Militants syndicaux, nous vivons une douloureuse contradiction :
D’un côté, les travailleurs salariés qu’ils soient du public ou du privé, actifs, chômeurs, « précaires » ou retraités, subissent la plus grave offensive antisociale depuis la guerre. Poussés par la crise d’un système capitaliste délesté de tout contrepoids mondial, les forces du grand capital, sociétés transnationales et institutions de la mondialisation financière, impérialismes rivaux des différents continents, Union européenne, MEDEF et gouvernements maastrichtiens successifs, ont entrepris de détruire les conquêtes sociales et démocratiques de deux siècles de luttes. En quelques décennies, l’industrie française a été largement dépecée et une bonne partie de la classe ouvrière et des régions industrielles a été déclassée et marginalisée ; les statuts et les conventions collectives ont été brisés ou affaiblis. La précarité a fait des bonds de géant ainsi que le chômage de masse, la misère, les inégalités, la paupérisation de nombre de travailleurs. L’indemnisation du chômage est devenue de plus en plus difficile et restrictive. Les acquis sociaux (retraites, sécu, etc.) sont en grave recul. Les services publics (Poste, France-Télécom, SNCF, EDF, Education nationale, hôpital public...) sont asphyxiés, « libéralisés », « dégraissés », désossés, privatisés, tandis que le secteur public industriel (Renault, SNECMA, EDF), base d’un plan démocratique de ré-industrialisation du pays est quasiment liquidé, à l’instar d’une recherche publique et d’un investissement universitaire gravement anémiés…
Dans ces conditions, les tendances à l’affrontement de classes ne peuvent que s’affirmer comme on l’a vu en décembre 1995, au printemps 2003 et dans les récents conflits de la SNCM ou de la RTM. Le triomphe du Non ouvrier et républicain le 29 mai a été l’occasion de conscientiser et de synthétiser ces résistances sociales et civiques ; il a ouvert une crise politique profonde qui donne à la classe ouvrière et au monde du travail la possibilité de reprendre l’initiative, ce qui pousse la grande bourgeoisie à accélérer à tout prix l’intégration européenne et la fascisation d’une 5ème République en bout de course.
D’un autre côté, la fracture se creuse entre l’aspiration des salariés et des jeunes au « tous ensemble » contre l’oligarchie financière et sa politique maastrichtienne, et la frilosité, voire le sabotage des états-majors syndicaux, qui se refusent à dynamiser et fédérer les luttes, comme l’ont montré les conflits successifs de novembre 2005. Au niveau international, la « Confédération Européenne des Syndicats » est l’outil de la stratégie du patronat supranational pour impulser le syndicalisme d’accompagnement des contre-réformes dont l’objectif est de contenir la contestation des salariés dans les limites définies par le patronat. Dans cette droite ligne, la CFDT est devenue en France un porte parole pur et simple de l’UE, du gouvernement et du MEDEF qui divise les luttes, appuie « syndicalement » les contre-réformes sous couvert de les « infléchir » à la marge, dévoie de l’intérieur les fronts syndicaux et appelle ouvertement à l’échec des luttes quand celles-ce se développent.
Mais le ver est également dans le fruit des organisations syndicales dont l’histoire est liée au combat de classe et plus généralement, aux luttes pour la république, la laïcité, la paix et la démocratie. Les organisations les plus importantes du syndicalisme étudiant ont fait le choix de la cogestion, empêchant de fait tout développement de la lutte collective. Les espoirs initiaux nés de la création de la FSU sur les décombres de la FEN et de la volonté de développer un syndicalisme de lutte de classe et de masse en milieu enseignant ont été largement déçus : face à la volonté des pouvoirs maastrichtiens successifs d’aligner la France, héritière des luttes ouvrières et laïques menées depuis 1789, sur le modèle éducatif anglo-saxon, la FSU hésite et n’engage que des demi-combats, davantage destinés à « peser », à « infléchir », à « réorienter », à « remettre à plat » qu’à GAGNER. Elle s’est soumise, sans vrai débat de fond, à la construction capitaliste européenne, cultive l’illusion euro-réformiste et multiplie les démarches pour un strapontin à la CES après avoir longtemps hésité à condamner le traité constitutionnel européen.
