26 septembre 2012

Nouvelles d'Athènes (I)





Greek crisis | par Panagiotis Grigoriou. Historien et Ethnologue


Les Épigones de l'utopia



Gertrud Höhler, et son dernier essai : « Die Patin »

L'utopie (utopia) est déjà un « non lieu », un espace « défait », un ailleurs. Souvent, elle renvoie à un temps mort qui n'est certainement pas le Paradis des chrétiens, et des autres hétéronomes planétaires. Ce qui en fin de compte rend encore plus rude la tâche des praticiens utopistes. Nous y sommes, c'est à dire, nous incarnons ces « praticiens utopistes » d'un « non lieu » symbolique, social et sociétal, au beau milieu de cet ex-pays (re)devenu espace, car extirpé du temps, ou plus précisément de sa maîtrise. Les accidentés de la rocade du temps c'est bien nous. En d'autres termes, on tourne en rond. Le mémorandum c'est aussi cela et c'est une réussite. Pour ses initiateurs bien entendu.
Dans les ruines de la vieille douane du Pirée - 09/2012
Hier lundi (24/09), nos journalistes étaient en grève. Certes, sur Internet le flux des titres et des liens ne s'est pas vraiment interrompu, seulement, nous étions épargnés de l'interminable mille-pattes des informations, à la radio ou à la télévision, pour ceux qui les supportent encore. Et il y a fort à parier que ces derniers seraient finalement assez nombreux, tout comme les électeurs de Samaras, souvent les mêmes d'ailleurs, ceci expliquerait donc cela... S'y ajoute ce dernier temps, la presse de pacotille dont certains hebdomadaires banalisent les mauvais symboles, que l'on aperçoit désormais dans nos rétroviseurs brisés de l'après accident. Comme un illustré, titrant cette semaine : « L'Aube dorée au pouvoir ». C'est déjà fatiguant et pas drôle du tout.

« L'Aube dorée au pouvoir » -  09/2012
Plus sérieusement, « Crash », la revue politique bi-mensuelle du journaliste Trangas, publie une interview de Gertrud Höhler, universitaire et femme des lettres. Elle fut militante de longue date de la CDU, et conseillère en communication de responsables politiques, notamment de l'ancien chancelier Helmut Kohl. Dans son dernier essai : « Die Patin » (littéralement « la marraine » aux éditions Orell Füssli en Allemagne), il est question d'Angela Merkel, qualifiée par Gertrud Höhler de « louve assoiffée de pouvoir », une chancelière enfin « qui est sur le point de bâtir un système autoritaire dissimulé (...) et en même temps, d'imposer un jeu européen démoniaque ». Cette interview, évidemment ignorée des autres médias, a trouvé un large écho médiatique dans la rare presse anti-mémorandum la semaine dernière. Il est vrai que Samaras se présente comme étant à la bonne écoute de la chancelière, et depuis un temps, « ceci devient réciproque », selon l'imagerie médiatique du régime, qui rien que de ce fait, ne devrait pas accorder trop de publicité à l'essai de Gertrud Höhler. Son livre en tout cas, sera prochainement traduit en grec et disponible donc en librairie chez nous. (Et dans le monde de l'édition francophone ?)

Vangelis Meimarakis - Source : enikos.gr
Car à part Antonis Samaras, de nombreux Grecs non germanistes, souhaitaient en savoir davantage sur le parcours et la vie de Madame Merkel. Sauf que depuis ce week-end, Samaras notre sinistre... écouteur, a l'air inquiet et pour cause, son temps politique, vient de subir à son tour et brusquement, un... accident de rocade. Tout a commencé avant hier où dans son édition du dimanche (25/09), le journal « Real-News », a révélé que « le Président de l'Assemblée nationale, Vangelis Meimarakis, George Voulgarakis et Michalis Liapis, tous anciens ministres (importants) du gouvernement Costas Karamanlis [Nouvelle Démocratie 2004-2009], ainsi qu'une société immobilière appartenant à Ioannis Karouzos, auraient été impliqués dans une énorme affaire d'évasion fiscale et d'enrichissement illicite. Et ceci, selon les dépositions de certains témoins, produites dans le cadre d'une enquête judiciaire en cours. Notons qu'entre l'entrepreneur Ioannis Karouzos et l'homme politique Vangelis Meimarakis, subsistent des liens de compérage.

Cette enquête des Procureurs [d'Athènes], toujours en cours, révèle en effet une affaire de crime financier, et en même temps, un scandale politique d'envergure si cela s'avère exact. Elle porte sur les transactions immobilières datant de la période 2005-2008 concernant certaines zones [d'investissement immobilier] communément appelées « filets » (sic), à Athènes et ailleurs. Selon les témoins déjà entendus, ces transactions, dont les acheteurs furent ces hommes politiques, ne formaient que la « vitrine », servant à dissimuler « l'argent noir »,[et] pour une somme globale dépassant les 10 milliards d'euros.

