Par
Laurent Chemla, le 3 avril 2015 |
Son blog
C'est à vous, députés et sénateurs qui allez bientôt voter d'une seule voix le projet de loi sur le renseignement présenté par le gouvernement, c'est à vous que ce message s'adresse.
Nous le savons déjà: vous allez le voter. Sans aléa, après un
débat cosmétique qui ne servira qu'à corriger quelque coquille ici ou
là, vous allez le voter.
Contre
l'avis
de deux juges antiterroristes, contre les avis du Syndicat de la
Magistrature, de la CNCDH, de l'ordre des Avocats de Paris, de la CNIL,
de l'Unions Syndicale des Magistrats, vous allez le voter.
Contre l'avis d'Amnesty, de RSF, de la LDH et de la Quadrature du Net, vous allez le voter.
Alors que, de partout, les mises en garde affluent, que le New York Times fait sa Une sur "
La France, État de surveillance", que le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe s'inquiète de la
dérive sécuritaire liberticide que cette loi implique, et que même le président de l'actuelle commission de contrôle des interceptions de sécurité
dénonce la faiblesse des garanties qu'apporte ce texte, vous allez le voter.
Mesdames, messieurs, vous qui, en théorie, représentez la voix du peuple, c'est ce même peuple que vous vous apprêtez à trahir.
En
mettant (quel que soit l'enrobage sur le pseudo-anonymat des données
reccueillies) la totalité de la population sur écoute, en traitant
chaque citoyen de ce pays comme un terroriste en puissance, c'est le
peuple que vous vous apprêtez à dénoncer comme votre ennemi.
Je vous engage à relire, avant de voter, la définition de ce qu'est un État policier selon Raymond Carré de Malberg:
L'État de police est celui dans lequel
l'autorité administrative peut, d'une façon discrétionnaire et avec une
liberté de décision plus ou moins complète, appliquer aux citoyens
toutes les mesures dont elle juge utile de prendre par elle-même
l'initiative, en vue de faire face aux circonstances et d'atteindre à
chaque moment les fins qu'elle se propose : ce régime de police est
fondé sur l'idée que la fin suffit à justifier les moyens. À L'État de
police s'oppose à l'État de droit.En écartant le juge
judiciaire de toute autorisation préalable aux écoutes administratives,
c'est l'État de droit que vous détruisez: garant des libertés
individuelles, sa remise en cause nie le principe de séparation des
pouvoirs.
Et tout ça pour quoi ?
S'il fallait en croire les maigres débats - imposés par la procédure
d'urgence choisie par le gouvernement - cette négation de tous nos
principes fondateurs serait nécessaire pour lutter contre le terrorisme.
Mais cette loi ne concerne pas que la lutte antiterroriste, loin de
là: elle s'applique à tous les domaines de la vie en société.
"Engagements internationaux", "Intérêt public", "Intérêts économiques et
scientifiques", voici quelques-uns des motifs pour lesquels vous allez
autoriser, sans contrôle, la surveillance de chaque citoyen.
Oh,
bien sûr, pendant le débat public on ne vous agitera que la menace
terroriste, à l'instar de la fiole censée prouver l'existence d'armes de
destruction massives en Irak, on vous répètera l'argument
mensonger
selon lequel "90% des jihadistes se sont radicalisés sur Internet". Oh,
oui, si vous osez vous opposer à ce déni de démocratie, on vous
accusera d'être responsable des attentats qui pourraient avoir lieu sans ce texte.
Le même argument vous a déjà été servi pour justifier le récent texte
qui permet la censure administrative - sans juge - de n'importe quel
site Internet (et
dont l'OSCE demande déjà qu'on le reconsidère).
Pourtant,
dans cette période où chacun s'interroge sur ce qui nous définit comme
une société, c'est justement le moment de vous souvenir des principes
qui ont fondé ce pays.
Mais, dans ce moment où le terrorisme n'a
de cesse que de voir disparaître toute pratique démocratique, c'est
justement l'instant où vous devez vous lever pour défendre les droits
fondamentaux et pour rejeter les arguments démagogiques.
Mesdames,
messieurs, s'il vous reste ne serait-ce qu'une once de probité, vous
lirez les arguments des opposants à ce texte, sans oeillères et sans
calcul politique de bas étage.
Et si vous ne voulez pas être un traître à la république, madame, monsieur, vous vous y opposerez à votre tour.