A Gaza, la mise en œuvre de la vision sioniste revêt sa forme la plus inhumaine |
Info-Palestine |15 juillet 2014 | Par Ilan Pappe
Dans un article de 2006 pour The Electronic Intifada, je définissais la politique israélienne à l’égard de la Bande de Gaza comme un génocide progressif. L’attaque israélienne actuellement en cours contre Gaza indique que cette politique de génocide se poursuit sans relâche. Le terme est important, car il situe pertinemment l’action barbare d’Israël – naguère et aujourd’hui – dans un contexte historique plus vaste.
Il faudrait insister sur ce contexte, car la machine de propagande israélienne s’efforce encore et toujours de déclamer sa politique hors contexte : elle fait du prétexte qu’elle trouve pour chaque nouvelle vague de destruction la justification principale pour une autre orgie de massacres sans discrimination sur les champs de la mort palestiniens.
Le contexte
Le contexte
La stratégie sioniste qui consiste à donner à sa brutale politique l’étiquette d’une réponse adéquate à telle ou telle action palestinienne est aussi vieille que la présence sioniste elle-même en Palestine. Elle a servi à maintes reprises comme justification à la mise en œuvre de la vision sioniste d’une Palestine future qui n’aurait en elle que très peu, voire aucun Palestinien natif.
Les moyens de parvenir à cet objectif ont changé au fil des ans, mais la formule est restée la même : quelle que puisse être la vision d’un Etat juif, elle ne peut se matérialiser que si le nombre de Palestiniens y est insignifiant. Et actuellement, la vision est celle d’un Israël qui s’étend sur la Palestine historique dans sa presque totalité, là où vivent toujours des millions de Palestiniens.
Comme toutes celles qui l’ont précédée, la vague génocidaire actuelle a un arrière-plan plus immédiat. Il est né d’une tentative de contrecarrer la décision palestinienne de former un gouvernement d’union, auquel même les Etats-Unis n’avaient pu trouver d’objection.
La faillite de l’initiative de « paix » désespérée du Secrétaire d’Etat US John Kerry a légitimé l’appel palestinien aux organisations internationales pour faire cesser l’occupation. En même temps, les Palestiniens ont bénéficié d’une large approbation internationale pour leur prudente tentative, incarnée dans le gouvernement d’union, d’élaborer une fois encore une stratégie coordonnée entre les divers groupes et ordres du jour palestiniens.
Depuis juin 1967, Israël cherchait un moyen de conserver les territoires qu’il a occupés cette année-là sans intégrer leur population autochtone dans sa citoyenneté, qui implique des droits. Ce faisant il participait à un simulacre de « processus de paix » lui servant à gagner du temps ou à dissimuler sa politique de colonisation unilatérale sur le terrain.
Au fil des décennies, Israël a différencié des zones qu’il voulait contrôler directement et d’autres qu’il voulait administrer indirectement, l’objectif à long terme étant de réduire la population palestinienne au minimum, moyennant, entre autres, le nettoyage ethnique et l’étranglement économique et géographique.
La situation géopolitique de la Cisjordanie donne l’impression, du moins en Israël, qu’il est possible d’y parvenir sans avoir à présager un troisième soulèvement ni trop de condamnations internationales.
Mais la bande de Gaza, en raison de sa localisation géopolitique unique, ne se prêtait pas aussi facilement à une telle stratégie. Depuis 1994, voire plus, en tout cas depuis qu’Ariel Sharon a été au pouvoir comme Premier Ministre, la stratégie a été de ghettoïser Gaza, en espérant quelque part que les gens là-bas – 1,8 millions de personnes aujourd’hui – allaient tomber dans un oubli éternel.
Mais le Ghetto s’est montré rebelle et peu disposé à vivre dans des conditions d’étranglement, d’isolement, de misère et de faillite économique. Donc, le renvoyer aux oubliettes nécessite la poursuite de politiques génocidaires.
