EUX ET NOUS
I. - Les (dé)raisons d’en haut.
II - La Machine en presque deux feuillets.
III - Les Contremaîtres.
IV - Les douleurs d’en bas
V - La Sexta
- - - PS à la Sexta,
VI - Les regards, 1.
- Les regards. 2 .
- Les regards. 3 .
- Les regards. 4.
- Les regards. 5.
- Les regards 6.
VII - Les plus petit•e•s
- Les plus petit.e.s 1.
- Les plus petit•e•s 2
- Les plus petit•e•s 3
- Les plus petit.e.s 4
- Les plus petit.e.s 5
- Les plus petit.e.s 6
- Les plus petit.e.s 7 (dernier)
I.- Les (dé)raisons d’en haut.
Janvier 2013.
Ainsi parlent ceux d’en haut :
« Nous sommes ceux qui commandons. Nous sommes plus puissants, bien que nous soyons moins nombreux. Nous n’avons
rien à faire de ce que tu peux bien dire-penser-faire, du moment que tu restes muet, sourd, immobile.
Nous
pouvons imposer comme gouvernement des gens moyennement intelligents
(bien qu’ils soient de nos jours très
difficiles à trouver dans la classe politique), mais nous en avons
choisi un qui ne peut même pas faire semblant de savoir de quoi il
retourne.
Pourquoi ? Parce que nous pouvons le faire.
Nous
pouvons utiliser l’appareil policier et militaire pour poursuivre et
emprisonner de vrais délinquants, mais ces
criminels sont une partie vitale d’entre nous. En revanche, nous
avons choisi de te poursuivre, de te frapper, de t’arrêter, de te
torturer, de t’emprisonner, de t’assassiner.
Pourquoi ? Parce que nous pouvons le faire.
Innocent ou coupable ? Et qui donc se soucie que tu sois l’un ou l’autre ? La justice est une putain de plus
sur notre carnet d’adresses et, crois-nous, ce n’est pas la plus chère.
Et même si tu copies au pied de la lettre le modèle que nous t’imposons, même si tu ne fais rien, même si tu es
innocent, nous t’écraserons.
Et si tu persistes à demander pourquoi nous le faisons, nous te répondons : parce que nous pouvons le
faire.
C’est
cela, avoir le Pouvoir. On parle beaucoup d’argent, de richesses et de
ces choses-là. Mais, crois-nous, ce qui
est le plus excitant, c’est ce sentiment de pouvoir décider sur la
vie, la liberté ou les biens de n’importe qui. Non, le pouvoir, ce
n’est pas l’argent, c’est ce que tu peux obtenir grâce à
lui. Le Pouvoir, ce n’est pas seulement l’exercer impunément,
c’est aussi et surtout le faire irrationnellement. Parce qu’avoir le
Pouvoir, c’est faire et défaire sans avoir d’autre raison que
la possession du Pouvoir.
Et
peu importe qui apparaît en première ligne et nous cache. Ces histoires
de droite et de gauche, ce n’est que des
références pour que le chauffeur gare la voiture. La machine
fonctionne toute seule. Nous n’avons même pas besoin d’ordonner qu’on
punisse l’insolence de nous défier. Des gouvernements grands,
moyens et petits, de tout le spectre politique, additionnés
d’intellectuels, d’artistes, de journalistes, de politiciens, de
hiérarques religieux, se disputent le privilège de nous être
agréables.
Alors va te faire foutre, nique ta mère, pourris, crève, perds tes illusions, rends-toi.
Pour le reste du monde, tu n’existes pas, tu n’es personne.
Oui, nous avons semé la haine, le cynisme, la rancœur, le désespoir, le rien-à-cirer théorique et pratique, le
conformisme du « moindre mal », la peur faite résignation.
Et, malgré tout, nous craignons que cela se transforme en rage organisée, rebelle, sans prix.
Car le chaos que nous imposons, nous le contrôlons, nous l’administrons, nous le dosons, nous l’alimentons. Nos
« forces de l’ordre » sont nos forces pour imposer notre chaos.
Mais le kaos qui vient d’en bas…
Ah, celui-là… nous ne comprenons même pas ce qu’ils disent, qui ils sont, combien ils coûtent.
Et puis, ils sont si grossiers de ne plus mendier, ne plus attendre, ne plus demander, ne plus supplier, mais d’exercer
leur liberté. A-t-on déjà vu pareille obscénité !
C’est ça, le vrai danger. Des gens qui regardent de l’autre côté, qui s’échappent du moule, ou le brisent, ou
l’ignorent.
Tu
sais ce qui nous a donné un très bon résultat ? Ce mythe de l’unité à
tout prix. N’avoir à s’entendre qu’avec
le chef, le dirigeant, le leader, le caudillo ou quel que soit le
nom qu’on lui donne. Contrôler, administrer, contenir, acheter une
personne est plus facile qu’en acheter beaucoup. Oui, et
moins cher, aussi. Ça et les révoltes individuelles. Elles sont
émouvantes d’inutilité.
En
revanche, ce qui est vraiment un danger, un chaos véritable, c’est que
n’importe qui devienne collectif, groupe,
bande, race, organisation, et pour son propre compte apprenne à
dire « oui » et à dire « non », et qu’ils se mettent d’accord entre eux.
