2 décembre 2013

La grande coalition allemande: un gouvernement d’austérité sociale et de militarisme




Mondialisation | Par Christoph Dreier | 29 novembre 2013

Plus de deux mois après les élections fédérales, les dirigeants chrétiens-démocrates (CDU/CSU) et sociaux-démocrates (SPD) sont parvenus à négocier une grande coalition. L’accord ouvre la voie partout en Europe à de violentes attaques sociales, à la militarisation de la politique étrangère allemande et à des atteintes aux droits démocratiques.

La direction du CDU et les adhérents du SPD doivent, avant toute signature définitive de l’accord, l’approuver par un vote. L’issue du vote des membres du SPD reste incertaine vu que nombreux fonctionnaires de rang moyen ou inférieur du parti craignent qu’une implication dans une grande coalition puisse signifier une perte de voix aux élections ultérieures.

Ceux qui ont négocié la coalition ont cherché à masquer en quelque sorte les grands axes de l’accord. Les belles phrases et les termes tarabiscotés sont une tentative de présenter les guerres, les attaques sociales et la surveillance de l’Etat comme de la stabilité, de la croissance et de la sécurité.

Cela a été soutenu par de nombreux médias qui ont décrit l’accord comme étant un « virage à gauche » (Die Zeit) ou ont prêté à la coalition un « grand cœur » (Frankfurter Allgemeine Zeitung). Le président du SPD, Sigmar Gabriel, a même affirmé que l’accord de coalition avait été rédigé « pour les petites gens qui travaillent dur. »

Le contraire est le cas. Lors de la conférence de presse des dirigeants des partis, la chancelière Angela Merkel avait déclaré qu’il n’y aurait pas d’augmentation des impôts pour les riches ou les grandes entreprises. De plus, l’accord de coalition exclut toute contraction de nouvelles dettes après 2015 et s’engage à un « strict » respect du plafond de la dette et du pacte fiscal européen. D’ici la fin de la prochaine législature, le gouvernement veut faire baisser le niveau de la dette publique de 81 à moins de 70 pour cent du PIB.

Le SPD et le CDU/CSU ont clairement fait savoir qu’ils voulaient poursuivre et intensifier les brutales mesures d’austérité non seulement en Allemagne mais à travers toute l’Europe. Tous les pays de la zone euro doivent s’assurer d’une « compétitivité au moyen de réformes structurelles, » d’« une consolidation fiscale durable » ou d’« une stabilité financière », répète-t-on sans cesse dans l’accord.

Pour ce faire, « une coordination meilleure et plus contraignante de leur politique économique » est nécessaire pour s’assurer que « les pays de la zone euro conviennent de réformes contractuelles contraignantes et imposables au niveau européen. » Le « contrôle de la planification budgétaire nationale par le Commission de l’UE » devant être élargie de façon à en faire un « instrument efficace. »

Une responsabilité commune pour les dettes, qui faciliterait aux pays malades d’obtenir des prêts des marchés financiers, est cependant exclue de manière expresse et réitérée. Dans le passé, le SPD avait réclamé ce genre de mesures. Maintenant, il est dit qu’une « mutualisation des dettes » serait incompatible avec une « prise de responsabilité »

Au lieu de cela, la grande coalition ne veut accorder des prêts d’urgence aux pays endettés que s’ils s’engagent à pratiquer des attaques sociales d’envergure historique. Les prêts d’urgence ne sont possibles « qu’en échange d’un respect de conditions strictes ou de l’application des réformes et de mesures de consolidation budgétaire, » stipule l’accord.

Dans le même temps, le CDU/CSU et le SPD veulent élargir l’UE en tant qu’alliance militaire sous la direction de l’Allemagne. L’UE requiert « plus que jamais, une discussion stratégique » sur ce qu’elle veut atteindre par des moyens civils et militaires. Elle pourrait jouer un rôle dans des « pays tiers » pour établir et influencer le système judiciaire et la police.

De plus, le nouveau gouvernement fédéral souhaite renforcer l’importance de l’Allemagne au sein de l’OTAN. La « coopération de défense » doit être étendue et l’Allemagne doit participer à l’acquisition et au maintien de systèmes d’armement. L’accord de coalition soutient tout particulièrement l’établissement d’un système commun de défense antimissile de l’OTAN.

