EUX ET NOUS IV
I. - Les (dé)raisons d’en haut.
II - La Machine en presque deux feuillets.
III - Les Contremaîtres.
IV - Les douleurs d’en bas
V - La Sexta
- - - PS à la Sexta,
VI - Les regards, 1.
- Les regards. 2 .
- Les regards. 3 .
- Les regards. 4.
- Les regards. 5.
- Les regards 6.
VII - Les plus petit•e•s
- Les plus petit.e.s 1.
- Les plus petit•e•s 2
- Les plus petit•e•s 3
- Les plus petit.e.s 4
- Les plus petit.e.s 5
- Les plus petit.e.s 6
- Les plus petit.e.s 7 (dernier)
Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte | dimanche 27 janvier 2013
IV- Les douleurs d’en bas
Par le Sous-Commandant Insurgé MarcosCombien de fois une patrouille ne nous a-t-elle pas arrêté dans la rue pour le délit de « port de visage suspect » ou de crête, et après quelques coups et une extorsion, ils nous laissent partir ? « Répression et criminalisation », Croix Noire Anarchiste-Mexique. Janvier 2013.
Et les gens jeunes qui à l’instant même voient en toi un héros et l’exemple d’une personne qui a été injustement punie par un système répressif ?
Quel héros ? Mais non. Le héros, c’est chacun des jeunes qui sortent chaque jour dans la rue pour s’organiser et changer cette société injuste et ce système économique, politique. Et ils s’organisent, ils se défendent. Qu’ils n’aient crainte, la peur va changer de camp. Alfonso Fernández, en prison suite au 14 novembre 2012 dans l’État espagnol, interviewé par Shangay Lily sur « Kaos en la Red ». Janvier 2013.
Il faut un ennemi pour donner un espoir au peuple. (...). En fait, le sentiment de l’identité se fonde sur la haine envers ceux qui ne sont pas identiques. Il faut cultiver la haine comme passion civile. L’ennemi, c’est l’ami des peuples. On a besoin de quelqu’un à haïr pour se sentir justifié dans sa propre misère. La haine est la véritable passion primordiale. Umberto Eco. Le cimetière de Prague.
Où et quand commence la violence ?
Voyons un peu.
Face à un miroir, dans n’importe quel calendrier et n’importe quelle géographie...
Imaginez que vous êtes différent-e du commun des gens.
Imaginez que vous êtes quelque chose de tout à fait autre.
Imaginez que vous avez une certaine couleur de peau ou de cheveux.
Imaginez qu’on vous méprise et vous humilie, qu’on vous poursuit, qu’on vous emprisonne, qu’on vous tue pour cela, parce que vous êtes différent-e.
Imaginez que depuis que vous êtes né-e, tout le système vous dit et vous répète que vous êtes quelque chose de bizarre, d’anormal, de malade, que vous devez vous repentir de ce que vous êtes, et qu’après en avoir imputé la responsabilité au manque de pot et/ou à la justice divine, vous devez faire tout ce qui est en votre pouvoir pour modifier ce « défaut de fabrication ».
Mais oui, tenez, nous avons précisément un produit qui fait des m-e-r-v-e-i-l-l-e-s, tout simplement, avec les défauts congénitaux. Cette façon de penser vous soulage de la rébellion et de cette si gênante manie de se plaindre de tout. Cette crème vous change la couleur de la peau. Cette teinture pour les cheveux vous donne la tonalité à la mode. Ce cours « Comment se faire des ami-e-s et être populaire sur Internet » vous donne tout le nécessaire pour être une personne moderne. Ce traitement vous rendra la jeunesse. Ce DVD vous montrera comment se comporter à table, dans la rue, au travail, au lit, lors des hold-up illégaux (voleurs), lors des hold-up légaux (banques, gouvernants, élections, entreprises légalement établies), dans les réunions sociales... Pardon ? Oh, on ne vous invite pas dans les réunions sociales ? Ok, on vous indique aussi comment faire pour qu’on vous invite. Et puis, ic,i on vous dévoilera le secret de comment réussir dans la vie. Laissez loin derrière Lady Gaga et Justin Bieber en nombre de suiveurs sur tuiter. Vous pouvez inclure un masque de votre choix. On les a tous ! Même celui de Carlos Salinas... Ok, ok, ok, c’était un mauvais exemple, mais on en a pour tous les besoins. On ne vous regardera plus avec dégoût ! On ne vous traitera plus de voyou-te, d’indien-ne, de prolo, de nègre, de Région 4, de zombie, de philozapatiste !
