GRAIN | 07 décembre 2013
Deuxième partie d’une série d'entretiens illustrant la résistance à l’expansion des plantations de palmiers à huile en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.
A lire aussi : l’activiste Nasako Besingi raconte comment il a été battu, arrêté et assigné en justice pour avoir soutenu des villageois camerounais qui défendaient leurs terres contre le fonds de couverture américain Herakles Capital.
Les gens du village d’Ekong Anaku se sont trouvés devant une décision difficile. Leur village, situé dans le sud-est du Nigeria, se trouve dans l’une des rares forêts tropicales restantes du pays. Les associations de conservation et le gouvernement fédéral voulaient conserver cette forêt en tant que réserve naturelle. Les villageois étaient intéressés par cette possibilité de protection supplémentaire contre l’abattage illégal des arbres, mais s ‘inquiétaient aussi à l’idée de perdre leur droit de chasser, de profiter de la nourriture et des plantes médicinales fournies par la forêt, et d’accéder aux terres dont auraient besoin les futures générations pour y faire des cultures.
En 1992, ils ont donc conclu un accord avec le gouvernement. Ils ont ainsi accepté que 10 000 hectares de leur forêt traditionnelle soient convertis en réserve. En échange, le gouvernement a promis des programmes d’agroforesterie et de développement rural et des crédits pour les petites exploitations et les petites entreprises.
Dix ans après avoir convaincu le village d’Etonk Anaku de consacrer sa forêt à des fins de conservation, le gouverneur de l’État de Cross River a fait cadeau de ces mêmes terres à une entreprise qui appartenait au président du Nigeria à l’époque, Olusegun Obasanjo.
« Ils ne nous ont jamais consultés ; même pas les chefs locaux, » rappelle Orok.
L’entreprise d’Obasanjo, Obasanjo Farms, avait l’intention de convertir les 10 000 ha de forêt en une plantation de palmiers à huile à grande échelle. Mais elle n’en avait pas les moyens et elle s’est rapidement tournée vers des investisseurs externes.
En 2011, après avoir acquis les terres gratuitement et y avoir investi une infime partie de sa fortune personnelle, Obasanjo a changé d’avis et il a vendu les terres à Wilmar International, qui contrôle plus de 45 pour cent de la production mondiale d’huile de palme. Selon les populations locales, cette transaction a rapporté des millions de dollars à l’entreprise d’Obasanjo.
Avec le soutien du Rainforest Resource Development Centre (RRDC), les habitants d’Ekong Anaku se battent pour retrouver leurs terres depuis l’instant où Obajanso a mis la main dessus.
« Obajanso n’avait absolument le droit de vendre ces terres, » explique Orok. « Si vous achetez un bien volé, vous ne pouvez pas dire qu’il vous appartient. »
Mais Wilmar a déjà établi une grande pépinière de palmiers à huile et défriché des terres pour y planter les arbres.
Patrick Chi, un autre habitant d’Ekong Anaku, explique que les villageois sont prêts à mettre en place une forme de partenariat avec Wilmar sur les terres de la plantation existante, mais à condition que les terres appartiennent à la communauté.
« Nous tenons à ce que ce soit notre plantation, » insiste Chi.
Orok explique les trois exigences fondamentales des villageois : la plantation existante doit être gérée en partenariat ; il ne peut pas y avoir d’expansion au-delà des zones qui ont été défrichées pour la culture ; troisièmement, le gouvernement doit identifier, pour la mettre à disposition du village, une zone alternative de même taille sur laquelle les habitants pourront établir des cultures.
« Nous avons besoin de terres, » déclare Chi. « Notre village meurt de faim »
Jusqu’à présent, Wilmar a gardé le silence sur la controverse. Le RRDC a déposé plainte auprès de la Table ronde pour l’huile de palme durable (RSPO) dont Wilmar est membre, mais ni la société ni la RSPO n’ont réagi pour répondre aux griefs spécifiques concernant l’acquisition illégale des terres traditionnelles de la communauté d’Ekong Anaku.
Même si les communautés parviennent à organiser une forme de partenariat avec Wilmar, il n’y a aucune garantie qu’elles pourront en tirer des avantages. Un documentaire, sorti récemment, enquête sur les activités de Wilmar en Ouganda où la société gère une plantation et un programme de sous-traitance en partenariat avec les communautés locales de l’île de Kalangala. Dans le film, des membres de ces communautés décrivent comment le peu de bénéfices qu’ils ont retiré de l’arrangement est très loin de compenser la perte de leurs cultures vivrières et de leurs forêts et la destruction environnementale causées par les activités de Wilmar.
Début décembre, Wilmar a annoncé une nouvelle politique d’entreprise, promettant, entre autres, « de respecter et de reconnaître les droits coutumiers et les droits individuels à long terme des communautés autochtones et locales, et de s’assurer que soient respectées la conformité juridique et les bonnes pratiques internationales en termes de consentement libre, préalable et éclairé. » La déclaration No Deforestation, No Peat, No Exploitation Policy” [Pas de déforestation, pas de tourbe, pas d’exploitation] stipule également qu’aucun nouveau développement foncier ne pourra avoir lieu avant que la recherche et la consultation sur la conversion des « forêts permettant un stockage important de carbone »ne soient terminées.
L’entreprise s’engage à « donner suite à toutes les plaintes et résoudre tous les conflits par un processus de consultation ouvert et transparent. » Cette région du sud-est du Nigeria serait l’occasion idéale de voir si la déclaration de Wilmar va au-delà du simple exercice de relations publiques.
Toutefois les habitants d’Ekong Anaku savent que leurs revendications concernant les terres ont un fondement juridique solide et s’ils ne parviennent pas à faire avancer les choses par le dialogue avec Wilmar, ils affirment qu’ils n’hésiteront pas à attaquer en justice.
Cette année, une autre société appartenant au Dangote Group [un conglomérat nigérian] est apparue dans la région, à la recherche de terres pour une plantation d’ananas dans un autre coin du territoire des villageois d’Ekong Anaku.
« Des ouvriers sont venus en octobre 2013 pour faire une étude et notre chef les a renvoyés, » raconte Chi. « Nous avons dit à Dangote que nous n’avions pas besoin d’eux. »
Le village d’ Ekong Anaku village a besoin du soutien international pour l’aider dans sa lutte foncière contre Wilmar. Patrick Chi peut être contacté à l’adresse suivante : mukotso@yahoo.com. Linus Orok est joignable par téléphone au +234 703 448 9776
Pour plus de renseignements, contacter Odey Oyama, directeur exécutif du Rainforest Resource and Development Centre (RRDC), par email: odeyoyama@hotmail.com
Pour plus d’informations sur le film documentaire No Food No Land No Life, consulter : http://nolandnofoodnolife.com/
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