, 2014)
[13]
In the battle of hearts and minds, Kiev is losing eastern Ukraine (theglobeandmail.com, english, 15-04-2014)
[14]
Press Release: The World Bank and the IMF Open up Ukraine to Western Interests (oaklandinstitute.org, anglais, 28-07-2014)
[15]
Russia postpones planting of GMOs by 3 years (Russia Today, anglais, 22-04-2014)
Source : Monsanto and Ukraine, GM Food, Ukraine and the Return of Hill + Knowlton (counterpunch.org, anglais, 22-24-08-2014)
A LIRE ABSOLUMENT POUR COMPLÉTER CET ARTICLE
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