Je vous en préviens, ce qui suit fera causer dans le Landerneau écologiste, et ce ne sera que justice. Pour l’occasion, je vous prie de faire circuler massivement ce qui relève avant tout de l’information. Faites-le, car les enjeux, comme vous le découvrirez dans les différents épisodes de cette tragique pantalonnade, sont considérables. Chopez donc votre carnet d’adresses, et alertez !
Commençons par le commencement. France Nature Environnement (FNE) est une confédération d’environ trois mille associations locales ou régionales - elles-mêmes fédérées, comme Bretagne Vivante - de protection de la nature. Née en 1969, FNE (ici) est devenue au fil des années une petite bureaucratie, chargée de gérer les intérêts communs. Si j’emploie le mot de bureaucratie, c’est simplement pour dire que ses responsables se sont peu à peu, sans s’en rendre compte je pense, éloignés des pratiques démocratiques. Cela arrive aux meilleurs.
Donc, une lente mais irrésistible décadence de l’esprit de liberté, entretenu par une source de financement majeure : l’État. C’est l’État, depuis des lustres, qui paie les factures. Le ministère de l’Écologie, à lui seul, offre près de 45 % du budget. Bien que les chiffres ne soient pas transparents, on peut estimer que les financements publics représentent au moins 65 % des dépenses de FNE. Peut-être davantage. À quoi il faut ajouter des partenariats avec des entreprises privées, dont on va reparler. Il faut donc composer. Et quand on a d’emblée l’échine souple, cela ne fait même pas mal.
Le président de FNE, avec qui j’ai eu l’occasion, il y a peu, de ferrailler, s’appelle Sébastien Genest. Il préside un conseil d’administration de 22 membres, qui ne sont pas des malandrins, je le précise. Je connais personnellement Frédéric Jacquemart, qui est un brave. D’autres doivent aussi être d’excellentes personnes. Je ne le conteste évidemment pas. Mais il n’empêche.
Au moment du Grenelle de l’Environnement d’octobre 2007, Sarkozy et Borloo ont réussi un coup de maître en transformant en interlocuteurs légitimes ceux que la droite - la gauche aussi, d’ailleurs - avait toujours méprisés. Les « écolos » pénétraient dans les salons ministériels et tapaient sur l’épaule du ministre, ou presque. La bureaucratie de FNE en a été encore plus tourneboulée que le WWF, Greenpeace ou la Fondation Hulot. C’est dire. À l’époque, les « négociateurs » de FNE étaient considérés par les autres associations comme de simples faire-valoir du pouvoir. C’est un fait. Je ne peux écrire ici ce que j’ai entendu alors de la bouche de personnalités écologistes. Cela serait très offensant pour FNE. L’antienne était que la proximité entre le ministère de Borloo et FNE était complète, totale. Indécente même.
Nous y sommes enfin. Peut-être connaissez-vous l’association bretonne Eau et rivières de Bretagne (ERB). À mes yeux, c’est l’une des plus intéressantes de France. Créée elle aussi en 1969, elle a mené un combat homérique, parfois héroïque contre l’agriculture productiviste et les pollutions chimiques (ici). ERB appartient au réseau FNE, et vient d’envoyer une lettre inouïe à son président, j’ai nommé Sébastien Genest. J’ai mes sources, comme dirait l’autre, et je vais vous en faire profiter.
La lettre est datée du 23 février 2009, et n’a pas eu le temps de sécher. ERB reproche tout d’abord d’étranges comportements de FNE dans le cadre de discussions avec le ministère de Jean-Louis Borloo. Ses petits chefs ont ainsi décidé, sans en avertir ERB, pourtant partie prenante, de traiter en direct avec le cabinet de Borloo sur l’importante réforme des installations classées pour la protection de l’environnement. Pourquoi ? Et de quel droit ?
Mais le pire n’est pas encore là. FNE, dans le dos d’ERB, a décidé un partenariat avec la société Compo (ici), spécialisée dans les pesticides, et associée depuis 2005 avec le géant de l’agrochimie Syngenta. Beau, hein ? Pour Compo, il y a deux bonnes raisons de désherber son jardin. La première est « esthétique », car « les mauvaises herbes et la mousse, ça ne fait pas très propre ». Texto. La seconde est préventive, car « les mauvaises herbes peuvent attirer des insectes ou être des vecteurs de maladies pour le reste des plantes ». Texto derechef.
On espère vivement que le partenariat, pour FNE, est juteux. Car cela s’appelle se vendre. Ni plus ni moins. Voici en complément un large extrait de la lettre d’Eau et Rivières de Bretagne, qui mérite bien cette publicité : « Votre communiqué du 6 février dernier nous a appris la décision de FNE de “s’associer avec la société COMPO” ! Les pratiques commerciales et publicitaires des entreprises et marques de cette société (Algoflash, Resolva, Pack Aïkido (glyphosate), Debrouss EV, Monam Ordoval…) sont celles contre lesquelles se battent quotidiennement notre association et les organisations de consommateurs : incitation au désherbage chimique systématique, (…) offres promotionnelles incitant à la surutilisation des pesticides (…)
Ce partenariat est pour nous inacceptable. Au-delà de FNE, il ternit l’image de nos associations engagées de longue date dans un combat difficile contre ce type de pratiques : cf. procès Monsanto, actions menées en Bretagne dans le cadre du programme eau & pesticides etc…
Nous vous demandons de bien vouloir nous informer des conditions dans lesquelles ce partenariat a été engagé (quelle concertation préalable, qui a décidé ?) et souhaitons qu’il y soit mis fin rapidement.
Nous ne pourrons pas poursuivre le légitime combat mené pour réduire l’utilisation des pesticides par les particuliers, et en même temps, par notre adhésion à FNE, cautionner ce partenariat qui constitue à nos yeux, à la fois une faute éthique et une erreur stratégique ».
La lettre s’achève sur une vigoureuse et douloureuse interrogation. Voici : « Notre conseil d’administration s’interroge sur la promiscuité grandissante entre FNE, la FNSEA, et les tenants de l’agriculture raisonnée : présence largement médiatisée de JC Bevillard [ chargé de mission de FNE] le 21 février aux côtés du Ministre de l’Agriculture et du Président du réseau FARRE au lancement de « Terres 2020 », présence de deux représentants de la FNSEA (P. Ferrey, R Bailhache) au prochain congrès, mais par contre… absence de tout représentant de l’agriculture durable et biologique à ce congrès !
En Bretagne, première région agricole de France, si les associations travaillent régulièrement en partenariat avec le réseau agriculture durable, la fédération régionale de l’agriculture biologique et parfois avec la confédération paysanne ; elle constatent, certes une inflexion des discours des FDSEA et des chambres d’agriculture mais le maintien d’un soutien sans faille à un modèle intensif qui ne laisse aucune chance, ni aux ressources naturelles, ni à la biodiversité…».
Voilà, chers lecteurs. Grave ? Dramatique, oui. Il y a quelque chose de pourri au royaume de l’écologie. Et n’oubliez pas qu’il y aura sous peu, ici même, d’autres épisodes. Retenez votre place.
Fabrice Nicolino
source:Planète sans visa