Imaginez que, malgré tous vos efforts et bonnes actions, vous n’arrivez pas à cacher votre couleur de peau ou de cheveux.
Maintenant, imaginez qu’est lancée une campagne pour éliminer tou-te-s ceux et celles qui sont comme vous.
Sans qu’il y ait un événement pour son lancement, ou une loi pour l’établir, vous vous rendez compte que tout le système commence à marcher dirigé contre vous, et contre celles et ceux qui sont comme vous. Toute la société transformée en machine dont le but principal est de vous anéantir.
D’abord, il y a des regards de désapprobation, de dégoût, de mépris. Puis viennent les insultes, les agressions. Ensuite il y a des gens arrêtés, déportés, emprisonnés. Après, des morts ici et là, légalement et illégalement. Finalement, une campagne en bonne et due forme, la machine dans toute sa capacité, pour vous faire disparaître, vous et toutes celles et tous ceux qui vous ressemblent. L’identité de ceux qui forment la société s’affirme dans la haine à votre égard. Votre tort ? Être différent-e.
Vous ne le voyez pas encore ?
Alors imaginez que vous êtes... (mettez le masculin, le féminin, ou l’autre, suivant votre cas).
Un indigène dans un pays dominé par des étrangers. Une flopée d’hélicoptères militaires se dirige vers vos terres. La presse dira que l’occupation du parc éolien empêchait la réduction de la pollution ou que la forêt était en cours de destruction. « L’expulsion était nécessaire pour diminuer le réchauffement global de la planète », ministre de l’Intérieur.
Un noir dans une nation dominée par des blancs. Un juge WASP va dicter une sentence contre vous. Le jury vous a déclaré coupable. Parmi les preuves présentées par l’accusation se trouve une analyse de la pigmentation de votre peau.
Un juif dans l’Allemagne nazie. L’officier de la Gestapo vous regarde fixement. Demain, le rapport dira qu’on a purifié la race humaine.
Un Palestinien dans la Palestine actuelle. Le missile de l’armée israélienne vise l’école, l’hôpital, le quartier, la maison. Demain les médias diront qu’ont été atteints des objectifs militaires.
Un immigrant de l’autre côté de n’importe quelle frontière. Une voiture de patrouille de la police des frontières s’approche. Demain, il n’y aura rien dans les journaux.
Un curé, ou une bonne sœur, ou un laïc, qui a opté pour les pauvres, au milieu de l’opulence du Vatican. Le discours du Cardinal est dirigé contre ceux qui s’immiscent dans les affaires terrestres.
Un vendeur ambulant dans le centre commercial exclusif d’une zone résidentielle exclusive. Le car de « grenadiers » arrive et se gare. « Nous défendons le libre commerce », déclarera le délégué gouvernemental.
Une femme seule, le jour ou la nuit, dans un transport public plein d’hommes. Une petite variation dans le pourcentage de « violence de genre ». L’agent de police dira : « Faut dire, aussi, qu’elles provoquent ».
Un gay tout seul, le jour ou la nuit, dans un transport public plein de machos. Une minime variation dans le pourcentage de « violence homophobe ».
Une travailleuse sexuelle dans une voie inhabituelle, au coin de rue de quelqu’un-e d’autre... La voiture de police s’approche. « Le gouvernement combat efficacement la traite des blanches », dira la presse.
Alors imaginez que vous êtes... (mettez le masculin, le féminin, ou l’autre, suivant votre cas).
Un indigène dans un pays dominé par des étrangers. Une flopée d’hélicoptères militaires se dirige vers vos terres. La presse dira que l’occupation du parc éolien empêchait la réduction de la pollution ou que la forêt était en cours de destruction. « L’expulsion était nécessaire pour diminuer le réchauffement global de la planète », ministre de l’Intérieur.
