11 janvier 2013

Retour de ZAD



Par deux frères (du sud-ouest) en pays zadiste | 8 janvier 2013


La ZAD. y parvenir... vendredi 4/1/13


A 8 heures de route en venant du Lot, au nord de Nantes, sont 2.000 ha, destinés à un futur aéroport obsolète, encerclés par les CRS, occupés par les Zadistes que nous espérons rencontrer à l'occasion du Festizad, prétexte du voyage. A Vigneux, on se pointe directe à l'un des RDV fixé par l'organisation du Festizad afin de guider le public vers les lieux de la fête, à savoir le supermarché. Accueil chaleureux... des CRS. Ils filtrent les deux entrées, ne laissant passer que les locaux, bloquent notre véhicule, prennent nos papiers pour “vérification d'identité “, nous demandent d'ouvrir les portières arrières manière de jeter un œil et constater qu'en effet il y a bien des matelas et du matériel de camping. Impossible de faire du gas-oil (jauge sur la réserve) nous disent-ils, l'ordre est d'interdire l’accès des festivaliers au supermarché !

Le décor est ainsi planté. Des bleus à tous les carrefours décidés à mettre des bâtons dans les roues d'un festival pourtant autorisé par la préfecture. On apprendra plus tard qu'ils ont aussi tenté de bloquer le matériel scénique, chapiteaux, sonos, sans compter la restauration, les boissons.. (1)

Dans le bourg, un gars qui revient à pied du lieu du festival nous dit que l’accès en voiture est devenu impossible, avec barrages, contrôles, fouille et confiscation éventuelle de tout ce qui est réchauds, combustibles etc.... D'après lui il n'y que 20 minutes de marche par des sentiers boueux. Chaussés de bottes on décide de tenter l'opération, repérer la zone, ainsi qu'un bout d'herbe pas trop détrempée où bivouaquer à proximité de la fête. En chemin on croise un jeune zadiste à VTT, qui lui nous donne des infos géographiques un peu contradictoires. 

De routes vicinales en chemins de traverse les marcheurs en tous sens sont de plus en plus nombreux, une horde de camions de teuffers énervés nous double à vive allure, ce qui confirme que cet itinéraire échappe au filtrage policier. Il est vrai que nous n'avions pas pensé à écouter radio klaxon, la radio de la ZAD (sur 107.7) dont les animateurs tiennent en quasi continu un point info sur l'état du dispositif répressif. Nous redemandons 10 fois notre chemin. Beaucoup semblent aussi paumés que nous le sommes. En réalité il nous faudra 2h pour parvenir jusqu’à l’accueil du festival.

Deuxième jour...

Nous sommes six, à présent, on prend, à trois véhicules, l'itinéraire de la veille, escortés fortuitement par des cars de CRS, il ne se passe rien quand nous bifurquons vers la zone. Beaucoup d'intimidation donc, mais pas d'affrontement. (il paraît qu'il y avait 500 CRS face à 300 agriculteurs manifestant à Nantes la veille). Notre campement est enfin installé en lisière d'une prairie, autour d’un bon gros poêle à bois (destiné à être donné aux zadistes). 

En début de soirée on gagne à pied le lieu du festival. Des camions aménagés, des voitures, des tentes d’où fusent des musiques et des rires, bordent une route sur laquelle se déplace dans un sens et dans l’autre une foule joyeuse, presque hilare, de gens, de cyclistes et de chiens. La nuit noire s’abat sur cette déambulation d’un autre monde. Avec elle la bruine devient brouillard, faisant croître l’impression d’irréalité de la scène. Si ce n’était le froid régnant on pourrait se croire un soir dans n’importe quel coin d’Afrique: Les lumières dansantes, les ombres au sourires éclatants, les palabres animées, les invectives chaleureuses, les chants, les sons, les odeurs de cuisine.


Aux abords du cœur du festival, de plus gros camions (arrivés quand, comment et par où !?) sont garés en tête de file. Dans l’un, d’où s’échappe une odeur de fuel, un mécano est penché sur un puissant groupe électrogène haletant. A l’arrière du suivant, rempli jusqu’à la gueule, quelques-uns s’apprêtent à en décharger le contenu.

Le sol est encore plus boueux qu'hier, nous tentons d'accéder à la scène centrale, en vain. Il y a des groupes qui jouent, les foules continuent de se croiser sur la route.


  L'ambiance est calme, joyeuse. Ça y est ! Keny Arkana est sur scène, on fait une nouvelle tentative, on arrive à l'apercevoir et entendre, de loin, derrière une foule, sans doute plus téméraire ou plus jeune, compacte, qui reprend avec elle « la rage du peuple, la rage du... »et autres succès. Comme d'habitude et plus encore elle remercie tout le monde et s'éclipse. On dégote enfin une buvette qui arrive à l'épuisement de son stock (toujours ces difficultés d'approvisionnement liées aux barrages) et on devise gaiment avec des brestois. Il n'y a rien à manger, plus rien à boire. Fatigués nous rentrons.
La participation était libre, mais l'accueil inaccessible, espérons qu'ils ont pu rentrer dans leur frais.