Cette évolution est encore plus préoccupante concernant la CGT. La CGT, sous le drapeau rouge de laquelle la classe ouvrière a résisté au quotidien et remporté d’immenses victoires en 1936, 1945/46 et 1968, est toujours et de loin le syndicat le plus combatif et le plus représentatif, celui qui attire le plus les ouvriers et les employés, les techniciens voire les agents de maîtrise et cadres, celui dont les militants sont les plus nombreux aux manifs et dans les grèves nationales. Les traditions du syndicalisme de lutte, de classe et de masse y sont toujours vivaces, non seulement dans les entreprises et certaines fédérations mais aussi dans beaucoup d’UL ou d’UD. Mais la CGT a subi des mutations négatives notamment depuis la fin des années 80. S’éloignant des principes de classe, la direction confédérale a dérivé vers une conception de moins en moins combative de l’engagement syndical jusqu’à apparaître comme un obstacle aux luttes et à leur convergence. Invoquant la « modernité » et la « culture de négociation », il s’agit désormais, dans le cadre du syndicalisme rassemblé en-haut, non pas de résister en s’en donnant les moyens, mais de discuter entre « partenaires » des contre-réformes et régressions successives. Cette position qui aspire, au mieux, à « maîtriser le capital », ne fait en réalité que l’accompagner. Elle rend impuissant un mouvement populaire mis à la remorque d’accords a minima entre états-majors débouchant sur l’organisation de grandes journées unitaires laissées sans suite. La direction CGT déploie ainsi beaucoup d’énergie pour empêcher la cristallisation des mouvements comme en 2003 mais ne fait rien pour rapprocher les luttes et tenter de construire le « tous ensemble » permettant aux salariés de gagner en même temps plutôt que de perdre successivement et séparément. Pire, elle érode la combativité, pourtant résolue, en laissant isolées et sans soutien des luttes exemplaires, telles celles des salariés de la SNCM et de la RTM. Comment s’étonner alors que Chérèque puisse tranquillement faire son travail en insultant les salariés en grève et que ce climat favorise la chasse engagée contre les militants syndicaux ? Enfin, alors que la CGT de Frachon et Séguy se réclamait à la fois de l’internationalisme et de la souveraineté nationale, l’état-major confédéral est devenu « euroconstructif » et a intégré la CES après avoir quitté la FSM. Il s’est rallié au principe de la « construction européenne » et au mythe de « l’Europe sociale », sans remarquer que l’Europe supranationale n’est rien d’autre, par sa nature et son histoire, qu’un Empire du grand capital. Il en est même venu à se lamenter dans la presse sur le « manque de démocratie interne» suite à la décision salutaire du CCN d’engager la CGT dans la campagne du NON, pourtant attendue et saluée par les syndiqués, et plus généralement par une grande majorité de la population ! Il a, démocratiquement bien sûr, refusé d’appliquer cette décision du CCN !
En réalité, l’état-major confédéral cherche à engager définitivement toute la CGT dans le syndicalisme euro-réformiste en brisant le syndicalisme de lutte et de classe qui conteste aussi la propriété et le pouvoir capitalistes et qui a fait la force de la CGT comme des salariés. Si les syndicats « se contentent de mener une guerre d’escarmouche contre les effets du système actuel, au lieu d’essayer en même temps de le changer, en se servant de leur force organisée comme d’un levier pour l’émancipation finale de la classe ouvrière » (Marx), ils désarment celle-ci pour le plus grand profit des milieux patronaux. Ce recentrage des directions du syndicalisme de lutte dans l’accompagnement de la casse sociale et nationale est un élément clé de la stratégie du Capital qui multiplie les encouragements à poursuivre le processus, tels Villepin décernant des brevets de responsabilité à Thibault en plein conflit sur la SNCM ou, plus récemment, le Financial Times priant pour la réélection de ce dernier lors du 48ème congrès de la CGT. Ce sont d’ailleurs les cégétistes les plus liés au grand capital (notamment ceux qui, comme Le Duigou, co-gèrent le groupe « Confrontations-Europe », rassemblés avec de grands patrons dont Francis Mer !) qui, sous le masque de « l’indépendance syndicale », ont impulsé cette dérive.