Un noir dans une nation dominée par des blancs. Un juge WASP va dicter une sentence contre vous. Le jury vous a déclaré coupable. Parmi les preuves présentées par l’accusation se trouve une analyse de la pigmentation de votre peau.
Un juif dans l’Allemagne nazie. L’officier de la Gestapo vous regarde fixement. Demain, le rapport dira qu’on a purifié la race humaine.
Un Palestinien dans la Palestine actuelle. Le missile de l’armée israélienne vise l’école, l’hôpital, le quartier, la maison. Demain les médias diront qu’ont été atteints des objectifs militaires.
Un immigrant de l’autre côté de n’importe quelle frontière. Une voiture de patrouille de la police des frontières s’approche. Demain, il n’y aura rien dans les journaux.
Un curé, ou une bonne sœur, ou un laïc, qui a opté pour les pauvres, au milieu de l’opulence du Vatican. Le discours du Cardinal est dirigé contre ceux qui s’immiscent dans les affaires terrestres.
Un vendeur ambulant dans le centre commercial exclusif d’une zone résidentielle exclusive. Le car de « grenadiers » arrive et se gare. « Nous défendons le libre commerce », déclarera le délégué gouvernemental.
Une femme seule, le jour ou la nuit, dans un transport public plein d’hommes. Une petite variation dans le pourcentage de « violence de genre ». L’agent de police dira : « Faut dire, aussi, qu’elles provoquent ».
Un gay tout seul, le jour ou la nuit, dans un transport public plein de machos. Une minime variation dans le pourcentage de « violence homophobe ».
Une travailleuse sexuelle dans une voie inhabituelle, au coin de rue de quelqu’un-e d’autre... La voiture de police s’approche. « Le gouvernement combat efficacement la traite des blanches », dira la presse.
Une punk, un rasta, une ska, un cholo, une métalleuse, dans la rue, la nuit... S’approche une autre voiture de police. « Nous sommes en train de décourager les conduites antisociales et le vandalisme », le chef du gouvernement.
Un tagueur en train de taguer au World Trade Center... une troisième voiture de police s’approche. « Nous ferons tout le nécessaire pour avoir une ville belle et attractive pour le tourisme », n’importe quel fonctionnaire.
Un communiste dans une réunion du parti fasciste de droite. « Nous sommes contre les totalitarismes qui ont fait tant de mal dans le monde », le président du parti.
Un anarchiste dans une réunion du parti communiste. « Nous sommes contre les déviations petites-bourgeoises qui ont fait tant de mal à la révolution mondiale », le secrétaire général du parti.
Un programme du bulletin « 31 minutes » sur la barre d’info de CNN. Tulio Triviño et Juan Carlos Bodoque se regardent déconcertés, ils ne disent rien.
Un groupe alternatif de musique essayant de vendre son disque à un concert de Lady Gaga, Madonna, Justin Bieber, ou celle qui les suit. Le service d’ordre s’approche. Les fans crient à n’en plus pouvoir. Une artiste dansant à l’extérieur du grand centre culturel où est présentée la séance (oui-de-gala-seulement-sur-invitation-je-regrette-mademoiselle-vous-êtes-en-train-de-gêner) du ballet du Bolchoï. La sécurité procède à rétablir la tranquillité.
Un vieillard dans une réunion présidée par le ministre japonais des Finances Taro Aso (il a étudié à Stanford, et il y a peu il a demandé aux personnes âgées de « se dépêcher de mourir » parce que ça revient rudement cher qu’elles restent en vie). On réduit encore davantage le budget social.
Un Anonymus critiquant le « copyright » à une assemblée d’actionnaires de Microsoft-Apple. « Un dangereux hacker derrière les barreaux », signaleront les médias.
Un jeune Mapuche qui, au Chili, réclame le territoire de ses ancêtres, tandis qu’il voit arriver les chars et le vert offensant des carabiniers. La balle qui le blesse mortellement dans le dos restera impunie.
Un jeune et/ou étudiant, ou chômeur, à un barrage de l’armée-police-garde-civile-carabiniers. La dernière parole qu’il a entendue ? « Feu ! ».
