En mai dernier, le vingtième anniversaire de l’Erythrée est passé pratiquement inaperçu. Qui s’est souvenu du fait qu’après vingt années de guerre, ce pays de la Corne de l’Afrique, à la fois frère et ennemi de l’Ethiopie, avait été l’un des derniers du continent à accéder à l’indépendance en 1993, incarnant à son tour les espérances que suscitent les luttes de libération ? L’Erythrée, que plus de 3000 jeunes quittent chaque mois au péril de leur vie et qui est quelquefois comparée à la Corée du Nord, l’un des pays les plus opaques qui soient, avait conquis son indépendance seule contre tous, en remettant en cause l’un des dogmes de l’Union africaine, l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Colonisée par l’Italie, qui a modelé sa capitale Asmara, l’Erythrée, après la deuxième guerre mondiale, est rattachée à l’Ethiopie, incarnée à l’époque par l’empereur Hailé Sélassié, soutenu par les Alliés. Même si les classes dirigeantes des deux pays, issues des hauts plateaux et de religion chrétienne, se ressemblent, les Erythréens, marqués par une colonisation qui a développé l’enseignement et formé de nombreux techniciens, refusent ce rattachement imposé. Très rapidement deux mouvements de libération entrent en action, le Front pour la libération de l’Erythrée, composé essentiellement de musulmans issus des basses terres proches du Soudan, et le Front populaire pour la libération de l’Erythrée, dirigé par des intellectuels chrétiens. Ces derniers se proclament marxistes, s’inspirent des techniques maoïstes et supplantent rapidement leurs rivaux du FLE. La guerre de libération s’étendra sur deux décennies, elle s’opposera d’abord à l’empereur Hailé Sélassié, puis au dictateur Mengistu Hailé Mariam, soutenu à l’époque par Cuba et l’Union soviétique. Pour contrer Mengistu, les Erythréens encouragent la création du Front populaire pour la libération du Tigré, un mouvement d’inspiration marxiste lui aussi, dirigé Meles Zenawi qui, jusqu’à sa mort à Bruxelles l’an dernier, sera Premier Ministre de l’Ethiopie.
Dès son arrivée au pouvoir, Meles Zenawi récompense son voisin érythréen pour son soutien. Très proche d’Isaias Afeworki, il accorde l’indépendance à l’Erythrée, privant ainsi l’Ethiopie de tout accès à la mer, le ports de Massawa et le terminal pétrolier d’Assab, d’une importance stratégique, devenant territoire érythréen. Mais la paix entre « cousins » ne dure guère et, entre 1998 et 2000, les deux pays, se disputant sur le tracé des frontières, se lancent dans une guerre insensée, comparée aux batailles de 14-18, où plus de 100.000 soldats seront sacrifiés pour quelques rochers du côté de Badme et de Zalambessa.
Alors que Meles Zenawi, tout aussi marxiste et nationaliste qu’Afeworki, fait preuve de pragmatisme et imprime à son pays un réel développement, son voisin érythréen, endurci par les années de maquis et de guerre, prône l’autosuffisance et ferme son pays aux influences étrangères. En 1996 cependant, étant à l’époque en très bons termes avec le FPR à Kigali, l’Erythrée participera, dans une modeste mesure, à la “première guerre du Congo ” et enverra camions et chauffeurs dans les rangs de l’AFDL.
Par la suite, malgré son réel charisme et le respect que lui vaut sa lutte pour l’indépendance, Afeworki s’enferme de plus en plus dans une sorte d’arrogante paranoïa, qui le mène à jeter en prison ses plus anciens compagnons de lutte car ils ont osé plaider en faveur de la libéralisation du régime ou dénoncé la guerre fratricide qui a saigné le pays.
En septembre 2001, Afeworki fait basculer l’Erythrée dans la dictature pure et simple: les quelques journaux indépendants paraissant à Asmara sont fermés, les journalistes rejoignent les réformateurs du parti unique, politiques et militaires, dans les conteneurs métalliques et les geôles souterraines qui servent de prison. Plus de 10.000 prisonniers subissent un système pénitenciaire qu’Amnesty international décrit comme « d’une cruauté inimaginable », des groupes religieux d’origine américaine sont interdits.
Même si l’Erythrée pratique l’isolationnisme, elle joue cependant un rôle sur la scène régionale, avant tout guidée par son hostilité à l’encontre de l’Ethiopie : c’est ainsi que le régime, bien qu’essentiellement dirigé par des chrétiens, joue la carte musulmane. Soutenu par le Qatar, il intervient à Djibouti et surtout en Somalie, où il est accusé d’appuyer les shebabs, envoyant ses colonels former des brigades islamistes.
Mais si les Erythréens quittent en masse les arides montagnes de leur pays (où des mines d’or ont cependant été découvertes par des sociétés canadiennes…) ce n’est pas à cause de sa diplomatie : c’est parce que l’économie, asphyxiée par des sanctions internationales décidées en 2009 est exsangue, parce que les pénuries, d’essence, d’électricité, se multiplient, parce que l’atmosphère politique est irrespirable, hantée par la crainte des complots et par la répression. Les jeunes partent aussi, au péril de leur vie, parce que dans ce pays-garnison vivant en perpétuel état d’urgence, le service militaire est obligatoire pour les hommes comme pour les femmes et que des kalachnikov ont été distribuées à des milices de quartiers…
Cette dictature pesante a fini par susciter des remous dans l’armée : le 21 janvier dernier, quelques 200 soldats auraient envahi le ministère de l’Information et lu un communiqué demandant la libération des prisonniers politiques.