Le prétexte
Le 15 mai, les forces israéliennes ont tué deux jeunes Palestiniens dans la ville cisjordanienne de Beitounia, et leur assassinat de sang-froid par un tireur d’élite a été capté en vidéo. Leurs noms - Nadim Nuwara et Muhammad Abu al-Thahir — ont été ajoutés à la longue liste d’assassinats similaires ces derniers mois et ces dernières années.
Le meurtre de trois adolescents israéliens, dont deux mineurs, enlevés en juin en Cisjordanie occupée, a peut-être été commis en représailles aux meurtres d’enfants palestiniens. Mais pour toutes les exactions d’une occupation oppressive, il a avant tout fourni un prétexte pour détruire la délicate unité en Cisjordanie, et aussi pour appliquer le vieux rêve d’anéantir le Hamas à Gaza afin que le Ghetto puisse retrouver sa tranquillité.
Depuis 1994, avant même l’arrivée au pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza, la situation géopolitique très particulière de l’enclave montrait clairement que toute action punitive collective, comme celle qui est perpétrée aujourd’hui, ne pouvait être qu’une opération de tueries et de destructions massives. En d’autres mots : la continuation d’un génocide.
Savoir cela n’a jamais gêné les généraux qui donnent les ordres de bombarder les gens par les airs, par la mer et depuis le sol. Réduire le nombre de Palestiniens dans toute la Palestine historique reste toujours la vision sioniste.
A Gaza, sa mise en œuvre revêt la forme la plus inhumaine qui soit.
Le timing particulier de cette vague-ci est déterminé, comme dans le passé, par des considérations annexes. Les troubles sociaux de 2011 sont toujours frémissants et pendant un moment il y a eu une demande publique de réduire les dépenses militaires et de transférer de l’argent du budget surgonflé de la « défense » vers les services sociaux. L’armée a stigmatisé cette possibilité comme étant suicidaire. Rien de mieux qu’une opération militaire pour étouffer les voix appelant le gouvernement à faire des coupes dans ses dépenses militaires.
La marque de fabrique caractéristique de ce génocide progressif réapparaît encore dans cette vague-ci. On note à nouveau un soutien juif israélien consensuel au massacre de civils dans la bande de Gaza, sans aucune voix dissidente notable. A Tel Aviv, le petit nombre de personnes qui ont osé manifester se sont fait passer à tabac par des hooligans juifs, la police se contentant de regarder ailleurs.
Le monde académique, comme toujours, fait partie de la machinerie. La prestigieuse université privée Interdisciplinary Center Herzliya a établi un « quartier général civil » où les étudiants sont volontaires pour servir de porte-voix à la campagne de propagande à l’étranger.
Les médias sont une recrue fidèle, qui s’abstient de montrer la moindre image de la catastrophe humaine qu’Israël a déclenchée et informe son public que cette fois « le monde nous comprend et est derrière nous ».
Cette allégation est exacte en ce sens que les élites politiques occidentales continuent de fournir la vieille immunité à « l’État juif ».
Néanmoins, les médias n’ont pas fourni à Israël le niveau de légitimité qu’elle cherchait pour sa politique criminelle. Il y a des exceptions, notamment des médias français, en particulier France 24 et la BBC, qui continuent sans vergogne à régurgiter la propagande israélienne.
Cela n’a rien d’étonnant puisque les lobbys pro-israéliens continuent de travailler sans relâche à appuyer le cas d’Israël en France et dans le reste de l’Europe comme ils le font aux Etats-Unis.
A Gaza une mère réconforte son fils dans leur habitation bombardée (Ezz Zanoun / APA images) |
La voie de l’avenir
Que ce soit brûler vif un jeune palestinien de Jérusalem ou en abattre deux autres, juste pour le plaisir, à Beitounia, ou massacrer des familles entières, à Gaza, tous ces actes ne peuvent se perpétrer que si la victime a été déshumanisée.
Je veux bien admettre que partout au Moyen-Orient il y a aujourd’hui des cas horribles où la déshumanisation a récolté des horreurs inimaginables comme elle le fait à Gaza ces jours-ci. Mais il y a une différence essentielle entre ces cas et la brutalité israélienne : les premiers sont condamnés comme barbares et inhumains par le monde entier, alors que ceux commis par Israël ont toujours autorisés publiquement et approuvés par le président des Etats-Unis, les dirigeant de l’UE et les autres amis d’Israël dans le monde.
