Le partenariat transatlantique serait un des accords de libre-échange et de libéralisation de l’investissement les plus importants jamais conclus, représentant la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges commerciaux. Comme d’autres accords bilatéraux signés récemment ou en cours de négociations – notamment l’accord UE-Canada – le PTCI ne se contentera pas d’abolir les barrières douanières ; il s’étendra aussi aux « barrières non-tarifaires ».
En effet, toute réglementation, même décidée démocratiquement, peut être considérée comme un obstacle au commerce. Le PTCI va donc viser le démantèlement, ou l’affaiblissement, de toutes les normes qui limitent les profits des entreprises européennes ou états-uniennes, en fonction de leurs intérêts respectifs.
Le volet « investissement » du mandat de négociation du PTCI prévoit en outre un mécanisme particulièrement menaçant dit « de règlement des différends » qui pourraient survenir entre des acteurs économiques privés et l’un des gouvernements. L’accord UE-Canada, qui n’est pas encore ratifié, contient une telle procédure.
L’introduction d’un tel mécanisme ad-hoc, à travers la nomination d’experts « arbitres » qui délibéreraient indépendamment des juridictions publiques nationales ou communautaires, permettrait aux transnationales de poursuivre des Etats dont les normes sanitaires, écologiques ou sociales, ou toute autre réglementation protectrice des consommateurs ou des économies locales, apparaîtraient comme des entraves aux investissements étrangers. L’objectif : étendre le champ possible des investissements et « sécuriser » la liberté et les bénéfices des investisseurs.
Le PTCI pourrait avoir des conséquences considérables dans bien d’autres domaines qui dépassent largement le périmètre du commerce. Il renforcerait par exemple drastiquement les droits de propriété intellectuelle des acteurs économiques privés et du domaine du brevetable, et pourrait donner aux multinationales des nouvelles technologies de l’information un pouvoir accru de contrôle des données de l’internet, notamment celles relatives aux citoyens. Pour la Commission européenne, qui négocie au nom de tous les pays de l’Union européenne, il s’agit d’aligner le PTCI sur « le plus haut niveau de libéralisation » qui soit. Elle souhaite même ériger l’accord en modèle.
Ce Guide de navigation pour affronter le grand marché transatlantique décrypte les principaux risques émanant de ce projet d’accord.
Alerte 1 - La diminution des droits de douane et les attaques sur les normes sociales, sanitaires et écologiques
Le mandat donné à la Commission européenne par le Conseil des ministres européen du commerce du 14 juin 2013 appelle à une « réduction substantielle des tarifs douaniers ». Si les droits de douane sont en moyenne assez faibles de part et d’autre de l’Atlantique, ils restent élevés dans certains secteurs.
Dans l’agriculture par exemple, les droits de douane moyens sont de 7% côté Etats-Unis et de 13% côté Union européenne. Ces droits de douane protègent certains secteurs vis-à-vis d’une agriculture états- unienne plus industrielle et plus « compétitive », du fait notamment de la médiocrité des protections sociales et environnementales outre-Atlantique. Les droits de douane permettent également à l’UE de se protéger d’un taux de change plus favorable pour les productions états-uniennes. Que se passerait-il si ces droits de douane étaient démantelés ? Face à l’arrivée massive de nouveaux produits agricoles américains, notre propre agriculture n’aurait d’autre possibilité que de généraliser le modèle agro-exportateur défendu par les transnationales européennes.
La concurrence accrue aboutirait à la contraction des coûts de production, qui exigerait d’affaiblir les standards environnementaux, alimentaires, sociaux. Les perspectives de promotion des circuits courts et de la relocalisation des activités agricoles, de l’agro- écologie et de l’agriculture paysanne disparaîtraient.
Outre les barrières douanières, l’Union européenne et les Etats-Unis présentent des règles sanitaires, environnementales – et notamment de bien-être animal dans le secteur agricole et alimentaire – très dissemblables. Les Etats-Unis utiliseront l’opportunité du PTCI pour contraindre l’Union européenne à l’abandon de ses mesures « protectionnistes » et à l’adoption des normes américaines.
L’argument principal des promoteurs du PTCI porte sur les retombées économiques. Pourtant, d’après une étude de la Commission européenne, le gain en terme de PIB est estimé à 0,1% pour 10 ans, soit moins de 0,01% par an… Des « retombées » en vérité tout à fait insignifiantes comparées aux risques qui pèsent sur l’emploi et les droits sociaux. Ceux-ci pourraient en effet être revus à la baisse dans le cadre de l’« harmonisation » des normes sociales.
Ainsi, par exemple, d’après la Confédération syndicale états-unienne AFL-CIO, l’ALENA (accord similaire entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada) a déjà coûté 1 million d’emplois du fait notamment de l’abaissement des tarifs douaniers et des restructurations d’entreprises devenues « non-compétitives ». Par cette extension géographique de la compétition économique, le marché transatlantique favoriserait les fusions/acquisitions d’entreprises, donnant aux firmes multinationales un contrôle de plus en plus grand de l’économie et de la finance.