Si les jeunes quittent un pays quelquefois appelé le bagne de l’Afrique, c’est aussi dans l’espoir de rejoindre une diaspora importante, dont les envois de fonds aident la population à survivre et qui représentent la principale source de revenus du pays. Et si les candidats à l’exil prennent le risque de mourir de soif dans les déserts soudanais ou de se noyer en mer, c’est enfin parce que l’autorisation de quitter le pays par des voies légales n’est pratiquement jamais accordée…
Pour en savoir plus : Léonard Vincent, les Erythréens, éditions Rivages, 2012
Dès son arrivée au pouvoir, Meles Zenawi récompense son voisin érythréen pour son soutien. Très proche d’Isaias Afeworki, il accorde l’indépendance à l’Erythrée, privant ainsi l’Ethiopie de tout accès à la mer, le ports de Massawa et le terminal pétrolier d’Assab, d’une importance stratégique, devenant territoire érythréen. Mais la paix entre « cousins » ne dure guère et, entre 1998 et 2000, les deux pays, se disputant sur le tracé des frontières, se lancent dans une guerre insensée, comparée aux batailles de 14-18, où plus de 100.000 soldats seront sacrifiés pour quelques rochers du côté de Badme et de Zalambessa.
Alors que Meles Zenawi, tout aussi marxiste et nationaliste qu’Afeworki, fait preuve de pragmatisme et imprime à son pays un réel développement, son voisin érythréen, endurci par les années de maquis et de guerre, prône l’autosuffisance et ferme son pays aux influences étrangères. En 1996 cependant, étant à l’époque en très bons termes avec le FPR à Kigali, l’Erythrée participera, dans une modeste mesure, à la “première guerre du Congo ” et enverra camions et chauffeurs dans les rangs de l’AFDL.
Par la suite, malgré son réel charisme et le respect que lui vaut sa lutte pour l’indépendance, Afeworki s’enferme de plus en plus dans une sorte d’arrogante paranoïa, qui le mène à jeter en prison ses plus anciens compagnons de lutte car ils ont osé plaider en faveur de la libéralisation du régime ou dénoncé la guerre fratricide qui a saigné le pays.
En septembre 2001, Afeworki fait basculer l’Erythrée dans la dictature pure et simple: les quelques journaux indépendants paraissant à Asmara sont fermés, les journalistes rejoignent les réformateurs du parti unique, politiques et militaires, dans les conteneurs métalliques et les geôles souterraines qui servent de prison. Plus de 10.000 prisonniers subissent un système pénitenciaire qu’Amnesty international décrit comme « d’une cruauté inimaginable », des groupes religieux d’origine américaine sont interdits.
Même si l’Erythrée pratique l’isolationnisme, elle joue cependant un rôle sur la scène régionale, avant tout guidée par son hostilité à l’encontre de l’Ethiopie : c’est ainsi que le régime, bien qu’essentiellement dirigé par des chrétiens, joue la carte musulmane. Soutenu par le Qatar, il intervient à Djibouti et surtout en Somalie, où il est accusé d’appuyer les shebabs, envoyant ses colonels former des brigades islamistes.
Mais si les Erythréens quittent en masse les arides montagnes de leur pays (où des mines d’or ont cependant été découvertes par des sociétés canadiennes…) ce n’est pas à cause de sa diplomatie : c’est parce que l’économie, asphyxiée par des sanctions internationales décidées en 2009 est exsangue, parce que les pénuries, d’essence, d’électricité, se multiplient, parce que l’atmosphère politique est irrespirable, hantée par la crainte des complots et par la répression. Les jeunes partent aussi, au péril de leur vie, parce que dans ce pays-garnison vivant en perpétuel état d’urgence, le service militaire est obligatoire pour les hommes comme pour les femmes et que des kalachnikov ont été distribuées à des milices de quartiers…
Cette dictature pesante a fini par susciter des remous dans l’armée : le 21 janvier dernier, quelques 200 soldats auraient envahi le ministère de l’Information et lu un communiqué demandant la libération des prisonniers politiques.
Si les jeunes quittent un pays quelquefois appelé le bagne de l’Afrique, c’est aussi dans l’espoir de rejoindre une diaspora importante, dont les envois de fonds aident la population à survivre et qui représentent la principale source de revenus du pays. Et si les candidats à l’exil prennent le risque de mourir de soif dans les déserts soudanais ou de se noyer en mer, c’est enfin parce que l’autorisation de quitter le pays par des voies légales n’est pratiquement jamais accordée…
Pour en savoir plus : Léonard Vincent, les Erythréens, éditions Rivages, 2012
url de cet article, http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2013/10/04/pourquoi-ils-quittent-lerythree/
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