L’accord appelle au « renforcement d’une coopération inter-institutions » pour soutenir une « politique étrangère et sécuritaire efficace, pour le succès de laquelle des instruments civils et militaires doivent se compléter mutuellement. »

Le document stipule que l’Allemagne doit « contribuer à façonner l’ordre mondial » et doit être guidée par les « intérêts de notre pays. » Un chapitre entier de l’accord est consacré à « la sécurité de l’approvisionnement en matières premières… Une action spécifique est nécessaire pour éviter un éventuel impact négatif sur la valeur ajoutée en Allemagne. »

De tels intérêts de grande puissance n’avaient jamais été formulés aussi clairement auparavant dans aucun accord de coalition.

Cette résurgence du militarisme allemand et les attaques sociales généralisées prévues par la coalition ne peuvent être imposées face à l’opposition de la population par des moyens démocratiques. Et donc, le CDU/CSU et le SPD projettent une massive extension de l’appareil d’Etat et des restrictions supplémentaires des droits démocratiques.

L’Office fédéral de protection de la constitution (Verfassungsschutz, VS – comme sont appelés les services secrets allemands) doit assumer une « fonction de service central » par rapport aux instances de l’Etat. Sa « capacité en matière d’analyse technique » doit être améliorée. De plus, la capacité de la police fédérale doit être modernisée en la dotant de nouveaux pouvoirs en matière de « surveillance des télécommunications. » L’Office fédéral de la sécurité des technologies de l’information (Bundesamt für Sicherheit in der Informationstechnik, BSI) qui opère déjà en tant qu’agence officieuse de renseignement, doit être élargi, tout comme le centre de cyberdéfense (Cyber-Abwehrzentrum).

Le SPD et le CDU sont également d’accord pour la réintroduction de l’obligation pour les fournisseurs de services Internet (FSI) de conserver les données ; obligation qui avait été annulée par la Cour suprême en 2010. Les FSI seront tenus de retenir les données de connexion de tous leurs clients, qu’il y ait un soupçon fondé ou non à leur encontre, de stocker ces données pendant trois mois et, au besoin, de les transmettre aux divers organismes d’Etat. Cette loi « sera une des premières que nous ferons voter », a dit Merkel lors de la conférence de presse.

La grande coalition projette aussi de restreindre les droits des associations non enregistrées. Il sera plus facile d’interdire des clubs et des organisations semblables, et les interdictions auront une incidence plus grande.

Les partenaires de la coalition ont cherché à dissimuler leur programme réactionnaire derrière quelques feuilles de vigne sociales. Le CDU par exemple, a proposé d’introduire une « retraite pour les mères. » Celle-ci se limiterait à une petite augmentation de 26 euros par enfant pour les parents qui ont élevé des enfants nés avant 1992. Ceci signifie que ceux qui sont concernés reçoivent tout de même 26 euros de moins que les mères et pères nés plus tard. En outre, cette mesure dépendra de la disponibilité des fonds.

Le salaire minimum légal réclamé par le SPD a dès le départ été tellement faible qu’il n’aura que peu d’impact pour la plupart des gens, par contre il fera économiser beaucoup d’argent aux régimes d’assurance sociale. Les employeurs seront autorisés jusqu’en 2017 à verser moins que le salaire minimum de 8,50 euros l’heure en concluant à cet effet des conventions collectives avec les syndicats. Par la suite, seuls les soi-disant petits boulots (« mini jobs ») pourront être payés à un taux inférieur. Le salaire minimum servira à tirer vers le bas le niveau général des salaires.

Les syndicats et les partis d’opposition se sont en grande partie rangés derrière l’accord de coalition. Lors de la conférence de presse Gabriel, le dirigeant du SPD, a souligné que l’ensemble du contrat avait été convenu avec les syndicats.

Les Verts ont fustigé l’accord de coalition par la droite en parlant de dépenses excessives liées à la retraite pour les mères. « Dans le but de protéger les soi-disant projets prioritaires, une discussion sur une dette additionnelle ou une taxe est préprogrammée, » a dit Anton Hofreiter, le chef du groupe parlementaire du parti des Verts.

La présidente du parti La Gauche, [Die Linke – l’homologue du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon] Katja Kipping, a minimisé le caractère brutal de la grande coalition en disant qu’elle représentait un « bouchon » pour ce qui était de « la justice sociale et des réformes. »

Le vice-président du groupe parlementaire de Die Linke, Dietmar Bartsch, a précisé : « J’avais souhaité que la grande coalition traite tous les grands problèmes. Il ne s’agit là que de gestion et non pas d’une action en vue de l’avenir. »

Au cours de ces dernières semaines, Die Linke n’a eu de cesse de proposer la formation d’un gouvernement de coalition avec le SPD et les Verts.
 Christoph Dreier

Article original, WSWS, paru le 28 novembre 2013

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