Concrètement
Le bœuf aux hormones représente la plus grande partie de la production et de la consommation de bœuf aux Etats-Unis ; la production et l’importation en sont interdites dans l’UE, pour des raisons de risques sanitaires. L’OMC avait déjà donné raison aux Etats-Unis et au Canada dans le cadre de leur plainte contre l’UE, en autorisant la mise en place de mesures de rétorsion. Qu’en sera-t-il dans le cadre du PTCI ?
La question se pose aussi pour les volailles désinfectées avec des solutions chlorées, que les Etats-Unis souhaitent pouvoir exporter dans l’UE. L’accord UE-Canada, s’il était ratifié, autoriserait les firmes à porter plainte contre les Etats qui refusent le bœuf aux hormones, et ouvrirait directement la voie à un accord UE-US.
A ce jour, 52 variétés d’OGM sont autorisées à l’importation dans l’UE ; les puissantes multinationales semencières et lobbies agro-industriels européens et américains font pression pour que la liste soit élargie. Les clauses de sauvegarde décidées par certains pays comme la France, qui refusent la plantation d’OGM sur leur territoire, pourraient être attaquées par une multinationale via le mécanisme de règlement des différends.
Pour l’industrie européenne comme états-unienne, et notamment pour les industries extractives, les négociations du PTCI et l’accord UE-Canada sont une aubaine : l’occasion d’obtenir la remise en cause d’un certain nombre de protections ou de régulations écologiques, par exemple sur l’exploitation des gaz de schiste qui demeure interdite en France et en Bulgarie, ou encore de la réglementation européenne REACH sur les produits chimiques, jugée trop contraignante.
Les banques et assurances se frottent les mains : le PTCI sera aussi l’occasion pour les lobbies financiers d’amoindrir les instruments de régulation financière et bancaire et d’approfondir la libéralisation des services financiers. Il deviendra impossible de renforcer le contrôle des banques, de taxer les transactions financières, de lutter contre les fonds spéculatifs.
Alerte 2 - La marchandisation de nouveaux pans de l’économie
Les négociations du PTCI ne consistent pas uniquement à abattre les barrières tarifaires et non tarifaires. Il s’agira aussi d’étendre le domaine du libre-échange, notamment dans les secteurs des services. La distribution d’eau et d’électricité, l’éducation, la santé, la recherche, les transports, l’aide aux personnes… ces secteurs qui pour beaucoup relèvent encore du service public, pourraient ainsi être ouverts à la concurrence.
Les négociations du PTCI risquent notamment de conduire à l’ouverture des marchés publics en Europe mais aussi aux Etats-Unis, comme le souhaitent les lobbies européens ; les collectivités locales pourraient être contraintes de lancer des appels d’offre ouverts aux multinationales. Avec à la clé des règles strictes qui ne leur permettront plus de favoriser les entreprises, emplois et produits locaux (et donc le développement local), ni d’adopter des normes environnementales ou sociales élevées.
Le gouvernement français s’est targué d’avoir préservé l’“exception culturelle”, qui permet de subventionner en partie la création artistique, audiovisuelle notamment. Mais l’exception incluse dans le mandat de négociations ne concerne que le secteur de l’audiovisuel : aucune restriction n’a été prévue pour les autres secteurs de la culture et du numérique. Cette exclusion partielle du mandat de négociation n’est par ailleurs pas définitive : à tout moment, la Commission peut demander l’élargissement de son mandat de négociations. Et ces secteurs ne seront pas à l’abri du mécanisme de règlement des différends.
Dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, le PTCI pourrait reprendre les éléments présents dans le projet “ACTA” (Anti-counterfeiting Trade Agreement ou Accord commercial anti-contrefaçon), qui prévoyait de fortement renforcer les droits de propriété intellectuelle et qu’une large mobilisation avait conduit à l’échec en juillet 2012. Au nom de la lutte contre le “piratage” il pourrait en effet permettre une surveillance généralisée du réseau et réduire la liberté d’expression sur internet. Autre conséquence, l’accès des consommateurs à des médicaments abordables (génériques) pourrait être menacé.
Concrètement : une nouvelle étape décisive dans l’histoire de la dérégulation
Depuis les années 90, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été le moteur de la libéralisation du commerce. En son sein, plus de 150 pays négocient la baisse des droits de douane sur de nombreux biens et services, la suppression des barrières non tarifaires, ainsi que l’extension du domaine du libre-échange et du marché, par exemple aux services publics et à la propriété intellectuelle.
