24 juin 2011

EcologieInédit Un AZF nucléaire est possible en France

Par OWNI

Eric Ouzounian est journaliste. Il est l’auteur du livre Vers un Tchernobyl Français? (Nouveau Monde Editions, 2008)

Même les scientistes les plus extrémistes en conviennent, le risque zéro n’existe pas en matière nucléaire. Au Japon, il est particulièrement important. L’archipel nippon est situé au confluent de quatre plaques tectoniques, et on y enregistre 20% des séismes les plus violents de la planète. Les centrales nucléaires situées au bord de la mer ne pouvaient résister à un tsunami de cette violence, et aucune mesure de sécurité n’était capable d’empêcher un accident de l’ampleur de celui qui se déroule à Fukushima. Le risque a été délibérément sous estimé par les autorités japonaises, qui n’ont jamais vérifié sérieusement les affirmations de l’opérateur japonais TEPCO, pour d’évidentes raisons économiques.

En France, le risque sismique est bien moindre. Les antinucléaires évoquent pourtant des situations potentiellement dangereuses à Fessenheim ou Cadarache et surtout, il est maintenant avéré qu’EDF a sciemment minoré ce risque en se fondant sur d’autres chiffres que ceux qui figurent dans la base SisFrance, qui sert de référence. La loi fait pourtant obligation à l’ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) de définir et d’actualiser les règles fondamentales de sécurité (RFS). L’ASN détermine le séisme de référence et doit contrôler qu’EDF rend ses centrales conformes aux normes édictées. Or, l’attitude d’EDF est étrange. Pourquoi avoir fourni des chiffres tendancieux sur la réalité des risques ? Pourquoi avoir tenté de passer outre les avis des experts de l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) ? Les coûts envisagés pour mettre à jour la sécurisation des centrales seraient extrêmement lourds et si EDF ment, pour des raisons d’économies, sur un risque où elle n’a pas grand-chose à craindre, quelle crédibilité peut on lui donner sur des types de risques autrement plus élevés ?



La France compte 58 centrales nucléaires qui produisent plus de 80% de l’électricité et permettent au consommateur Français de payer l’une des factures les moins chères du monde. En trois décennies, aucun accident d’envergure ne s’est produit, la technologie française est reconnue pour sa sureté, et son savoir faire s’exporte aux 4 coins du monde. Pourtant, si depuis 30 ans, aucun accident majeur ne s’est produit, c’est parce que les procédures de sureté mises en place par le CEA dans les années 60 et 70 ont été scrupuleusement respectées et que le matériel était récent. Or le parc nucléaire est vieillissant et il se dégrade lentement, faute d’un entretien suffisant. Les restrictions budgétaires font que les procédures routinières de sécurité ne sont plus systématiquement effectuées. La sous-traitance a augmenté de manière inflationniste, les personnels non statutaires sont moins bien formés et travaillent dans des conditions de stress inquiétantes.
Le tournant financier

Ce point est le plus alarmant. La maintenance est pratiquement entièrement externalisée. Lors des arrêts de tranche (rechargement en combustible), la pression est très forte pour que les délais soient respectés et que les centrales se remettent à tourner au plus vite. Les sociétés sous-traitantes reportent la pression sur les intérimaires qu’ils emploient et la souplesse de ces derniers est un élément clé de leur emploi.

Il faut accepter de travailler le samedi et le dimanche et ceux qui refusent risquent leur job. Quand un prestataire commence un travail sur un lieu donné, EDF ne tient aucun compte du fait que le salarié peut effectuer un trajet de 500 km pour s’y rendre. Il doit quitter sa famille le dimanche après midi et l’ambiance le lundi à l’embauche est tendue. La prise d’antidépresseurs est courante, la consommation d’alcool et de cannabis également. Les employés viennent souvent avec des caravanes et se retrouvent au camping. Parce que les frais journaliers ne dépassent pas 53 euros et qu’avec cette somme, il est impossible de se nourrir et de se loger. Un employé de la centrale de Bugey confiait récemment :

A ce compte là, il ne faut pas se demander si un accident va arriver, mais quand il va survenir.

De son côté EDF assure que le seul critère pour sélectionner ses prestataires est celui du mieux disant en matière de sécurité. Cependant les salariés sur le terrain, comme les représentants syndicaux au sein des CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), constatent chaque jour que les sous-traitants retenus le sont parce qu’ils présentent des devis moins élevés. Dans son rapport annuel de 2009, l’ASN d’ailleurs avait exigé d’EDF de réaliser des progrès à ce sujet.



Lorsqu’ EDF est créée le 8 avril 1946, son rôle est de produire de l’électricité au moindre coût pour les français. C’est au cours des années 90 que la question de la répartition des bénéfices que dégage l’entreprise nationale commence à être évoquée. L’Etat, dont l’endettement devient inquiétant, exige une meilleure rémunération. Ensuite, l’ouverture du capital et la transformation du statut d’EDF amènent la société à mettre en tête de ses objectifs la croissance des bénéfices dans les années 2000.

EDF passe en 2004 du statut d’entreprise publique à caractère industriel et commercial à celui de société anonyme. Son capital reste détenu à 84, 48% par l’Etat, mais le leader mondial de l’électricité recherche désormais à maximiser ses profits, fragilisé par la croisade que mène l’Union Européenne contre les monopoles d’Etat et les services publics. Ce qui avait auparavant été considéré comme une bonne gestion : redistribuer les bénéfices aux usagers en faisant en sorte de ne pas augmenter les prix, est à présent caduc. La recherche effrénée d’économies, le “cost killing” désorganisent le fonctionnement et altèrent jusqu’à la culture de sécurité qui prévalait jusque là.

Les risques sont bien réels. Le nucléaire est une industrie dangereuse et elle ne peut être confiée qu’à des entreprises commerciales. Le manque de transparence de l’entreprise Tepco au Japon est égale à celle des entreprises françaises, Areva ou EDF. L’opacité est de rigueur et le contrôle effectué par les pouvoirs publics est insuffisant. En France, en 2011, un AZF nucléaire n’est pas à exclure.
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Crédits photo: etgeek, carolinadoug, Emmanuel Salomon

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