Politis | Denis Sieffert | 28 mars 2013
Un ministre du Budget qui fait l’objet d’une information judiciaire pour évasion fiscale, un ancien président de la République mis en examen, un député de droite qui insulte un juge, des accusations d’antisémitisme qui pleuvent à tort et à travers au sein même de la gauche, une législative partielle qui fait la joie de l’extrême droite, une manifestation antigouvernementale qui tourne à l’échauffourée… Voilà, résumée en quelques mots, une semaine de notre vie politique hexagonale. De quoi, on en conviendra, créer ce qu’on appelle un « climat ». La concomitance de ces événements pourrait être tenue pour fortuite si ce tumulte n’intervenait sur fond de crise européenne majeure, si le chômage n’atteignait des sommets, et si nos gouvernants ne donnaient des signes pathétiques de désarroi. Nous avons beau savoir que l’histoire ne repasse jamais les plats, même les plus nauséabonds, on ne peut s’empêcher de retrouver dans ce brouet indigeste quelques ingrédients qui rappellent les années maudites de l’entre-deux-guerres.
En 1932 aussi, c’était la gauche qui gouvernait la France. Une deuxième mouture du Cartel des gauches, plus modérée encore que la précédente, et faible déjà devant ce qu’on appelait « le mur de l’argent ». Son leitmotiv était la résorption des déficits publics. On s’en prenait aux salaires des fonctionnaires. La France s’engluait dans le chômage et la récession. Les scandales impliquant des personnalités politiques se multipliaient : les noms d’Hanau, Oustric, Stavisky remplissaient les gazettes, ainsi qu’une affaire d’évasion fiscale impliquant une banque suisse… Jusqu’à ce que les ligues factieuses ne prennent la rue et marchent en direction de l’Assemblée nationale, un certain 6 février 1934. Cela fait tout de même quelques ressemblances.
Et la manifestation anti-mariage gay de dimanche n’est pas la moindre. Ce n’est pas le nombre des manifestants qui inquiète – on sait ce que représente la France de droite – non, ce sont ces quelques milliers qui, encouragés par une partie de l’UMP, avaient résolu d’aller sur les Champs-Élysées. « Nous voulons aller à l’Élysée ! », s’écriait même une femme qui exprimait sans doute une idée assez répandue. À la différence des précédents rassemblements de même acabit, la haine était cette fois au rendez-vous. Quant aux affaires, elles ne sont pas moins inquiétantes. Non pas d’ailleurs en elles-mêmes. Que Nicolas Sarkozy ait partie liée avec la famille Bettencourt et tire de ces relations quelques avantages n’étonne guère. Que le juge ait fini par réunir assez de preuves concordantes des visites intéressées de l’ex-président à la vieille dame n’est pas surprenant non plus. Entre parenthèses, cette affaire devrait nous inciter – fût-ce par le petit bout de la lorgnette – à réfléchir à cette élection présidentielle aussi dispendieuse qu’antidémocratique. Ce qui est le plus angoissant ici, ce sont bien les réactions du clan Sarkozy, tellement habitué à l’impunité, et tellement ignorant des limites. Dans ce concert d’invectives à l’adresse du juge Gentil, le plus véhément, sans doute parce que le plus sincère, est cette oie blanche d’Henri Guaino. Pendant que MM. Copé et Fillon protestent en façade pour mieux jubiler au fond d’eux-mêmes de voir Nicolas Sarkozy affaibli, lui, tout dévoué au culte du chef, offre sa poitrine à la mitraille. Mais, au total, cet équipage fait peur, avec ses foldingues et ses cyniques prêts à tout. Tout cela serait moins grave si le gouvernement de gauche, à force de renoncements, ne contribuait pas lui-même à la perte de crédibilité de la parole politique. Et s’il n’avait pas « son » affaire, elle aussi dévastatrice. Il ne nous appartient pas ici de dire si Jérôme Cahuzac s’est rendu coupable ou non d’évasion fiscale. Mais point besoin d’avoir fait des études de psychologie pour déceler derrière le personnage, sous son parcours personnel, au travers de ses amitiés, un homme avide d’argent. Cela n’en fait pas un délinquant, mais cela n’en faisait pas non plus un ministre du Budget idéal pour la gauche. À son sujet, Mediapart pose aujourd’hui une bonne question qui dépasse l’affaire d’un éventuel compte en Suisse : d’où venait cet argent, si argent il y a ? Une certaine proximité avec les laboratoires pharmaceutiques laisse entrevoir le pire. En 1932 déjà, le radical Édouard Herriot avait nommé un homme de droite au Budget, un certain Germain-Martin qui incarnait cette idée qui peut rendre fou tout un pays, selon laquelle gauche et droite, c’est la même chose. Et qu’il n’y a, par conséquent, rien à attendre.
