On ne peut pas de nos jours lire un article politique ou économique, assister à un débat politique, regarder les informations, sans entendre parler de croissance. « Le retour de la croissance », « stimuler la croissance », « faire repartir la croissance » etc. autant de lieux communs dans la bouche de nos hommes politiques, journalistes, économistes. Notre ex-premier ministre va même jusqu’à parler de « croissance négative » pour éviter d’employer le mot décroissance, sans doute de peur que le ciel ne lui tombe sur la tête.
La croissance serait donc la panacée, le remède universel, à tous nos maux en particulier. Pas un journaliste pour remettre en cause le concept, et cela bien que de nombreux groupes, issus du mouvement altermondialiste, militent pour une décroissance de l’activité des pays occidentaux.
Je ne suis pas économiste, et par conséquent ce qui va suivre ne doit pas être compris comme une analyse économique, ce dont je suis bien incapable, mais plutôt comme une prise de recul face au dogme de la croissance.
Par contre je suis scientifique, et ce qui est clair, c’est qu’en science, un système en croissance permanente, c’est un système qui explose ou qui évolue vers une explosion. L’idée que l’on puisse concevoir une croissance permanente me révolte au plus haut point.
Encore une remarque naïve : comment soutenir que la croissance permet de lutter contre le chômage, quand entre 1970 et 1995, le PIB a été multiplié par dix, et que, dans le même temps, on vivait une croissance jamais vue du chômage ?
On pouvait encore, il y a quelques siècles, imaginer le monde comme infiniment grand, et il était alors difficile d’imaginer que les ressources que la Nature met à notre disposition étaient comptées.
Cependant, depuis les années soixante, nous avons réussi à aller dans l’espace, et de nos expériences extra-terrestres deux constats peuvent être faits :
-La terre est effectivement ronde, et elle n’est pas infinie.
-Les autres mondes qui pourraient nous accueillir sont inaccessibles (pour le moins dans le cadre de nos technologies et théories physiques actuelles)
Nous sommes donc coincés sur notre boule qui finalement n’est pas si grande, nous sommes entrés dans le temps du Monde fini[1]
Et malgré tout, nos dirigeants continuent à militer pour une croissance soutenue ; seule politique applicable selon eux. La plupart des économistes abondent en ce sens, nos intellectuels ne trouvent rien à redire, et les journalistes servent la soupe. Pas une fois je n’ai entendu sur un grand média un journaliste remettre en cause la croissance. Il faut dire que le pauvre ignorant qui se risquerait à remettre en cause la sacro-sainte économie libérale risquerait le bannissement, le bûcher étant passé de mode. Il y a une quinzaine d’années, si je me souviens bien, lors d’une émission « La marche du siècle », Jean-Marie Cavada, au cours d’une discussion sur l’économie, avait dit à Albert Jacquard quelque chose du genre « Mais on ne peut pas faire ce que vous suggérez, cela va à l’encontre des lois économiques ». Albert Jacquard avait répondu le plus simplement du monde, à un Cavada halluciné, (je cite approximativement) « Mais qui a fait ces lois économiques ? Nous. Hé bien, si nous les avons faites, nous pouvons les changer. »
Malheureusement, si, à l’époque on pouvait encore entendre épisodiquement ce genre de discours, depuis, l’image de l’économie vue comme une science s’est encore renforcée. Le travail de fond réalisé par les mouvements ultra-libéraux, visant à faire accepter leurs théories économiques comme des lois scientifiques contre lesquelles on ne peut aller, a porté ses fruits. Ils sont allés jusqu’à usurper le titre de prix Nobel d’économie, alors que cette discipline n’a jamais fait partie de la liste des prix Nobel[2]. En conséquence, personne, en tout cas dans les médias institutionnels, n’ose remettre en cause l’économie de marché.
Continuer à prôner la croissance alors que les ressources pétrolières s’épuisent, que la pollution de la planète continue à un rythme effréné, que les forêts primaires régressent, est criminel.
Il faudra bien un jour mettre à bas le mythe de la croissance, et commencer à repenser notre manière de gérer notre Terre, il serait temps que des intellectuels dignes de ce nom émergent et remettent en cause notre modèle économique, sinon l’explosion est inéluctable car ça, en revanche, c’est une loi scientifique.
P.S. Si cet article suscite des commentaires, essayons de dépasser le sempiternel argument du style « Si ce n’est pas l’économie de marché alors c’est le communisme, et on sait ce que cela a donné. ». Le communisme a échoué, l’économie de marché est en train d’échouer, c’est pourquoi il faut penser autrement, et tout est à inventer.
[1] Cf. Albert Jacquard « Le temps du monde fini » - Seuil
[2] Cf. Serge Halimi « Le grand bond en arrière » - Fayard - P.25
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