Feever | Thomas Halter | 30 octobre 2013
Si vous avez toujours rêvé de vous la péter dans les soirées en ville en rabattant son caquet à Jean-Eudes qui sait toujours tout sur tout, ce qui suit est pour vous : Feever va tenter chaque semaine de vous permettre d’aborder en toute confiance le monde pas si obscur que ça des relations internationales. Vous n’aurez plus la moindre excuse de vous en foutre de ces sujets qui vous concernent infiniment plus que vous ne le croyez. Plus besoin de se taper des chips mous arrosés de River Cola dans des vernissages underground pour avoir quelque chose à raconter…
Cette semaine, exceptionnellement, notre analyse du monde est marquée du signe du rabat-joie, du party pooper, de l’empêcheur de s’amuser en rond, du Schtroumpf à lunettes bientôt corrigé par le Schtroumpf costaud, du barde réduit au silence lors du banquet de fin d’une aventure d’Astérix. À travers un édito parano qui coupe les poils de cul en huit, nous allons tenter de mettre en avant ce qu’est le soft power, arme parmi les plus efficaces de l’arsenal diplomatico-propagandiste des grandes puissances impérialistes. Exemple à l’appui avec la ferveur halloweenesque qui envahit les esprits des grands et des petits au seul profit des confiseurs, déguiseurs et autres dentistes… Et de la politique internationale américaine.
Tout d’abord, définissons ce qu’est le soft power. Il s’agit de la force de persuasion d’une institution (état, entreprise, religion, association d’états, d’entreprises, d’intérêts…) émanant non pas de son pouvoir coercitif mais de ce que l’on pourrait rassembler sous les termes d’image, de relations publiques. Contrairement à la menace ou au chantage (économique, militaire, politique…) qui visent à imposer sa volonté à un tiers, le soft power s’applique à changer, en douceur, la volonté de ce tiers. Ce qui est d’autant plus efficace que cette persuasion est durable et apparaît comme naturelle, émanant de l’individu ou de la collectivité elle-même.
La culture, les médias, l’exemplarité par une attitude « ouverte » et « progressiste », la renommée scientifique, économique, sportive ou encore les artefacts consuméristes (Coca Cola, iPhone, prêt-à-porter…) en font partie, sans nécessairement être conçus en tant qu’armes de persuasion massives. Tout cela participe à la définition d’un mode de vie et d’un système de valeurs séduisants qui, par contagion, persuadent du bien-fondé ou de la nécessité d’une politique.
Résumé : le soft power s’apparente à de la séduction en matière de relations internationales. Obama le sympa, qui fait un fist bump au concierge de la Maison Blanche ; les Simpsons qui font rire et attendrissent le monde entier ; les exploits sportifs de Michael Phelps ou de Michael Jordan ; l’aspect sympathique et bon enfant d’une fête comme Halloween ; le cheese burger au bacon… Tout cela contribue à l’image positive de l’Amérique et de ses valeurs. Les actes de politique étrangère des USA seront donc plus faciles à vendre en raison de la sympathie que suscitent tous ces facteurs et de l’attrait pour le mode de vie à l’américaine.
Ceci étant établi, attardons-nous sur Halloween. Tout d’abord, qu’est-ce que c’est ? Pour faire court (et sans remonter jusqu’à ses origines païennes), disons qu’il s’agit de la célébration de la veille de la Toussaint, lorsque les âmes des morts refont surface et qu’on leur laisse donc de quoi grignoter et une lanterne pour se chauffer. Diverses traditions similaires exist(ai)ent dans le monde, dont chez nous : vos (grands-)parents se souviennent peut-être avoir fait des lanternes à base de légumes au début de l’automne pour aller chercher, de nuit, l’âne égaré de Saint-Martin.
Mais qui s’en souvient ? Certainement pas moi (merci Internet). Au-delà de ça, faites un sondage autour de vous et comparez le nombre de gens qui se déguisent le 31 octobre avec ceux qui vont fleurir les tombes des morts le lendemain. Sans appeler au traditionalisme réactionnaire, force est de constater que l’adoption du mode de vie à l’américaine depuis la seconde guerre mondiale fait encore des progrès. S’il n’y a pas de mal à s’amuser comme on l’entend le 31 octobre, il est important d’avoir conscience de la normalisation de l’adoption de ce type de traditions mercantilisées.
Ajoutez à cela tout le tcham-tcham commercial autour de la Noël et de la Saint-Valentin, et demandez à vos aînés comment l’on célébrait celles-ci il y a quelques décennies. Vous comprendrez un peu mieux à quoi ressemble l’impérialisme culturel et sa diffusion via le soft power : à travers des films, des pubs, de la musique et des événements commerciaux, la Toussaint, la Noël et la Saint-Valentin ont réussi à répandre à travers le monde un certain mode de vie, l’American way of life.