Parce que le « non » nous
vise, nous qui commandons. Et le « oui »… pfff !... ça, c’est une
calamité, imagine un peu que chacun construise son propre destin, et
décide quoi être et quoi faire. Cela
reviendrait à signaler que c’est de nous qu’on peut se passer, que
c’est nous qui sommes de trop, nous qui gênons, nous qui ne servons à
rien, nous qui devons être emprisonnés, nous qui devons
disparaître.
Oui,
un vrai cauchemar. Mais cette fois il est pour nous. Tu imagines comme
ce monde serait de mauvais goût ?
Plein d’indiens, de noirs, de café-au-lait, de jaunes, de rouges,
de rastas, de tatouages, de piercings, de rivets, de punks, de
gothiques, de chol@s, de skas, de porteurs de ce drapeau avec un
« A », tellement sans nation pour pouvoir l’acheter, de jeunes de
femmes, de putes hommes et femmes, d’enfants, de vieillards, de
pachucos, de chauffeurs, de paysans, d’ouvriers, de
popus, de prolos, de pauvres, d’anonymes, de… d’autres. Sans le
moindre espace privilégié pour nous, « the beautiful people »… les
« gens bien », pour que tu comprennes…
parce qu’on voit depuis une lieue que tu n’as pas fait tes études à
Harvard.
Oui, ce jour-là, ce serait la nuit pour nous… Oui, tout péterait. Qu’est-ce qu’on pourrait bien
faire ?
Mmh… Nous n’avions pas pensé à ça. Nous avons pensé, planifié et mis en œuvre ce qu’il fallait pour empêcher que cela
arrive, mais… non, nous n’y avions pas pensé.
Bon,
dans un cas comme celui-là, eh bien… mmh… je ne sais pas… peut-être que
nous chercherions des coupables et puis,
je ne sais pas, chercher… un plan « B ». Bien sûr qu’à ce
moment-là, tout serait inutile. Je crois qu’alors nous nous
souviendrions de la phrase de ce maudit juif rouge… non, pas
Marx… Einstein, Albert Einstein. Il me semble que c’est lui qui a
dit : « La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne.
La pratique, c’est quand tout fonctionne et
que personne ne sait pourquoi. Dans ce cas-ci, nous avons combiné
la théorie et la pratique : rien ne fonctionne… et personne ne sait
pourquoi ».
Non, tu as raison, ça ne nous arracherait même pas un sourire. Le sens de l’humour a toujours été un patrimoine
inexpropriable. Dommage, non ?
Bon, c’est sur, nous sommes en temps de crise.
Dis-moi,
tu ne vas pas prendre de photos ? Non, c’est juste pour nous arranger
un peu, mettre quelque chose de
plus présentable. Nan, ce petit modèle, on s’en est déjà servi
dans « Hola »… Ah, mais qu’est-ce que je te raconte, on voit bien que tu
n’es jamais allé plus loin que les BD de
cowboys.
Ah, nous sommes impatients de raconter à nos ami-e-s qu’est venu nous interviewer quelqu’un de si… si… si autre. Ça va
les enchanter. Et nous, ça va nous donner un air tellement cosmopolite…
Non, bien sûr que nous n’avons pas peur de toi. Quant à cette prophétie… bah, il s’agit seulement de superstitions si…
si autochtones… Oui, tellement de Région 4… hahaha… quelle bonne blague, on la note pour quand on verra les ami-e-s.
Quoi ?... Ce n’est pas une prophétie ?
Oh, c’est une promesse…
(…) (Titutata-tatatata, le son du smartphone)
Allô,
la police ? Oui, c’est pour signaler que quelqu’un est venu nous voir.
Nous avons pensé que c’était un
journaliste ou quelque chose comme ça. Il avait l’air si… si… si
autre, oui. Non, il ne nous a rien fait. Non, il n’a rien emporté non
plus. En fait, en sortant du club pour aller voir nos
ami-e-s, nous avons vu qu’ils ont peint quelque chose sur le
portail d’entrée au jardin. Non, les gardiens ne se sont rendu compte de
rien. Bien sûr que non, les fantômes n’existent
pas ! C’est peint comme ça, bon, avec beaucoup de couleurs… Non,
nous n’avons vu aucun pot de peinture à proximité. Bon, nous vous
disions que c’est peint avec beaucoup de couleurs, très
coloré, très popu, très autre, rien à voir avec les galeries où…
Quoi ? Non, nous ne voulons pas que vous envoyiez une voiture de
patrouille. Oui, nous le savons. Mais nous vous appelons
pour voir si vous pouvez enquêter sur ce que veut dire ce qui est
peint. Nous ne savons pas si c’est un mot de passe, ou une de ces
langues bizarres que parlent les gens d’en bas. Oui, c’est un
seul mot, mais nous ne savons pas pourquoi il nous cause des
frissons. Il dit :
MARICHIWEU !* »
(à suivre)
Sup Marcos
Planète Terre - Janvier 2013.
*[note : « MARICHIWEU » est la parole des Indiens Mapuches, du Chili, exprimant : « Nous vaincrons ! »]
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