La toile de fond économique et sociale est évidemment ce qui donne sens à ces affaires. Le gouvernement est dans l’impasse, et on ne voit rien dans ses décisions qui permette d’apercevoir une sortie de crise. Sans doute, François Hollande a-t-il manqué son entrée en scène, en mai dernier. On ne répétera jamais assez combien sa ratification du traité budgétaire européen, premier acte de sa mandature, l’a enfermé dans une logique dont ses électeurs ne voulaient plus. Dire, après cela, que notre ministre de l’Économie et des Finances, l’excellent Pierre Moscovici, est surtout soumis à la discipline de l’Eurogroupe, c’est-à-dire gardien du temple monétariste de la Banque centrale européenne, n’est pas lui faire injure. S’il avait eu une once d’indépendance, il se serait désolidarisé du premier plan européen de sauvetage des banques chypriotes, qui prévoyait de faire payer les petits épargnants pour sauver les milliards des oligarques russes [1]. On ne l’a pas entendu. Comme on aimerait aujourd’hui que la France porte le fer contre d’autres paradis fiscaux, moins marginaux que Chypre : le Luxembourg, par exemple, ou les îles anglo-normandes. Comme on aimerait que la France plaide avec force en faveur d’une harmonisation fiscale dans la zone euro. Mais la vérité, c’est que nous sommes pieds et poings liés.
C’est, en gros, ce qu’a dit Jean-Luc Mélenchon, dimanche, en conclusion du congrès du Parti de gauche, avec ses mots, qui ne sont pas les nôtres. C’est ce qu’a dit aussi François Delapierre, avec plus de vigueur encore. On peut discuter de l’efficacité de la rhétorique mélenchonienne et de sa propension à donner à la presse prétexte à s’attacher à la forme plus qu’au fond. C’est un vrai débat [2]. Mais, quoi qu’il en soit, la réaction d’Harlem Désir glace les os. En suggérant que l’attaque portée contre la politique défendue par Pierre Moscovici pouvait avoir des relents d’antisémitisme, le premier secrétaire du Parti socialiste a surtout témoigné de son propre désarroi. On peut être parfois exaspéré par les prestations colériques du leader du Parti de gauche, mais une chose est sûre, les similitudes avec les années 1930 ne viennent pas de son vocabulaire ; elles viennent des affaires, des mensonges et des promesses non tenues. Elles viennent d’une politique qui cesse d’être une politique quand elle se présente comme une fatalité. Jeudi soir, à la télévision, François Hollande saura-t-il donner à la gauche de nouvelles raisons d’espérer ? On en doute.
En 1932 aussi, c’était la gauche qui gouvernait la France. Une deuxième mouture du Cartel des gauches, plus modérée encore que la précédente, et faible déjà devant ce qu’on appelait « le mur de l’argent ». Son leitmotiv était la résorption des déficits publics. On s’en prenait aux salaires des fonctionnaires. La France s’engluait dans le chômage et la récession. Les scandales impliquant des personnalités politiques se multipliaient : les noms d’Hanau, Oustric, Stavisky remplissaient les gazettes, ainsi qu’une affaire d’évasion fiscale impliquant une banque suisse… Jusqu’à ce que les ligues factieuses ne prennent la rue et marchent en direction de l’Assemblée nationale, un certain 6 février 1934. Cela fait tout de même quelques ressemblances.