Friches urbaines - Athènes centre 09/2012
Pour les fonctionnaires du « Service Vérificateur contre la Criminalité Économique » (SDOE), ainsi que

pour la Justice, si l'on considère les rapports issus des plaintes, il devient d'emblée évident, que l'entreprise du constructeur-promoteur et agent immobilier Ioannis Karouzos, présentait jusqu'en 2004 une activité fort limitée. Ce n'est qu'à partir de 2005 qu'une explosion inexpliquée de richesse (sic) s'est concrétisée, surtout qu'au même moment, cette ex-petite entreprise a accédé au crédit bancaire, par une facilité jusqu'alors inédite, et pour des sommes réellement vertigineuses.

Ces hommes politiques sont ainsi impliqués dans cette affaire suite à une plainte, déposée depuis Octobre 2010 par l'agent immobilier Iosif Livanos, un ancien collaborateur de Ioannis Karouzos. La déposition de Livanos révélait « que les trois ex-ministres étaient d'emblée mêlés dans cette escroquerie, ainsi qu'un complice armateur, qui avec l'aide de l'épouse de Karouzos, ont expédié de grandes quantités d'argent, d'abord vers un pays voisin grâce à une banque étrangère installée en Grèce, et ensuite vers d'autres pays en Amérique latine, par l'intermédiaire de sociétés offshore ». Livanos, dans sa déposition s'exprime même en ces termes : « À ma grande surprise, j'ai remarqué d'abord la grande facilité par laquelle [Karouzos] agissait de la sorte, puis désigna Vangelis Meimarakis, Giorgos Voulgarakis, Michalis Liapis, ainsi que de l'armateur Nikolaos Tsakos. Il a également précisé que la somme ainsi exportée (sic) atteignait 10,27 milliards d'euros, dont 250 millions d'euros, furent déposés dans des banques en Angleterre, tandis que lui et son épouse Rebecca Skaftoura, ne détenaient en réalité, qu'une petite partie de ce pactole ». « Blanchiment » [donc] d'argent » :

Friches urbaines - Athènes centre 09/2012
Plus graves encore, s'avèrent les dépositions d'un ancien associé de Karouzos, Giorgos Zografakis, qui est l'actuel propriétaire et représentant légal des dix-neuf sociétés du Groupe Karouzos. Dans une lettre d'information qu'il a adressée au Service Vérificateur contre la Criminalité Économique, G. Zografakis explique : « Le véritable objectif du consortium Karouzos fut d'escroquer l'État, c'est à dire, (de) blanchir l'argent des hommes politiques, notamment celui de certains anciens ministres. Ayant exercé leurs fonction, évidemment, à la tête de ministères stratégiques, gérant plusieurs contrats et commissions dans le domaine de l'armement [Meimarakis fut ministre de la Défense de 2006 à 2009]. Les promoteurs du Groupe Karouzos avaient réussi à pénétrer le monde politique, mais aussi, le système judiciaire. L'argent en provenance des pots-de-vin des ministres transitait via les entreprises du groupe, qui le « blanchissaient », avant de le transférer à l'étranger. Il n'a pas donc servi dans l'investissement immobilier. Pour leurs services, les entrepreneurs, retenaient une petite partie du capital « en transit ». Le partage final de toutes ces sommes s'effectuait évidemment à l'étranger [par discrétion]. À chaque fois qu'une telle « mission d'argent » vers l'étranger devenait nécessaire, un crédit bancaire [leur] était accordé, suivant des procédures totalement opaques, servant à faire valoir auprès de la Banque de Grèce la provenance légale de ces sommes. Désormais, et par ce procédé cet argent devenait « exportable ». En réalité, c'était le produit du « recel » qui fut ainsi transféré. » (journal – Real-News, 24/09).

Dans le quartier  de Sotère le chien - 09/2012
Hier (24/09), Vangelis Meimarakis a annoncé son « auto-suspension sans démission » (sic) de ses fonctions. Lundi midi, Giorgos Voulgarakis a déposé une plainte visant Iosif Livanos, Giorgos Zografakis et Ioannis Karouzos rendant publique sa position sur twitter : « C'est de la calomnie, du mensonge et de la diffamation » a-t-il noté. Ce matin (25/09), à travers le quotidien troïkan Ta Nea (version électronique), on peut lire « qu'en ce moment ce qui compte n'est pas de savoir si deux ou tente-deux politiciens sont corrompus, les corrompus existent certes (…) mais de voir enfin la Grèce conclure rapidement le nouvel accord avec la Troïka (…) car il y en a assez de toute cette mauvaise suite qui ne fait que nourrir notre insécurité nationale ». C'est là dessus, que Nikos Chatzinikolaou, directeur, à la fois de Real-News et Real-Fm, a répliqué depuis les micros de sa radio : « D'abord, ceci dure je rappelle depuis deux ans... ni le « Service Vérificateur contre la Criminalité Économique » (SDOE), ni la Justice, n'ont voulu donner réellement suite à cette affaire. Le dossier d'instruction « hibernait » au fond d'un tiroir, et je sais qu'un certain nombre de ses pièces à conviction se sont volatilisées. Dire que la démocratie est menacée par exemple, suite à notre reportage relève du propos vulgaire. J'ai pris connaissance de l'existence de ce dossier d'instruction mercredi dernier, et nous avons décidé sa publication. Je souhaite que les trois hommes politiques demeurent innocents, sauf qu'ils doivent désormais le prouver » (Real-FM, 25/09).

