Stop TAFTA | 11-12-2013
Alors que rien, depuis son lancement il y a près d’une dizaine d’années, n’est sorti du Programme de Doha pour le développement, un cycle de négociations commerciales mondiales sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce, un autre round de négociations est en préparation. Cependant, cette fois, les négociations ne se dérouleront pas sur une base multilatérale mondiale ; au lieu de cela, deux grands accords régionaux – l’un transpacifique et l’autre transatlantique – doivent être négociés. Les prochains pourparlers sont-ils susceptibles d’avoir plus de succès ?
Le Cycle de Doha a été torpillé par le refus des États-Unis de mettre fin à leurs subventions agricoles – une condition sine qua non pour tout véritable cycle de développement, étant donné que 70% de la population des pays en développement dépend de l’agriculture, de manière directe ou indirecte. La position américaine était véritablement à couper le souffle, étant donné que l’OMC avait déjà jugé que les subventions accordées au coton américain – qui bénéficient à moins de 25.000 riches agriculteurs – étaient illégales . La réponse de l’Amérique a été de corrompre le Brésil, qui avait déposé la plainte, pour le convaincre de ne pas poursuivre l’affaire, laissant sur le carreau des millions de pauvres cultivateurs de coton en Afrique subsaharienne et en Inde, qui souffrent de la baisse des prix en raison de la générosité de l’Amérique envers ses riches agriculteurs.
Compte tenu de cette histoire récente, il semble maintenant clair que les négociations visant à créer une zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Europe, et un autre entre les Etats-Unis et une grande partie du Pacifique (à l’exception de la Chine), ne portent pas sur l’établissement d’un véritable système de libre-échange. Au lieu de cela, l’objectif est un régime commercial géré – géré, c’est à dire qui sert les intérêts particuliers qui dominent depuis longtemps la politique commerciale occidentale.
Il y a quelques principes de base que ceux qui entament les discussions devront, on l’espère, prendre à cœur. Tout d’abord, tout accord commercial doit être symétrique. Si, dans le cadre du « Partenariat transpacifique » (TPP), les Etats-Unis exige que le Japon élimine ses subventions à la production rizicole, les États-Unis devraient, en retour, offrir d’éliminer leurs propres subventions à la production (et sur la consommation d’eau), non seulement sur le riz (qui est relativement peu important aux États-Unis), mais aussi sur d’autres produits agricoles.
Deuxièmement, aucun accord commercial ne devrait pas placer les intérêts commerciaux avant les intérêts nationaux plus larges, en particulier lorsque des questions non liées au commerce telles que la régulation financière et la propriété intellectuelle sont en jeu. L’accord commercial entre l’Amérique et le Chili, par exemple, empêche l’utilisation par le Chili des contrôles de capitaux – même si le Fonds monétaire international reconnaît maintenant que les contrôles de capitaux peuvent être un instrument important de la politique macro-prudentielle.
D’autres accords commerciaux ont également insisté sur la libéralisation et la déréglementation financières, quand la crise de 2008 aurait dû nous apprendre que l’absence de réglementation adéquate peut mettre en péril la prospérité économique. L’industrie pharmaceutique américaine, qui exerce un poids considérable au sein du bureau du Représentant américain au Commerce (USTR), est parvenue à refiler à d’autres pays un régime de propriété intellectuelle déséquilibré, qui, conçu pour lutter contre les médicaments génériques, accorde davantage de valeur au profit qu’aux vies qui attendent d’être sauvées. Même la Cour suprême américaine a déclaré à présent que le Bureau américain des Brevets est allé trop loin en accordant des brevets sur les gènes.
Enfin, il doit y avoir un engagement de transparence. Or, ceux qui se lancent dans ces négociations commerciales doivent être prévenus : les Etats-Unis se sont engagés à un manque de transparence. Le bureau de l’USTR a été réticent à révéler sa position de négociation, même aux membres du Congrès américain ; sur la base de ce qui a été divulgué, on peut comprendre pourquoi. Le bureau de l’USTR fait marche arrière sur des principes – par exemple, l’accès aux médicaments génériques – que le Congrès avait insérés dans des accords commerciaux précédents, comme celui avec le Pérou.