Un comunero nahua dans les bureaux d’une entreprise minière transnationale. Des gens en uniforme l’enlèvent. « Nous sommes en train d’enquêter », les gouvernements respectifs.
Un dissident face aux murs de métal gris dressés, tandis que de l’autre côté la classe politique mexicaine avale la couleuvre d’une décision imposée de plus. Il reçoit le coup d’une balle en caoutchouc qui lui fait perdre un œil et lui brise le crâne. « On appelle à l’unité pour le bien du pays. C’est l’heure de laisser tomber les vieilles rancunes », titres des bulletins d’information.
Un paysan face à une armée d’avocats et de policiers en train d’entendre que la terre qu’il travaille, où sont nés et ont grandi ses parents, ses grands-parents, ses arrière-grands-parents, et ainsi de suite jusqu’à ce que le temps se confonde, est maintenant propriété d’une entreprise immobilière, et rendez-vous compte que vous êtes en train de dépouiller ces pauvres entrepreneurs de quelque chose qui légalement leur appartient. La prison.
Un opposant à la fraude électorale voit comment sont exonérés les quarante voleurs et leurs lèche-semelles. La moquerie : « Il fait tourner la page et regarder vers l’avant ». Un homme ou une femme s’approche pour voir ce qui cause l’agitation, et soudain elle est « empaquetée » par les forces de l’ordre. Pendant que celles-ci la ou le poussent, la ou le frappent du poing et pied pour la ou le conduire à la voiture, vous avez le temps de remarquer que les caméras d’une célèbre chaîne de télévision sont dirigées vers l’autre côté.
Un indigène zapatiste dans la prison du mauvais gouvernement (PRI-PAN-PRD-PT-MC) depuis plusieurs années. Il lit dans le journal : « Pourquoi l’EZLN réapparaît-elle seulement maintenant que le PRI est revenu au pouvoir ? Très suspect. »
Vous nous suivez ? À présent... Vous ressentez la certitude de ne pas être à votre place ? Vous ressentez la peur d’être ignoré-e, insulté-e, frappé-e, moqué-e, humilié-e, violé-e, emprisonné-e, assassiné-e, rien que parce que vous êtes qui vous êtes ? Vous ressentez cette impuissance de ne rien pouvoir faire pour l’éviter, pour vous défendre, pour qu’on vous écoute ? Vous maudissez le moment où vous vous êtes fourré à cet endroit, le jour où vous êtes né-e, le moment où vous avez commencé à lire ce texte ?
Plusieurs des exemples ci-dessus mentionnés ont un nom, un calendrier, une géographie : Juan Francisco Kuykendall Leal. Le compa Kuy, de la Sexta, professeur, dramaturge, metteur en scène de théâtre. Crâne démoli le 1er décembre 2012 par un tir des « forces de l’ordre ». Il projetait de créer une pièce de théâtre sur Enrique Peña Nieto.
José Uriel Sandoval Díaz. Jeune étudiant de l’Université autonome de la Ville de Mexico (UACM), et membre du Conseil étudiant de lutte (CEL). Il a perdu un œil dans la répression du 1er décembre 2012, suite à l’attaque des « forces de l’ordre ». Il projetait de résister à l’imposition d’Enrique Peña Nieto.
Celedonio Prudencio Monroy. Indigène nahua. Enlevé le 23 octobre 2012 par les « forces de l’ordre ». Il projetait de résister à la spoliation des terres nahuas par les compagnies minières et les déboiseurs.
Adrián Javier González Villarreal. Jeune élève de la Faculté d’ingénierie mécanique et électrique de l’Université autonome du Nuevo León (Mexique), assassiné en janvier 2013 par les « forces de l’ordre ». Il projetait d’obtenir son diplôme et de réussir ensuite en tant que professionnel.
Cruz Morales Calderón et Juvencio Lascurain. Paysans faits prisonniers à Veracruz en 2010-2011 par les « forces de l’ordre ». Ils projetaient de résister à la spoliation de leurs terres de la part d’entreprises immobilières.