Toutefois, comme le prouve la bataille syndicale pour le NON menée à la base sans Thibault et contre la direction confédérale, la CGT dispose encore d’un large potentiel de résistance et de militance lui permettant de redevenir la grande confédération de la lutte des classes, moderne et fidèle à ses principes, capable d’attirer à elle des millions de jeunes salariés combatifs. Là est la solution pour mettre un terme, non seulement à l’éparpillement syndical et à la désyndicalisation du salariat, mais à la « recomposition » du syndicalisme autour d’un pôle euro-réformiste qui signifie en fait la mort de la CGT en tant que syndicat de classe et, pour les salariés, le retour à des formes d’exploitation confinant à l’esclavage.
C’est pourquoi, nous, militants syndicaux attachés à nos organisations respectives mais fidèles à des principes de lutte et de classe qui transcendent les organisations et les appareils, appelons nos camarades syndicalistes à se regrouper autour de la défense du syndicalisme de classe et de ses structures, d’abord dans l’unité d’action, puis, quand les conditions seront créées, dans une grande Confédération Générale du Travail fidèle à ses principes. Pour être gagnant, ce syndicalisme ne peut avoir seulement pour but d’arracher au capital des réformes positives pour les salariés, mais aussi celui d’abolir l’exploitation capitaliste par la socialisation des moyens de production et d’échange. La question de la propriété est centrale : on ne mettra pas un terme au chômage, à la baisse du pouvoir d’achat, à la casse des acquis sociaux, à la déliquescence du lien social, sans la re-nationalisation démocratique (sans indemnités pour les grands actionnaires) des entreprises industrielles et de service privatisées par les gouvernements maastrichtiens successifs, sans la nationalisation du crédit et des banques, sans un plan démocratiquement défini de ré-industrialisation du pays mettant au premier plan les besoins des salariés, du pays, de l’humanité, les exigences écologiques dans la perspective d’un véritable développement durable et équilibré de la France, de l’Europe et de toute la planète. Cela suppose de fédérer les résistances interprofessionnelles et de constituer de larges plates-formes syndicales interprofessionnelles et confédérale capables d’impulser le « tous ensemble » et de créer les conditions d’une offensive victorieuse des travailleurs salariés, des retraités, des chômeurs et précaires, des étudiants et de la jeunesse. Cela suppose aussi de militer pour un véritable internationalisme, opposé au nationalisme comme au « supra-nationalisme » européiste, engagé à tout le moins contre l’UE des traités de Maastricht et de Nice, dans la construction de convergences internationales de lutte et d’alliances privilégiées entre syndicats de lutte, le développement d’une puissante Fédération Syndicale Mondiale combative et démocratique, le combat en France contre le racisme, l’extrême droite, la surexploitation patronale de l’immigration, le maintien de rapports néo-coloniaux entre la France et ses anciennes colonies.
Le sens du présent manifeste n’est donc pas de fonder une « tendance » mais avant tout, de créer du lien. Séparément, nous serons marginalisés par les tenants du syndicalisme d’accompagnement et livrés à la répression patronale et gouvernementale, tandis qu’ensemble, nous pourrons résister, passer à l’offensive et aider les syndiqués à se réapproprier l’outil syndical pour briser la déferlante patronale.
Nous invitons donc les militants CGT et FSU à des rencontres communes dans les départements et au niveau national pour :
- définir des objectifs d’action fédérateurs, en particulier dans le contexte de la préparation du 48ème congrès de la CGT étroitement surveillée et balisée par la direction confédérale. Ces dirigeants qui ont paralysé les luttes et les ont menées à l’échec ne doivent pas pouvoir « boucler » tranquillement leur congrès de mutation définitive de la CGT !
- élaborer et diffuser des analyses et des appels communs.
Nous proposons dans ce but la tenue d’Assises nationales du syndicalisme de lutte, de classe et de masse.
Enfin, nous proposons de contribuer au développement des campagnes contre la criminalisation du mouvement social et la répression des militants syndicaux les plus combatifs en redonnant sens et vigueur à la solidarité syndicale de classe.
source: COLLECTIF UNITAIRE POUR UN FRONT SYNDICAL DE CLASSE
lien: collectif.syndical.classe@wanadoo.fr
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