Il est 3 heures quand nous nous enfilons dans nos duvets. Il bruine.

Visite le lendemain matin à la Sècherie, 



une fermette pas encore concernée par la démolition qui sert de lieu de vie. Un squat peut-être ? Autour sont agglutinés quelques camions et caravanes. Une grangette de fortune, de l'autre côté d'une cour gluante, contient un petit stock de matériel et encore quelques dormeurs emmitouflés. A l'arrière du bâtiment principal, le plancher de palettes d'une cabane à l'ébauche attend des murs, un toit,.. Elle est destinée à contenir un dortoir et un sanitaire.

Spontanément l'un ou l'autre viennent au devant de nous. La conversation s'engage. On va tout de suite à l'essentiel. La fatigue creuse les visages, mais les regards expriment la sérénité, l'ardeur de la lutte, la détermination. Le discours est limpide.
Au-delà des difficultés évidentes que posent l’étau policier et les attaques des gardes mobiles, rien n'est pourtant simple dans la cohésion entre les multiples îlots de résistance. Par exemple, le Festizad n'est pas le fait d'une décision commune à tous les zadistes. Du reste, ceux de la Sécherie se plaignent d'avoir subi une razzia de matos (destiné à la construction) par les organisateurs du festoche. Il semble qu'ici et là les insurgés sont également confrontés à des intrusions dans leurs équipes de gens malveillants, faiseurs de zizanie, voire saboteurs intentionnels.

L'eau potable, par ailleurs est susceptible d'être contaminée, remarque notre interlocuteur, pas seulement par les hectolitres de lacrymo bombardés par les « gardiens de la paix » durant les derniers mois, mais aussi par les drogues ingurgitées (et rendues d'une façon ou d'une autre à la terre) par la foule de teuffers. Il faut préciser qu'en "zone humide" la nappe phréatique affleure et que c'est elle qui alimente la ZAD.

La Chateigne

Poursuivant une route vicinale, on parvient au bout de quelques centaines de mètres à un embranchement occupé par plusieurs cars de keufs. Aujourd'hui ces derniers laissent passer les piétons. Nul besoin donc d'emprunter les sentiers terreux permettant de contourner l'obstacle.

Plus loin, au détour de quelques restes de barricades témoignant de la violence d'affrontements passés, du haut d'un arbre, ou plus précisément, depuis la vaste cabane construite dans les ramures d'un arbre séculaire, de la musique classique diffusée à tu-tête accueille les nombreux passants du jour. Au pied de ce qui constitue peut-être l'un des avant-postes de la résistance, des tentes occupent la prairie, une assemblée joyeuse se tient autour d'une table conviviale.


Ça et là, le tunnel de brumes guidant notre pénétration vers le camp retranché du "peuple de boue" s'éclaire de créations style ND du land'art.


Un chemin à droite, presque un chenal de boue liquide plonge dans la forêt. L’accès à la Chateigne est signalé par un panneau. D'autres écriteaux demandent instamment aux visiteurs d’éviter les sentiers par les bois (2)
On débouche enfin  sur une clairière ou des pontons de bois assemblé relient à pied sec les maisons.




C'est un peu Bruegel, un peu Verdun, un peu le village gaulois, un peu aussi ces villages sur pilotis des lagunes africaines.


Clin d’œil paysan (?), les tracteurs enchaînés les uns aux autres, tout autour forment le cercle contre les bulls vincistes.
 
 

Non loin d'un four enduit d'ocre jaune et ronflant, au beau milieu de ce marée-cage, une tablée de compères se réchauffe d'un plat fumant qui embaume.
Quelques pas nous séparent du stand d'information. Là encore on est accueillis avec  sympathie, avec la même intensité qu'ailleurs sur la ZAD  -bien qu'après tout nous ne sommes potentiellement que des touristes en visite au zoo (!)-.

Ici comme ailleurs sur la zone, il n'y a pas l'électricité. Chaque objet, les matériaux, la nourriture, l'eau, ... sont acheminés à travers bois, de nuit le plus souvent, nous explique t'on. Les porteurs se faufilent entre les barrages, évitent les rondes de policiers ou gendarmes équipés eux, de lunettes infra-rouge ou de puissants projecteurs.


Et bien, chers gens du marais à défendre, peuple de boue, inlassables bâtisseurs de cabanes et autres machinistes fous, on vous dit: courage, solidarité, chapeau bas, grand bravo, mille merci de faire exister ce laboratoire de la démocratie du futur, ce chantier de la démerde, ce lieu de vie, la vraie, celle d'une économie qui rendra son droit d'exister à tout être vivant de la planète !
  
Hasta la victoria siempre!

PS: et merci pour Keny Arkana...

  
Deux frères (du sud-ouest) en pays zadiste


Notes :
1 : En fait les chapiteaux avaient été interdits par la préfecture
2 : Le tassement (par piétinement) cause l’asphyxie des systèmes racinaires

Plus d'Info, https://zad.nadir.org/,
Radio Klaxon-la radio des occupant-e-s de la ZAD

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