Matías Valentín Catrileo Quezada. Jeune indigène mapuche, assassiné le 3 janvier 2008 au Chili (Amérique Latine), par les « forces de l’ordre ». Il projetait de résister à la spoliation de la terre mapuche de la part du gouvernement, des grands propriétaires et des entreprises multinationales.
Francisco Sántiz López, indigène zapatiste, injustement emprisonné par les « forces de l’ordre » [1]. Il projetait de résister à la contre-insurrection gouvernementale de Juan Sabines Guerrero et Felipe Calderón Hinojosa.
À présent... ne désespérez pas, nous avons presque fini... À présent, imaginez que vous n’avez pas peur, ou que vous avez peur mais que vous la contrôlez. Imaginez que, face au miroir, non seulement vous n’occultez pas, ne maquillez pas votre différence, mais que vous la soulignez. Imaginez que vous faites de votre être différent un bouclier et une arme, que vous vous défendez, que vous en trouvez d’autres comme vous, que vous vous organisez, résistez, luttez, et presque sans vous en rendre compte, vous passez du « je suis différent » à « nous sommes différents ». Imaginez que vous ne cachez pas derrière la « maturité » et le « bon sens », derrière les « le moment n’est pas venu », « les conditions ne sont pas réunies », il faut attendre », « c’est inutile », « il n’y a rien à faire ». Imaginez que vous ne vous vendez pas, que vous ne tergiversez pas, que vous ne vous rendez pas. Vous avez réussi à l’imaginer ? Bon, eh bien même si ni nous ni vous ne le savons pour l’instant, nous faisons partie d’un « nous » plus grand et encore à construire.
(à suivre) Depuis n’importe où, dans n’importe lequel des mondes.
Sup Marcos
Planète Terre Janvier 2013.
Écoute et regarde la vidéo qui accompagne ce texte : « Born Free » interprété par M.I.A. (Mathangi « Maya » Arulpragasam). Vidéo. Metteur en scène : Romain Gavras (fils de Costa Gavras). Photographie : André Chemetoff. Production : Mourad Belkeddar. Production exécutive : Gaëtan Rousseau / Paradoxal. Cette vidéo a été censurée par YouTube à cause de son contenu. « Burnin’ an Lootin’ » de Bob Marley. Video début de « La Haine », écrit et dirigé par Mathieu Kassovitz, 1995. Sous-titres en espagnol.
[1] Il vient d’être libéré, le lendemain même de la publication de ce texte, NdT. 27-01-13
Traduit par el Viejo
http://enlacezapatista.ezln.org.mx/2013/01/24/ellos-y-nosotros-iv-los-dolores-de-abajo/
Adresse de cet article: http://cspcl.ouvaton.org/article.php3?id_article=924
Un opposant à la fraude électorale voit comment sont exonérés les quarante voleurs et leurs lèche-semelles. La moquerie : « Il fait tourner la page et regarder vers l’avant ». Un homme ou une femme s’approche pour voir ce qui cause l’agitation, et soudain elle est « empaquetée » par les forces de l’ordre. Pendant que celles-ci la ou le poussent, la ou le frappent du poing et pied pour la ou le conduire à la voiture, vous avez le temps de remarquer que les caméras d’une célèbre chaîne de télévision sont dirigées vers l’autre côté.
Un indigène zapatiste dans la prison du mauvais gouvernement (PRI-PAN-PRD-PT-MC) depuis plusieurs années. Il lit dans le journal : « Pourquoi l’EZLN réapparaît-elle seulement maintenant que le PRI est revenu au pouvoir ? Très suspect. »
Vous nous suivez ? À présent... Vous ressentez la certitude de ne pas être à votre place ? Vous ressentez la peur d’être ignoré-e, insulté-e, frappé-e, moqué-e, humilié-e, violé-e, emprisonné-e, assassiné-e, rien que parce que vous êtes qui vous êtes ? Vous ressentez cette impuissance de ne rien pouvoir faire pour l’éviter, pour vous défendre, pour qu’on vous écoute ? Vous maudissez le moment où vous vous êtes fourré à cet endroit, le jour où vous êtes né-e, le moment où vous avez commencé à lire ce texte ?
