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Victimes de la trajectoire technologique du TGV
Paru l’an dernier, le Rapport Duron relativise l’intérêt de nombreux projets de TGV. Mais aujourd’hui, on a l’impression que les groupes de pression régionaux et autres en faveur du TGV sont plus forts que jamais, et qu’au fond rien n’a changé.
Ainsi, le Président de la République a reçu des élus du Limousin venus défendre leur LGV, le 29 septembre dernier. Le rythme sera tenu, a dit le Président, et la déclaration d’utilité publique est prévue pour la fin de l’année 2014 ou le début de l’année 2015. Il ressort donc que plus que jamais, les élus tiennent à « leur » LGV.
En fait nous sommes victimes d’un phénomène de la physique, que l’on pourrait appeler « trajectoire technologique », terme qui m’a été soufflé par M. Ménerault, professeur de géographie à Lille que j’ai interviewé récemment : dès que la politique va dans le sens d’une technique, il est difficile de l’arrêter car les décideurs en redemandent, de la même manière qu’il est difficile d’arrêter un solide en mouvement dans l’air. Ainsi du TGV. Il a concentré une bonne partie des investissements sur le réseau ferré ; plus grave, depuis plus de trente ans, il monopolise les imaginations, les stratégies.
Résultat, aujourd’hui, les élus en veulent à tout prix sans réellement peser le pour et le contre, sans vraiment répondre aux arguments hostiles ou sceptiques. Le pire est que dans le même temps, le trafic du TGV se met à baisser : mais peu importe, le désir des élus n’est pas rationnel. Et à l’horizon, pointent les intérêts de groupes de BTP, qui ont naturellement intérêt à ces projets prestigieux. Le comble de l’absurde est constitué par le tunnel Lyon – Turin, toujours à l’agenda alors que les trafics de marchandises par cet axe se sont effondrés, et que même par la route, ils plafonnent depuis quelques années.
Le contre-exemple est celui des RER dans les villes de province : on sait que ce type d’infrastructure est complètement absente en dehors de Paris, et elle ne figure guère à l’agenda des élus dominants. Mais si une ville s’en équipait, mettons Lyon, toutes les autres villes de taille comparable en voudraient. Alors qu’aujourd’hui, quiconque en parle passe pour un extra-terrestre.
Pour le TGV, le choix fait aujourd’hui est inflationniste : dans le nombre de projets envisagés, leur coût, et le prix final du billet. Cette inflation est gênante dans un contexte économique clairement déflationniste. Personne parmi les élus ne semble y avoir réfléchi.
Sur le fond, implicitement, le choix politique est un abandon complet du réseau en dehors des LGV et de leurs prolongements et de quelques axes fret ou régionaux à fort potentiel « spontané » (dont la ligne Nancy – Metz – Luxembourg, que j’emprunte quotidiennement, est un cas achevé). Le Limousin et l’Auvergne sont au coeur de ce problème : désormais coupées l’une de l’autre par une fermeture de ligne, on voit bien que le réseau classique risque d’y faire naufrage au sens propre, mais les élus ne font rien et réclament plus que jamais la LGV. C’est plus vendeur et cela permet de masquer l’absence de stratégie, de réflexion sur le rôle que peut jouer le réseau ferré dans la mobilité d’aujourd’hui et de demain.
Vincent Doumayrou,
auteur du livre La Fracture ferroviaire – Pourquoi le TGV ne sauvera pas le chemin de fer, Préface de Georges Ribeill, Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2007.
http://lafractureferroviaire.skynetblogs.be
Le lien vers l’article qui évoque la rencontre entre F. Hollande et les décideurs limousins : http://www.lepopulaire.fr/limousin/actualite/2014/09/30/lgv-limoges-poitiers-les-elus-limousins-confiants-apres-leur-rencontre-avec-francois-hollande_11163450.html
Source : http://carfree.fr/index.php/2014/10/17/victimes-de-la-trajectoire-technologique-du-tgv/
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