18 août 2011

La crise financière expliquée à ceux qui n’y comprennent rien

illustration: Fragment de tags

Reporterre | Hervé Kempf | 17 août 2011


On ne peut pas durablement dépenser plus qu’on ne gagne.

Depuis les années 1980, les pays occidentaux vivent à crédit. Le déficit public y est devenu permanent. Les Etats-Unis, de surcroît, ont pris l’habitude d’un déficit commercial lui aussi constant et, comme si cela ne suffisait pas, d’un endettement des ménages lui aussi très important.

Cette situation a été créée par la classe dirigeante parce qu’elle était le moyen de faire accepter une inégalité croissante. La croissance économique permise par l’endettement donne l’impression d’un enrichissement de tous. L’enrichissement exagéré du sommet de la pyramide est de ce fait presque insensible.

Ce phénomène a pu durer à cause de la position prééminente des Etats-Unis : leur monnaie, le dollar, sert de référence internationale. Ainsi la Chine, qui vend depuis 1980 beaucoup plus aux Etats-Unis qu’elle ne lui achète, a accumulé des masses énormes de dollars.

Cependant, l’endettement rencontre toujours une limite : à un moment donné, il faut rembourser. En 2007, le système financier avait accumulé des masses de créances de plus en plus douteuses, et un grand nombre sont apparues pour ce qu’elles étaient : de la monnaie de singe. Les premiers craquements se sont produits, avant la crise majeure de l’automne 2008, lorsque nombre d’établissements financiers se sont trouvés incapables de faire face à leurs engagements. Plusieurs d’entre eux ont fait faillite, comme Lehman Brothers. Tout le système financier menaçait de s’écrouler.

Les conséquences en auraient été catastrophiques : les gens se seraient précipités dans les banques pour retirer leur épargne, il aurait été impossible de la leur rendre, la méfiance se serait généralisée, l’économie se serait arrêtée, c’aurait été l’effondrement. Pour parer à ce danger, les Etats et les Banques centrales ont mobilisé leurs fonds, apportant leur caution à l’ensemble du système, nationalisant les établissements les plus fragiles, et surtout prêtant à toutes les banques un argent qu’ils n’avaient pas à des taux extrêmement bas. Dans le même temps, pour relancer l’économie qui avait énormément ralenti, ils y ont injecté des centaines de milliards de dollars, d’euros ou de yuans. Mais cette relance a été financée par un déficit budgétaire encore accru, autrement dit par un endettement supplémentaire.

Les banques ont rétabli leur situation, notamment en prêtant aux Etats les fonds qu’on leur avait avancé. Mais on leur avait prêté à taux bas, alors qu’elles ont reprêté aux Etats les plus fragiles à des taux élevés. La différence leur a permis de reconstituer leur profit. Par ailleurs, les dirigeants des Etats n’ont pas vraiment repris le contrôle de ce système financier qui avait conduit à la crise de 2008 en encourageant la montée de l’endettement. Les « marchés » - c’est-à-dire les banques, les fonds de pension, les compagnies d’assurance et les fonds spéculatifs - ont renoué avec leur comportement spéculatif, notamment contre la dette des Etats, devenue maintenant monumentale. Les paradis fiscaux n’ont pas été réprimés. Incidemment, les dirigeants des banques et des grandes entreprises ainsi que les « traders » se sont alloués de nouveau – après une baisse en 2009 – des émoluments très importants.

En 2011, les Etats sont enserrés dans un goulot d’étranglement. Les plus fragiles, comme la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, sont soumis à la pression des « marchés », qui leur demandent de rembourser leurs prêts. Comme ils en sont incapables, les Etats européens plus puissants rachètent aux banques leurs créances tout en s’endettant encore davantage. Et du côté des Etats-Unis, l’Etat fédéral a failli se trouver pendant l’été dans l’incapacité de payer ses dépenses courantes. Le blocage n’y a été évité qu’en augmentant encore l’endettement.

Partout, la situation est très fragile, et comme on ne peut plus augmenter l’endettement, des politiques de relance sont impossibles.

L’oligarchie – c’est-à-dire les dirigeants politiques, financiers et médiatiques qui partagent les mêmes intérêts – fait croire aux opinions que, puisqu’il y a dette, la seule façon de s’en sortir est d’appliquer des politiques d’austérité.

Elle a raison sur un point : les pays occidentaux ne peuvent plus vivre au-dessus de leurs moyens. Mais qui doit payer ? Les populations ? Ou ceux qui profitent le plus du système depuis 1980 ? Car si l’endettement s’est à ce point généralisé, c’est en grande partie parce que les impôts sur les ménages les plus riches ont diminué, que les impôts sur les banques et sur les grandes entreprises ont aussi été régulièrement abaissé, que globalement un transfert des revenus du travail vers les revenus du capital s’est opéré depuis trente ans.

Pour sortir de la crise financière, il y a deux solutions.

Soit on fait payer les sociétés en maintenant inchangée la répartition des richesses. Cela signifie, comme en Grèce, réduction des salaires, licenciements des fonctionnaires, diminution des prestations sociales, privatisations généralisées.

Soit on fait payer ceux qui se sont enrichis au détriment de la société depuis trente ans. Cela signifie s’attaquer à l’inégalité, augmenter les impôts des plus riches, et reprendre le contrôle des banques et des opérateurs financiers. Alors on pourra reconstruire une économie dont le moteur ne soit pas l’endettement, mais le but de satisfaire les besoins sociaux dans le respect de la justice et des équilibres écologiques.
 
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