Et la manifestation anti-mariage gay de dimanche n’est pas la moindre. Ce n’est pas le nombre des manifestants qui inquiète – on sait ce que représente la France de droite – non, ce sont ces quelques milliers qui, encouragés par une partie de l’UMP, avaient résolu d’aller sur les Champs-Élysées. « Nous voulons aller à l’Élysée ! », s’écriait même une femme qui exprimait sans doute une idée assez répandue. À la différence des précédents rassemblements de même acabit, la haine était cette fois au rendez-vous. Quant aux affaires, elles ne sont pas moins inquiétantes. Non pas d’ailleurs en elles-mêmes. Que Nicolas Sarkozy ait partie liée avec la famille Bettencourt et tire de ces relations quelques avantages n’étonne guère. Que le juge ait fini par réunir assez de preuves concordantes des visites intéressées de l’ex-président à la vieille dame n’est pas surprenant non plus. Entre parenthèses, cette affaire devrait nous inciter – fût-ce par le petit bout de la lorgnette – à réfléchir à cette élection présidentielle aussi dispendieuse qu’antidémocratique. Ce qui est le plus angoissant ici, ce sont bien les réactions du clan Sarkozy, tellement habitué à l’impunité, et tellement ignorant des limites. Dans ce concert d’invectives à l’adresse du juge Gentil, le plus véhément, sans doute parce que le plus sincère, est cette oie blanche d’Henri Guaino. Pendant que MM. Copé et Fillon protestent en façade pour mieux jubiler au fond d’eux-mêmes de voir Nicolas Sarkozy affaibli, lui, tout dévoué au culte du chef, offre sa poitrine à la mitraille. Mais, au total, cet équipage fait peur, avec ses foldingues et ses cyniques prêts à tout. Tout cela serait moins grave si le gouvernement de gauche, à force de renoncements, ne contribuait pas lui-même à la perte de crédibilité de la parole politique. Et s’il n’avait pas « son » affaire, elle aussi dévastatrice. Il ne nous appartient pas ici de dire si Jérôme Cahuzac s’est rendu coupable ou non d’évasion fiscale. Mais point besoin d’avoir fait des études de psychologie pour déceler derrière le personnage, sous son parcours personnel, au travers de ses amitiés, un homme avide d’argent. Cela n’en fait pas un délinquant, mais cela n’en faisait pas non plus un ministre du Budget idéal pour la gauche. À son sujet, Mediapart pose aujourd’hui une bonne question qui dépasse l’affaire d’un éventuel compte en Suisse : d’où venait cet argent, si argent il y a ? Une certaine proximité avec les laboratoires pharmaceutiques laisse entrevoir le pire. En 1932 déjà, le radical Édouard Herriot avait nommé un homme de droite au Budget, un certain Germain-Martin qui incarnait cette idée qui peut rendre fou tout un pays, selon laquelle gauche et droite, c’est la même chose. Et qu’il n’y a, par conséquent, rien à attendre.
La toile de fond économique et sociale est évidemment ce qui donne sens à ces affaires. Le gouvernement est dans l’impasse, et on ne voit rien dans ses décisions qui permette d’apercevoir une sortie de crise. Sans doute, François Hollande a-t-il manqué son entrée en scène, en mai dernier. On ne répétera jamais assez combien sa ratification du traité budgétaire européen, premier acte de sa mandature, l’a enfermé dans une logique dont ses électeurs ne voulaient plus. Dire, après cela, que notre ministre de l’Économie et des Finances, l’excellent Pierre Moscovici, est surtout soumis à la discipline de l’Eurogroupe, c’est-à-dire gardien du temple monétariste de la Banque centrale européenne, n’est pas lui faire injure. S’il avait eu une once d’indépendance, il se serait désolidarisé du premier plan européen de sauvetage des banques chypriotes, qui prévoyait de faire payer les petits épargnants pour sauver les milliards des oligarques russes [1]. On ne l’a pas entendu. Comme on aimerait aujourd’hui que la France porte le fer contre d’autres paradis fiscaux, moins marginaux que Chypre : le Luxembourg, par exemple, ou les îles anglo-normandes. Comme on aimerait que la France plaide avec force en faveur d’une harmonisation fiscale dans la zone euro. Mais la vérité, c’est que nous sommes pieds et poings liés.
C’est, en gros, ce qu’a dit Jean-Luc Mélenchon, dimanche, en conclusion du congrès du Parti de gauche, avec ses mots, qui ne sont pas les nôtres. C’est ce qu’a dit aussi François Delapierre, avec plus de vigueur encore. On peut discuter de l’efficacité de la rhétorique mélenchonienne et de sa propension à donner à la presse prétexte à s’attacher à la forme plus qu’au fond. C’est un vrai débat [2]. Mais, quoi qu’il en soit, la réaction d’Harlem Désir glace les os. En suggérant que l’attaque portée contre la politique défendue par Pierre Moscovici pouvait avoir des relents d’antisémitisme, le premier secrétaire du Parti socialiste a surtout témoigné de son propre désarroi. On peut être parfois exaspéré par les prestations colériques du leader du Parti de gauche, mais une chose est sûre, les similitudes avec les années 1930 ne viennent pas de son vocabulaire ; elles viennent des affaires, des mensonges et des promesses non tenues. Elles viennent d’une politique qui cesse d’être une politique quand elle se présente comme une fatalité. Jeudi soir, à la télévision, François Hollande saura-t-il donner à la gauche de nouvelles raisons d’espérer ? On en doute.
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