Plusieurs des exemples ci-dessus mentionnés ont un nom, un calendrier, une géographie : Juan Francisco Kuykendall Leal. Le compa Kuy, de la Sexta, professeur, dramaturge, metteur en scène de théâtre. Crâne démoli le 1er décembre 2012 par un tir des « forces de l’ordre ». Il projetait de créer une pièce de théâtre sur Enrique Peña Nieto.
José Uriel Sandoval Díaz. Jeune étudiant de l’Université autonome de la Ville de Mexico (UACM), et membre du Conseil étudiant de lutte (CEL). Il a perdu un œil dans la répression du 1er décembre 2012, suite à l’attaque des « forces de l’ordre ». Il projetait de résister à l’imposition d’Enrique Peña Nieto.
Celedonio Prudencio Monroy. Indigène nahua. Enlevé le 23 octobre 2012 par les « forces de l’ordre ». Il projetait de résister à la spoliation des terres nahuas par les compagnies minières et les déboiseurs.
Adrián Javier González Villarreal. Jeune élève de la Faculté d’ingénierie mécanique et électrique de l’Université autonome du Nuevo León (Mexique), assassiné en janvier 2013 par les « forces de l’ordre ». Il projetait d’obtenir son diplôme et de réussir ensuite en tant que professionnel.
Cruz Morales Calderón et Juvencio Lascurain. Paysans faits prisonniers à Veracruz en 2010-2011 par les « forces de l’ordre ». Ils projetaient de résister à la spoliation de leurs terres de la part d’entreprises immobilières.
Matías Valentín Catrileo Quezada. Jeune indigène mapuche, assassiné le 3 janvier 2008 au Chili (Amérique Latine), par les « forces de l’ordre ». Il projetait de résister à la spoliation de la terre mapuche de la part du gouvernement, des grands propriétaires et des entreprises multinationales.
Francisco Sántiz López, indigène zapatiste, injustement emprisonné par les « forces de l’ordre » [1]. Il projetait de résister à la contre-insurrection gouvernementale de Juan Sabines Guerrero et Felipe Calderón Hinojosa.
À présent... ne désespérez pas, nous avons presque fini... À présent, imaginez que vous n’avez pas peur, ou que vous avez peur mais que vous la contrôlez. Imaginez que, face au miroir, non seulement vous n’occultez pas, ne maquillez pas votre différence, mais que vous la soulignez. Imaginez que vous faites de votre être différent un bouclier et une arme, que vous vous défendez, que vous en trouvez d’autres comme vous, que vous vous organisez, résistez, luttez, et presque sans vous en rendre compte, vous passez du « je suis différent » à « nous sommes différents ». Imaginez que vous ne cachez pas derrière la « maturité » et le « bon sens », derrière les « le moment n’est pas venu », « les conditions ne sont pas réunies », il faut attendre », « c’est inutile », « il n’y a rien à faire ». Imaginez que vous ne vous vendez pas, que vous ne tergiversez pas, que vous ne vous rendez pas. Vous avez réussi à l’imaginer ? Bon, eh bien même si ni nous ni vous ne le savons pour l’instant, nous faisons partie d’un « nous » plus grand et encore à construire.
(à suivre) Depuis n’importe où, dans n’importe lequel des mondes.
Sup Marcos
Planète Terre Janvier 2013.
Écoute et regarde la vidéo qui accompagne ce texte : « Born Free » interprété par M.I.A. (Mathangi « Maya » Arulpragasam). Vidéo. Metteur en scène : Romain Gavras (fils de Costa Gavras). Photographie : André Chemetoff. Production : Mourad Belkeddar. Production exécutive : Gaëtan Rousseau / Paradoxal. Cette vidéo a été censurée par YouTube à cause de son contenu. « Burnin’ an Lootin’ » de Bob Marley. Video début de « La Haine », écrit et dirigé par Mathieu Kassovitz, 1995. Sous-titres en espagnol.
[1] Il vient d’être libéré, le lendemain même de la publication de ce texte, NdT. 27-01-13
Traduit par el Viejo
http://enlacezapatista.ezln.org.mx/2013/01/24/ellos-y-nosotros-iv-los-dolores-de-abajo/
Adresse de cet article: http://cspcl.ouvaton.org/article.php3?id_article=924
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