29 mars 112 de l’ère postorwellienne, 2096 ancienne ère
Nous revenons de quelques lunes passées sur les îles. Avec la petite
tribu nous remontons le fleuve et nous entrons dans la grande forêt.
Nous sommes joyeux et excités car nous allons retrouver des amis, de la
famille, des personnes nouvelles, les enfants un peu grandis, les
anciens un peu plus courbés. Ce sera une grande fête …
Nous raconterons des histoires, nous jouerons de la musique, nous
participerons aux jeux. Après quelques jours, le calme reviendra et nous
échangerons de nouveaux savoirs, de nouveaux savoirs-faire et des
choses de la mer contre des choses de la forêt.
Maintenant que je
suis très âgée, je regarde avec bonheur grandir en âge et en expérience
les gens que j’aime dans ce pays sauvegardé, redevenu agréable à vivre.
L’essentiel de mon temps, je le passe à raconter des histoires aux
petits enfants.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Je suis née au
tout début des grandes insurrections. Ma famille avait anticipé
l’effondrement des mondes. Elle s’était engagée avec détermination dans
la reconstruction, bien avant les chutes de la dernière civilisation.
Dès tout bébé, dans les bras de ma mère, j’appris à parler aux arbres, à
déchiffrer le langage des oiseaux et à soigner les maux du corps et de
l’esprit. Devenue adulte je fis partie des nomades, de ceux qui
tissèrent les réseaux. Ensemble, avec les écovillages, les oasis, les
tribus nomades et les communes, nous avons imaginé et construit la suite
du monde. Nous avons planté des forêts, des fleurs et des légumes. Nous
avons accueilli des égarés par centaines, puis par milliers. Il y eut
des pertes, il y eut des tempêtes, mais nous avons vécu et nous avons
encouragé la vie.
Ces souvenirs, émaillés de tristesse, de colères,
de peurs et de joie, illustrent mes récits et les enfants apprennent à
grandir en écoutant.