Affiche SYRIZA - réunion de quartier - 09/2012
Véritable affaire ? Intoxication ? Et pourquoi en ce moment et non pas avant ? En tout cas, on parle encore, et une fois de plus et de trop, d'euros et du « légalisme offshore ».

Voilà comment et combien ce monde « innocent » nous entoure... jusqu'à étouffement. Les politiciens, les entrepreneurs, les armateurs, les banquiers et les marchands d'armes sont à l'origine de l'utopia de notre temps présent. Les électeurs des Samaras, et des autres (le cas échéant) « poupées dorées » du néant politique global, sont tout autant responsables à leur niveau. Lorsqu'on ne se pose plus aucune question ayant du sens, c'est qu'on se prépare à sortir du cadre du temps. C'est aussi (en partie) cela, la Grèce de 2012. Et pour 2013 on avisera.

Le hasard de l'actualité a fait que c'est également « [à] propos du billet de Jacques Sapir : « Les paris stupides (II) (Blaise Pascal, Jacques Prévert et les choix de François Hollande) », un texte de Paul Jorion paru sur son blog (23/09), que j'ai exprimé sous forme de commentaire la réflexion suivante (une fois de plus à propos de l'euro) :

« L’euro pour nous, n’existe plus. C’est presque une monnaie devenue virtuelle, et depuis sa création déjà, plus chère à acheter que le dollar (US), en tout cas pour ce qui est des sujets de la baronnie (Ex-Grèce) et de son ex-État. Les banques n’accordent plus de crédit, les entreprises restantes doivent tout régler en liquide, les maisons d’édition par exemple n’arrivent plus à importer du papier, certains médicaments font défaut, des employés n’ont pas reçu de salaire depuis plusieurs mois, notre sociabilité en meurt aussi, car nombreux sont ceux qui s’enferment chez eux : « Ma maison c’est ma cellule, nul besoin d’un autre univers concentrationnaire comme jadis durant les totalitarismes précédents, nous mourrons tous comme les rats… » m’a dit hier un ami journaliste, au chômage aussi. Puis, dresser toute cette liste des « sans-euros » nous (et vous) fatiguerait car elle est interminable. C’est ainsi que depuis Athènes, en pleine économie démonétarisée nous pouvons suivre ce débat du jour avec le… scepticisme des mourants ! Europe fantôme ou alors « monstre » ? »

Athènes centre 09/2012
Il était donc intelligemment aussi question de la zone euro et de ses suites possibles ou impossibles dans ce billet. Mais à force (et en attendant), nous ici, nous risquons de passer aussi de l'autre côté de l'intelligence. « J'ai plus changé en deux ans de chômage, qu'en 28 ans de travail », disait hier mon ami journaliste. Il n'a pas pu encore sortir de chez lui hier pour se rendre à la manifestation des journalistes grévistes (et chômeurs). « Mon corps ne répond plus à rien.... j'ai quarante euros pour finir le mois et rien pour commencer le suivant. On peut mettre les politiciens et les banquiers en prison demain matin, cela n'aura aucun impact sur ma vie... relever un pays c'est encore autre chose ». Je lui ai offert une petite aide et une petite glace ailleurs que chez « Bonne Glace S.A. », car cette entreprise connue du quartier, a fait faillite. Au moins on pourra faire réparer nos vieux vêtements à proximité, aux nouvelles merceries de la ville, pour trois à dix euros le vêtement usé, en non pas pour dix milliards d'euros (même hypothétiques).

« Bonne Glace S.A. » - 09/2012
"Réparez vos vêtements" Athènes - 09/2012
À ce propos, on peut pourtant se demander comme l'homme de la rue ce matin : « mais d'où viendrait cet argent ? » ; j'y ajouterais, inventé pour servir ainsi, dans sa variante en provenance des banques, créatrices de crédit. Une telle « richesse gratuite », accordée aux Karouzos du... Carrousel des maléfices d'Athènes, ou à ceux des autres Carrousels du monde actuel, c'est aussi cela l'utopie.

Finissons donc par revenir si possible un peu dans le temps. D'abord demain, lors de la grève générale pour insister dans un certain essentiel, puis, et c'est dans l'anecdotique, en précisant à l'attention des lecteurs du blog et après enquête, que Sotère, le chien du précédent biller n'est plus... depuis 2011. Sur la photo que j'ai réalisé récemment au centre d'Athènes, c'est en quelque sorte son épigone qui apparaît, un autre chien. C'était donc un chien de rue nommé Sotère, mort de cancer et soigné par les petits commerçants du coin jusqu'à sa disparition. « C'est pour que nous nous rappelions de notre humanité », a déclaré un ancien du quartier parmi eux. Reste à trouver les... justes épigones à l'utopia et ce n'est pas aussi simple à réaliser que chez les chiens et les chats errants.
Athènes 25/09

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