par André Maltais
Dans la soirée du samedi, 10 octobre 2009, des milliers de soldats et policiers fédéraux, profitant du fait que leur présence dans les rues est familière depuis la militarisation de la lutte anti-drogue, envahissent subrepticement une cinquantaine d’installations de la compagnie nationale d’électricité, Luz y Fuerza del Centro (LFC) qui approvisionne plus de six millions de personnes dans le centre du pays.
Les militaires forcent les travailleurs présents à quitter les lieux et attendent que le président mexicain Felipe Calderon émette un décret liquidant purement et simplement l’entreprise publique et son syndicat, le Syndicat mexicain des électriciens (SME).
Du jour au lendemain, 44 000 travailleurs et leur famille de même que 22 000 retraités se retrouvent à la rue alors que disparaît l’un des syndicats indépendants les plus forts et combatifs du pays.
Une semaine auparavant, le gouvernement avait refusé de reconnaître l’élection de Martin Esparza à la tête d’un syndicat qui, depuis 95 ans, s’est toujours opposé aux privatisations et à l’érosion des droits des travailleurs.
Le gouvernement et ses amis des médias privés justifient un acte aussi maladroitement barbare, qui viole plus de vingt articles de la Constitution mexicaine et plusieurs conventions internationales en matière de droits syndicaux, par « l’inefficacité » de la compagnie.
Celle-ci, dit Calderon qui, pendant la campagne électorale de 2006, s’autoproclamait le « président de l’emploi », coûte davantage à l’État qu’elle ne lui rapporte parce qu’elle emploie trop de personnel et que les salaires de ce dernier sont trop élevés.
Médias et gouvernement ont en même temps lancé une campagne de salissage contre les travailleurs de l’entreprise, les accusant d’être des privilégiés responsables de la piètre qualité du service aux consommateurs : sur-tarifications, bureaucratie complexe, pannes répétées, etc.
Mais plusieurs études montrent que l’inefficacité de l’entreprise LFC a une toute autre origine.
Ainsi, le gouvernement a cessé de capitaliser l’entreprise depuis les grèves des années 1980, justement dans le but que cette dernière fonctionne mal et qu’on ait ensuite une bonne raison de la privatiser.
À l’abandon volontaire de la compagnie et de ses équipements, le syndicat ajoute que les gouvernements mexicains ont toujours empêché LFC de produire de l’électricité, préférant qu’elle achète l’énergie à prix très élevé à la Commission nationale de l’électricité et à des entreprises privées liées au gouvernement pour ensuite la distribuer presque gratuitement aux multinationales et autres grandes entreprises.
Le président du SME, Martin Esparza, explique aussi que l’un des grands enjeux de ce vol public est le réseau de 1000 kilomètres de câbles à fibres optiques que la compagnie se préparait à exploiter pour offrir aux consommateurs un service combiné électricité-téléphone-câble qui menaçait les intérêts lucratifs du secteur privé dans ce domaine.
Selon Esparza, deux ex-secrétaires à l’énergie du gouvernement mexicain, Fernando Canales Clarion et Ernesto Martens, ont formé une entreprise privée qui utilise déjà « à prix d’amis » le réseau de fibre optique de LFC.
L’entreprise liquidée est maintenant fusionnée avec la Commission fédérale de l’électricité, l’autre compagnie nationale qui fournit des services au reste du pays. Les syndicats soupçonnent que la nouvelle entité, ainsi consolidée et surtout débarrassée de son syndicat, sera bientôt privatisée.
Pour Laura Carlsen, directrice du portail internet Programme pour les Amériques, le gouvernement veut faire payer aux travailleurs les effets d’une calamiteuse crise économique provoquée par la trop grande dépendance du pays envers l’économie états-unienne.
En 2009 seulement, le pays a perdu plus d’un million d’emplois et, depuis l’arrivée au pouvoir du « cauchemar » Calderon, au moins 2.8 millions d’emplois dont un très grand nombre dans les secteurs les plus intégrés à l’économie états-unienne.
Le quotidien La Jornada révèle que 76.000 faillites d’entreprises sont survenues au cours des six derniers mois seulement!
La réponse du gouvernement est pathétique. Il a annoncé des coupures dans ce qui reste des programmes sociaux et des fonds destinés aux municipalités, a créé de nouveaux impôts à la consommation, s’est attaqué aux travailleurs syndiqués et continue de clamer sa foi inébranlable dans le modèle du libre-échange.
Il a aussi accompagné la hausse des prix des aliments, presque tous importés des États-Unis, par celle des prix de l’essence et de l’électricité.
Le mécontentement social croît de jour en jour, au Mexique, nous dit Manuel Perez-Rocha, membre du conseil exécutif du Réseau mexicain d’action contre le libre-échange (RMALC, en espagnol), et pourrait bien éclater en cette année du bicentenaire de l’indépendance et du centenaire de la révolution mexicaine.
Alors que le président Barack Obama a abandonné sa promesse électorale de renégocier l’ALÉNA, un tribunal de ce dernier vient d’obliger l’état mexicain à payer un dédommagement obscène de 77.3 millions de dollars à la multinationale Cargill pour avoir interdit l’entrée de sirop de maïs qui menaçait l’industrie sucrière locale.
Pendant ce temps, les États-Unis subventionnent généreusement leur propre industrie sucrière.
Des secteurs entiers de la population et des régions presque complètes du pays ont tout simplement cessé de reconnaître un gouvernement et une classe politique corrompus qui maintiennent un cap vieux d’il y a trente ans consistant à sacrifier l’agriculture et l’industrie nationale pour le bénéfice d’une toute petite minorité.
Invité par des organisations civiles, le président bolivien, Évo Morales, de passage à Cancun, lors du récent Sommet des pays d’Amérique latine et des Caraïbes (22, 23 et 24 février), a fait un malheur en appelant la gauche mexicaine à s’unir et à « faire sa révolution ».
Une semaine auparavant, des centaines de personnalités et d’organisations (incluant le SME et les centaines de milliers de sympathisants d’Andres Manuel Lopez Obrador, « président légitime » du Mexique), créaient le Comité civil national pour la révocation du mandat de Felipe Calderon.
Ce comité tiendra une consultation populaire, en mai prochain, et s’attend à obtenir plus de 16 millions de « oui » en faveur de la révocation du « président bâtard ».
Dans une « Proclamation aux peuples du Mexique », les révocateurs rappellent que, fortement soupçonné d’avoir volé l’élection présidentielle, Calderon a été intronisé sous escorte militaire dans un Congrès occupé par l’opposition et cerné par des centaines de milliers de protestataires.
Il s’est ensuite empressé de lancer la « guerre aux trafiquants de drogue », initiative permettant à un président faible et sans légitimité populaire, de renforcer son pouvoir en mobilisant les Forces armées dans tout le pays comme en Colombie.
Le « champion de la lutte contre l’insécurité et la délinquance, soulignent les auteurs de la proclamation, a réussi à faire du Mexique le pays le plus insécure et le plus violent du monde en temps de paix ». Un pays qui a connu 15,000 assassinats et 7,000 disparitions au cours des deux dernières années.
« L’actuelle crise mexicaine, qui est économique, politique, environnementale et culturelle, concluent les révocateurs, n’est comparable qu’à celles ayant précédé la révolution d’indépendance (1810), les guerres de réforme (1857-1867) et la révolution mexicaine de 1910. »
L'Aut'journal
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