La seule chance de lutter avec succès contre le sionisme en Palestine est celle qui se base sur un agenda des droits civiques et politiques qui ne fasse pas de distinction entre une violation et une autre et qui identifie clairement victimes et bourreaux.
Ceux qui dans le monde arabe commettent des atrocités contre des minorités opprimées et sans défense, tout comme les Israéliens qui commettent ces crimes contre le peuple palestinien, devraient tous être jugés selon les mêmes critères moraux et éthiques. Ce sont tous des criminels de guerre, bien que dans le cas de la Palestine ils soient en activité depuis plus longtemps que quiconque.
Peu importe en réalité l’identité religieuse des gens qui commettent les atrocités ou au nom de quelle religion ils prétendent parler. Qu’ils se dénomment djihadistes, judaïstes ou sionistes ils devraient être traités de la même manière.
Un monde qui cesserait d’utiliser deux poids, deux mesures dans ses relations avec Israël, c’est un monde qui pourrait être bien plus efficace dans sa réponse aux crimes de guerre ailleurs dans le monde.
Faire cesser le génocide progressif à Gaza et restituer aux Palestiniens leurs droits humains et civiques élémentaires, où qu’ils se trouvent, y compris le droit au retour, c’est la seule voie ouvrant une perspective nouvelle sur une intervention internationale productive au Moyen-Orient dans son ensemble.
* Auteur de plusieurs ouvrages, Ilan Pappe est historien israélien et directeur de l’European Centre for Palestine Studies à l’Université d’Exeter
Que ce soit brûler vif un jeune palestinien de Jérusalem ou en abattre deux autres, juste pour le plaisir, à Beitounia, ou massacrer des familles entières, à Gaza, tous ces actes ne peuvent se perpétrer que si la victime a été déshumanisée.
Je veux bien admettre que partout au Moyen-Orient il y a aujourd’hui des cas horribles où la déshumanisation a récolté des horreurs inimaginables comme elle le fait à Gaza ces jours-ci. Mais il y a une différence essentielle entre ces cas et la brutalité israélienne : les premiers sont condamnés comme barbares et inhumains par le monde entier, alors que ceux commis par Israël ont toujours autorisés publiquement et approuvés par le président des Etats-Unis, les dirigeant de l’UE et les autres amis d’Israël dans le monde.
La seule chance de lutter avec succès contre le sionisme en Palestine est celle qui se base sur un agenda des droits civiques et politiques qui ne fasse pas de distinction entre une violation et une autre et qui identifie clairement victimes et bourreaux.
Ceux qui dans le monde arabe commettent des atrocités contre des minorités opprimées et sans défense, tout comme les Israéliens qui commettent ces crimes contre le peuple palestinien, devraient tous être jugés selon les mêmes critères moraux et éthiques. Ce sont tous des criminels de guerre, bien que dans le cas de la Palestine ils soient en activité depuis plus longtemps que quiconque.
Peu importe en réalité l’identité religieuse des gens qui commettent les atrocités ou au nom de quelle religion ils prétendent parler. Qu’ils se dénomment djihadistes, judaïstes ou sionistes ils devraient être traités de la même manière.
Un monde qui cesserait d’utiliser deux poids, deux mesures dans ses relations avec Israël, c’est un monde qui pourrait être bien plus efficace dans sa réponse aux crimes de guerre ailleurs dans le monde.
Faire cesser le génocide progressif à Gaza et restituer aux Palestiniens leurs droits humains et civiques élémentaires, où qu’ils se trouvent, y compris le droit au retour, c’est la seule voie ouvrant une perspective nouvelle sur une intervention internationale productive au Moyen-Orient dans son ensemble.
* Auteur de plusieurs ouvrages, Ilan Pappe est historien israélien et directeur de l’European Centre for Palestine Studies à l’Université d’Exeter
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http://electronicintifada.net/conte...
Traduction : Info-Palestine.eu - Marie Meert
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