La marche de l’OMC vers la dérégulation totale du commerce s’est rapidement heurtée à de nombreux obstacles : mobilisations de la société civile, d’une part, qui récusait les conséquences dramatiques du libre-échange, dénonciation de la mainmise des grandes puissances par les pays en développement, d’autre part. Constatant le relatif blocage de l’OMC, les grandes puissances, et notamment l’Union européenne et les Etats-Unis, se sont engagés dans une stratégie bilatérale et birégionale avec leurs partenaires commerciaux. Elles profitent alors d’un rapport de force très défavorable aux pays les plus pauvres. Lorsque les accords bilatéraux se négocient entre économies de puissance comparable, l’avantage consiste alors pour les négociateurs, à l’abri du regard du public, à pouvoir aller beaucoup plus loin que dans le cadre de l’OMC dans l’instauration d’un système commercial conçu pour et avec les firmes multinationales.
Alerte 3 - Une attaque sans précédent contre la démocratie : les transnationales à la manœuvre, le contrôle citoyen à la trappe
Les multinationales européennes et leurs lobbies, comme Business Europe, ont déployé un lobbying intense en perspective de l’ouverture des négociations du PTCI. Les intérêts industriels prévalent auprès des institutions européennes, comme en témoignent la composition et le fonctionnement du groupe de travail de haut niveau mis en place par l’Union et les Etats-Unis pour examiner les effets de l’accord et faire des recommandations.
La Commission a multiplié les consultations auprès des transnationales européennes. Ainsi, parmi les 130 rendez-vous pris par la Commission pour discuter avec les parties-prenantes de l’accord, 119 concernaient des transnationales ou des lobbies industriels de premier plan. Dans le même temps, le public demeure dans la désinformation la plus totale. Sans forte mobilisation citoyenne, l’opacité des négociations restera la règle, puisque pour l’heure le mandat de la Commission européenne n’a pu être connu que grâce à des fuites.
Mais le premier danger pour la démocratie concerne le mécanisme d’arbitrage « investisseur-Etat » prévu dans le mandat donné à la Commission européenne. Ce mécanisme de règlement des différends, qui figure déjà dans l’accord UE-Canada, permettrait aux transnationales de porter plainte contre un Etat ou une collectivité territoriale dès lors qu’une loi ou qu’une réglementation fera entrave au commerce et à l’investissement.
Pour les multinationales, l’enjeu est immense. Il s’agit d’obtenir la possibilité d’agir en véritable « police de l’investissement », d’obliger les Etats à se conformer à leurs règles et de pouvoir éliminer tout obstacle à leurs profits présents mais aussi futurs ; des obstacles tels que des normes sanitaires, écologiques, sociales, votées démocratiquement, et remises en cause au nom du principe sacré du droit des investisseurs !
On trouve de nombreux exemples de plaintes de multinationales dans le cadre d’accords bilatéraux d’investissement déjà conclus. Certains Etats ont ainsi été condamnés à des amendes très dissuasives, se chiffrant souvent en millions, voire en milliards, de dollars (Nouvelle Zélande, Uruguay, Argentine…).
Lone Pine et les gaz de schiste
Dans le cadre d’un mécanisme similaire au mécanisme d’arbitrage « investisseur-Etat » envisagé dans le PTCI, la multinationale Lone Pine poursuit le gouvernement canadien et demande 250 millions de dollars de réparation pour des investissements et des profits qu’elle ne peut réaliser en raison du moratoire sur l’extraction des gaz de schiste mis en place par le Québec. En France, grâce à des mobilisations populaires importantes, la fracturation hydraulique est pour l’instant interdite. Mais régulièrement, les industriels du secteur reviennent à la charge pour convaincre les autorités des bienfaits économiques de cette extraction ultra-polluante. Que se passera-t-il si les géants de l’énergie européens ou américains utilisent le PTCI pour poursuivre le gouvernement français ?
Conclusion
En 1998, une mobilisation citoyenne internationale avait réussi à mettre en échec un projet d’accord international négocié dans le cadre de l’OCDE, qui visait une libéralisation de l’investissement pour les firmes transnationales, l’Accord multilatéral pour l’investissement (AMI). L’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) a lui aussi été refusé en juillet 2012 par les eurodéputés suite à une large mobilisation des citoyens européens. Il est donc possible de stopper cette soumission des sociétés et de la nature aux intérêts marchands des multinationales.
Nous devons obtenir la non-ratification du traité entre le Canada et l’Union européenne car il contient déjà l’essentiel des dispositions que nous refusons, et le blocage des négociations sur le PTCI car il représente une menace pour les citoyen.ne.s européen.ne.s et états-unien.ne.s.
En France, Attac est à l’initiative de la constitution d’un collectif qui s’oppose à ce projet d’accord et qui rassemblent des dizaines de réseaux citoyens, organisations associatives, syndicales et politiques.
Nous mènerons une campagne de longue haleine qui mobilisera toute l’association (réunions publiques, documents d’information, site internet, interpellation des élus et candidats aux élections européennes, initiatives publiques…) afin que la négociation de cet accord soit remise en cause !
A lire
Une déclaration transatlantique des droits des multinationales, traduction française du rapport rédigé par le réseau Seattle to Brussels, Corporate Europe Observatory et Transnational Institute
www.france.attac.org/TAFTA