Mais qui s’en souvient ? Certainement pas moi (merci Internet). Au-delà de ça, faites un sondage autour de vous et comparez le nombre de gens qui se déguisent le 31 octobre avec ceux qui vont fleurir les tombes des morts le lendemain. Sans appeler au traditionalisme réactionnaire, force est de constater que l’adoption du mode de vie à l’américaine depuis la seconde guerre mondiale fait encore des progrès. S’il n’y a pas de mal à s’amuser comme on l’entend le 31 octobre, il est important d’avoir conscience de la normalisation de l’adoption de ce type de traditions mercantilisées.
Ajoutez à cela tout le tcham-tcham commercial autour de la Noël et de la Saint-Valentin, et demandez à vos aînés comment l’on célébrait celles-ci il y a quelques décennies. Vous comprendrez un peu mieux à quoi ressemble l’impérialisme culturel et sa diffusion via le soft power : à travers des films, des pubs, de la musique et des événements commerciaux, la Toussaint, la Noël et la Saint-Valentin ont réussi à répandre à travers le monde un certain mode de vie, l’American way of life.
Résumé : grâce à la culture américaine dont nous sommes friands, et parfois à raison, un certain style de vie s’est exporté à travers le monde sans imposer les critères religieux et les traditions qui y sont liées. Ce qui fonctionne mieux que la persécution religieuse à l’encontre de ceux qui, par exemple, ne vont pas à la messe le soir de Noël. Cela construit une proximité culturelle artificielle qui nous fait nous sentir plus proches des Américains que d’autres cultures littéralement voisines mais pour lesquelles nous n’avons pas le même intérêt.
À Bruxelles, un quart de la population a des « origines » musulmanes. Mais qui parmi vous a déjà célébré l’Aïd el-Kebir (fête du mouton), le nouvel an juif (Roch Hachana) ou tout simplement la fête de la Communauté flamande par simple sympathie pour l’un de vos proches ? Et qui n’a jamais raillé la culture de son voisin sans se rendre compte importer soi-même une bonne partie de sa culture ?
À Bruxelles, un quart de la population a des « origines » musulmanes. Mais qui parmi vous a déjà célébré l’Aïd el-Kebir (fête du mouton), le nouvel an juif (Roch Hachana) ou tout simplement la fête de la Communauté flamande par simple sympathie pour l’un de vos proches ? Et qui n’a jamais raillé la culture de son voisin sans se rendre compte importer soi-même une bonne partie de sa culture ?
Vous comprenez peut-être un peu mieux désormais en quoi le soft power vous influence. Nous sommes souvent plus prompts à condamner nos voisins dont les traditions leur donnent l’allure de sauvages, d’étrangers, de gens autres. Cela contribue à vous empêcher d’aller à la rencontre de l’autre, de le comprendre, d’échanger. Alors même que vous adoptez un style de vie US sans le savoir, et bien que vous soyez peut-être le premier à critiquer la politique internationale américaine, vous identifiez plus facilement l’arabe, le musulman, le juif ou le Flamand (ou flamand, c’est selon) comme un autre, un concurrent, un adversaire en termes de valeurs et de culture (et a fortiori de politique). Malgré le fait que vous ayez bien plus en commun avec lui qu’avec l’Américain moyen.
Si l’on pense en outre à la culture de la peur (films d’horreur, épouvante, déguisements…) sur laquelle nous reviendrons dans un prochain article, le chantage terroriste (« file-moi des bonbecs ou je balance des œufs sur ta maison ») institutionnalisé et le sexisme (les déguisements féminins pour Halloween sont plus slutty que scary) exportés par cette fête (d’origine britannico-celte mais américanisée depuis le début du XXe siècle), Halloween est plus qu’une simple tradition festive. Elle incarne des valeurs, un mode de vie, une vision consumériste des traditions religieuses et folkloriques.
Comme pour de nombreux sujets, de l’effroyable « évidence imposée » d’une société injuste régie par le capitalisme financier à la « nécessité » humanitaire de bombarder tel ou tel pays, le soft power contribue à façonner les esprits de manière à ce qu’ils soient dans les meilleures dispositions possibles pour accepter l’inacceptable. Et surtout, cet hégémonisme culturel s’accompagne d’un état d’esprit qui suscite un mépris réflexe pour les opinions divergentes, qui favorise l’établissement de principes aberrants comme autant de « vérités », qui met au premier plan des intérêts des citoyens devenus consommateurs le divertissement et le sexe.
Quelques épisodes de votre série préférée, une pipe et au lit ! La justice sociale, le Grand Soir, un monde meilleur, tout ça… On verra après les fêtes de fin d’année. Ou après la Coupe du Monde.
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