Dans le cas de la TPP, il y a une préoccupation supplémentaire. L’Asie a développé une chaîne d’approvisionnement efficace, avec des marchandises qui passent facilement d’un pays à l’autre au cours du processus de production de produits finis. Mais le TPP pourrait interférer avec celle-ci si la Chine reste en dehors des négociations commerciales.
Puisque les tarifs officiels sont déjà tellement bas, les négociateurs se concentreront surtout sur les obstacles non tarifaires – tels que les obstacles réglementaires. Mais le bureau de l’USTR, qui représente les intérêts des entreprises, poussera presque sûrement pour le plus petit commun dénominateur, incitant un nivellement vers le bas plutôt que vers le haut. Par exemple, de nombreux pays ont adopté des dispositions fiscales et réglementaires qui découragent les grosses voitures – non pas parce qu’ils essaient de discriminer les produits américains, mais parce qu’ils s’inquiètent de la pollution et de l’efficacité énergétique.
L’argument plus général, évoqué plus haut, est que les accords commerciaux mettent généralement les intérêts commerciaux avant les autres valeurs – le droit à une vie en bonne santé et à la protection de l’environnement, pour n’en nommer que deux. La France, par exemple, veut une « exception culturelle » dans les accords commerciaux qui lui permettrait de continuer à soutenir ses films – qui bénéficient à l’ensemble du monde. Ceci et d’autres valeurs plus larges devraient être non négociables.
En effet, l’ironie est que les avantages sociaux liés à ces subventions sont énormes, tandis que les coûts sont négligeables. Peut-on vraiment croire qu’un film d’art français représente une menace sérieuse pour un blockbuster de l’été hollywoodien ? Pourtant, la cupidité de Hollywood ne connaît aucune limite et les négociateurs commerciaux américains ne font pas de quartiers. C’est précisément pour cela que ces éléments doivent être retirés de la table avant le début des négociations. Sinon, on forcera les mains et il existe un risque réel qu’un accord puisse sacrifier les valeurs fondamentales pour les intérêts commerciaux.
Si les négociateurs créaient un véritable régime de libre-échange, mettant l’intérêt public en avant et accordant au moins autant de poids au point de vue des citoyens ordinaires qu’à celui des lobbyistes d’entreprise, je pourrais être optimiste et penser que ce qui en sortira permettra de renforcer l’économie et améliorer le bien-être social. La réalité, cependant, est que nous avons un régime commercial géré qui donne la priorité aux intérêts des entreprises et un processus de négociation qui n’est ni démocratique ni transparent.
La probabilité que ce qui ressortira des discussions à venir puisse servir les intérêts des Américains ordinaires est faible ; les perspectives pour les citoyens ordinaires des autres pays sont encore plus sombres.
Compte tenu de cette histoire récente, il semble maintenant clair que les négociations visant à créer une zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Europe, et un autre entre les Etats-Unis et une grande partie du Pacifique (à l’exception de la Chine), ne portent pas sur l’établissement d’un véritable système de libre-échange. Au lieu de cela, l’objectif est un régime commercial géré – géré, c’est à dire qui sert les intérêts particuliers qui dominent depuis longtemps la politique commerciale occidentale.
Il y a quelques principes de base que ceux qui entament les discussions devront, on l’espère, prendre à cœur. Tout d’abord, tout accord commercial doit être symétrique. Si, dans le cadre du « Partenariat transpacifique » (TPP), les Etats-Unis exige que le Japon élimine ses subventions à la production rizicole, les États-Unis devraient, en retour, offrir d’éliminer leurs propres subventions à la production (et sur la consommation d’eau), non seulement sur le riz (qui est relativement peu important aux États-Unis), mais aussi sur d’autres produits agricoles.
Deuxièmement, aucun accord commercial ne devrait pas placer les intérêts commerciaux avant les intérêts nationaux plus larges, en particulier lorsque des questions non liées au commerce telles que la régulation financière et la propriété intellectuelle sont en jeu. L’accord commercial entre l’Amérique et le Chili, par exemple, empêche l’utilisation par le Chili des contrôles de capitaux – même si le Fonds monétaire international reconnaît maintenant que les contrôles de capitaux peuvent être un instrument important de la politique macro-prudentielle.
