Le préfet employé par un trust immobilier dicte la loi contre l’environnement
Pendant que tout le monde regarde ailleurs, le projet de loi dit Macron avance tranquillement à l’Assemblée nationale. Plusieurs de ses dispositions visent à affaiblir la réglementation protégeant l’environnement. En s’appuyant sur le travail d’un haut fonctionnaire employé par le troisième groupe mondial de l’immobilier commercial...
C’est un simple article, qui pourrait à lui seul bouleverser le droit de l’environnement. Plus précisément, il s’agit de l’article 28 du projet de loi Macron.
Une modernisation urgente, apparemment, puisque l’article prévoit qu’elle se fera par ordonnance. Le procédé autorise le gouvernement à écrire des lois sans passer par le Parlement.
- Jean-Pierre Duport -
Surtout, fort de cette expérience dans l’urbanisme public, il est désormais conseiller spécial du Président d’Unibail-Rodamco.
Parmi les projets en développement, on trouve la rénovation du forum des Halles à Paris, ou, tiens, le projet de centre commercial de Val Tolosa, dont Reporterre vous a déjà parlé. Les opposants à Val Tolosa ont même été invités lors de notre rencontre sur les grands projets inutiles.
Celui qui va être le principal inspirateur de la réforme du droit de l’environnement est donc salarié de l’un des principaux promoteurs et gérant d’immobilier commercial en Europe. Un exemple de plus des conflits d’intérêt qui infestent la haute fonction publique, et rappelle, entre autres, l’exemple du préfet Hagelsteen devenu employé de luxe chez Vinci.
La participation du public supprimée ?
Les promoteurs immobiliers ont bien fait en recrutant M. Duport. Car l’article 28 du projet de loi Macron pourrait effectivement leur simplifier la vie. Concrètement, il pourrait par exemple aboutir à ce que, pour certains projets immobiliers, il ne soit plus possible de faire appel une fois d’un décision du tribunal administratif. Par ailleurs, pour les permis de construire, en cas de recours, le dossier serait transmis au préfet alors qu’actuellement c’est le maire qui prend les décisions.
Mais surtout, le processus des enquêtes publiques serait modifié... « Dans certains cas, la participation du public pourrait être tout bonnement supprimée », craint l’avocat Arnaud Gossement, qui a consacré plusieurs articles de son blog à l’article 28. La consultation publique pourrait notamment être limitée « quand le projet est déclaré d’intérêt public », explique l’avocat.
Mais surtout, ce qui met le juriste en colère, c’est que « cette réforme n’est pas née au ministère de l’Ecologie, elle est née à Matignon, quand Manuel Valls est arrivé. (…) Elle est totalement démagogique, elle dit aux constructeurs échaudés par la loi ALUR [loi Duflot – pour l’accès au logement et un urbanisme rénové - NDLR] ’vous voyez on va faire quelque chose’. Sauf que le gouvernement oublie que 85 % du droit de l’environnement est fait par l’Union européenne. »
Les députés n’ont pas pu lire le rapport... qui fonde le projet de loi
Outre le contenu de la réforme, la procédure choisie par le gouvernement fait aussi grincer des dents. Le procédé des ordonnances pose un vrai « problème démocratique », déplore Arnaud Gossement. Car le rapport de M. Duport n’a pas été encore rendu. Certains le croient prévu pour avril, d’autres pour mars. Ce qui est certain, c’est qu’il sortira après l’examen du projet de loi par les parlementaires, qui a déjà commencé en commission et devrait se poursuivre fin janvier en séance publique.
Pour le juriste, cela revient à demander aux parlementaires de voter un texte dont ils ne connaissent même pas le contenu : « Le gouvernement veut un chèque en blanc pour traduire le rapport Duport en mesures juridiques. » Le procédé pourrait même être anticonstitutionnel. « Les ordonnances sont normalement réservées à des domaines techniques et doivent être très précises », poursuit-il. Or l’article 28, au contraire, ratisse large.
La député socialiste Sabine Buis s’insurge elle aussi de la méthode choisie par le gouvernement. Elle a déposé un amendement demandant la suppression de cet article du projet de loi. « On ne peut pas s’asseoir sur la démocratie ! Je suis gênée de savoir qu’il n’y aura pas de débat parlementaire alors que ceux qui prennent les coups sur le terrain, dans ces projets, ce sont les élus », insiste la représentante du département de l’Ardèche.
« J’étais vraiment contente quand j’ai entendu le discours du Président de la République à la conférence environnementale, se rappelle-t-elle. Il disait que le chantier sur la démocratie participative est fondamental. Je déplore qu’il ait fallut le drame de Sivens pour s’en rendre compte, mais j’ai cru qu’ils avaient enfin saisi l’importance du sujet. Et là, je me rends compte qu’il n’y aura pas de chantier. Ils considèrent qu’il est réglé simplement avec cet article 28... »
« Ils ont réunit le conseil en urgence il y a quelques jours, confirme Arnaud Gossement, mais en réalité c’est le rapport Duport qui sera pris en modèle. »
Sabine Buis attend donc la discussion en séance publique, à partir du 26 janvier, pour contester à nouveau l’article. Car selon elle, « l’erreur commise par ce projet de loi c’est de croire que l’on fera plus de croissance en s’asseyant sur l’environnement et la démocratie. »
ON ATTEND L’EXPLICATION DE MATIGNON
La société Unibail n’a pas répondu à nos questions.
Quant au service de communication du Premier ministre, il nous promet par courriel une réponse : "Bonjour, Nous accusons réception de votre demande. Nous ne manquerons pas de revenir vers vous dans les meilleurs délais. Bien cordialement. Service Communication. Cabinet du Premier ministre".
UN SOCIALISTE... QUI CACHE SON NOUVEL EMPLOYEUR
Le 24 janvier prochain, l’Institut Tribune Socialiste, qui s’inscrit dans la lignée du PSU (Parti socialiste unifié, qui était, dans les années 1970, un parti à gauche du PS de l’époque, qui était alors beaucoup plus à gauche qu’il ne l’est aujourd’hui), cet institut, donc, organise une journée de réflexion sur la démocratie :
Dont la présentation n’indique pas qu’il est présentement employé par Unibail-Rodamco. Cela serait pourtant un éclairage fort utile pour les auditeurs. Qui pourraient ainsi réfléchir concrètement à la différence entre démocratie et oligarchie...
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