D’autres accords commerciaux ont également insisté sur la libéralisation et la déréglementation financières, quand la crise de 2008 aurait dû nous apprendre que l’absence de réglementation adéquate peut mettre en péril la prospérité économique. L’industrie pharmaceutique américaine, qui exerce un poids considérable au sein du bureau du Représentant américain au Commerce (USTR), est parvenue à refiler à d’autres pays un régime de propriété intellectuelle déséquilibré, qui, conçu pour lutter contre les médicaments génériques, accorde davantage de valeur au profit qu’aux vies qui attendent d’être sauvées. Même la Cour suprême américaine a déclaré à présent que le Bureau américain des Brevets est allé trop loin en accordant des brevets sur les gènes.
Enfin, il doit y avoir un engagement de transparence. Or, ceux qui se lancent dans ces négociations commerciales doivent être prévenus : les Etats-Unis se sont engagés à un manque de transparence. Le bureau de l’USTR a été réticent à révéler sa position de négociation, même aux membres du Congrès américain ; sur la base de ce qui a été divulgué, on peut comprendre pourquoi. Le bureau de l’USTR fait marche arrière sur des principes – par exemple, l’accès aux médicaments génériques – que le Congrès avait insérés dans des accords commerciaux précédents, comme celui avec le Pérou.
Dans le cas de la TPP, il y a une préoccupation supplémentaire. L’Asie a développé une chaîne d’approvisionnement efficace, avec des marchandises qui passent facilement d’un pays à l’autre au cours du processus de production de produits finis. Mais le TPP pourrait interférer avec celle-ci si la Chine reste en dehors des négociations commerciales.
Puisque les tarifs officiels sont déjà tellement bas, les négociateurs se concentreront surtout sur les obstacles non tarifaires – tels que les obstacles réglementaires. Mais le bureau de l’USTR, qui représente les intérêts des entreprises, poussera presque sûrement pour le plus petit commun dénominateur, incitant un nivellement vers le bas plutôt que vers le haut. Par exemple, de nombreux pays ont adopté des dispositions fiscales et réglementaires qui découragent les grosses voitures – non pas parce qu’ils essaient de discriminer les produits américains, mais parce qu’ils s’inquiètent de la pollution et de l’efficacité énergétique.
L’argument plus général, évoqué plus haut, est que les accords commerciaux mettent généralement les intérêts commerciaux avant les autres valeurs – le droit à une vie en bonne santé et à la protection de l’environnement, pour n’en nommer que deux. La France, par exemple, veut une « exception culturelle » dans les accords commerciaux qui lui permettrait de continuer à soutenir ses films – qui bénéficient à l’ensemble du monde. Ceci et d’autres valeurs plus larges devraient être non négociables.
En effet, l’ironie est que les avantages sociaux liés à ces subventions sont énormes, tandis que les coûts sont négligeables. Peut-on vraiment croire qu’un film d’art français représente une menace sérieuse pour un blockbuster de l’été hollywoodien ? Pourtant, la cupidité de Hollywood ne connaît aucune limite et les négociateurs commerciaux américains ne font pas de quartiers. C’est précisément pour cela que ces éléments doivent être retirés de la table avant le début des négociations. Sinon, on forcera les mains et il existe un risque réel qu’un accord puisse sacrifier les valeurs fondamentales pour les intérêts commerciaux.
Si les négociateurs créaient un véritable régime de libre-échange, mettant l’intérêt public en avant et accordant au moins autant de poids au point de vue des citoyens ordinaires qu’à celui des lobbyistes d’entreprise, je pourrais être optimiste et penser que ce qui en sortira permettra de renforcer l’économie et améliorer le bien-être social. La réalité, cependant, est que nous avons un régime commercial géré qui donne la priorité aux intérêts des entreprises et un processus de négociation qui n’est ni démocratique ni transparent.
La probabilité que ce qui ressortira des discussions à venir puisse servir les intérêts des Américains ordinaires est faible ; les perspectives pour les citoyens ordinaires des autres pays sont encore plus sombres.
Traduit de l’anglais par : Timothée Demont
Merci à http://centpapiers.com
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