S’affranchir d’un cadre étouffant


Le ras-le-bol, je crois, ne suffit pas à tout expliquer. C’est juste qu’à un moment donné, la grille des convenances socio-culturelles figée par les dominants, et battue en brèche par les traversées de crise, ne parvient plus à contenir l’indignation et le désir fou de s’en affranchir.

Dans un environnement dévasté comme celui de la Grande perdition, la course imposée à la dominance et le but assigné à chacun de s’inscrire dans une échelle hiérarchique pré-établie et de s’y cantonner ne fonctionne plus.

Une large majorité des populations reste certes à s’étioler, à se racornir, à se punir à coups de stress inhibant, à se réfugier dans des croyances religieuses puériles, des règlements de compte commodes contre de commodes boucs émissaires, des régressions nationalistes, des violences stériles.

Mais d’autres, beaucoup plus activistes et impatients, finissent toujours par s’affranchir du cadre. C’est-à-dire en se passant des forces d’oppositions instituées. Et qui ne servent bien souvent qu’à les juguler.

Nos indignés savent bien que les oppositions politiques ou syndicales institutionnelles, faute d’avoir pu remplacer les vieilles grilles par celles de leur cru, se sont depuis longtemps résignées et dissoutes dans l’ordre établi qu’elles prétendaient contester. Leurs tentatives pour reprendre la main, en Grèce notamment, font chou blanc.

Le soutien de l’opinion publique

Les élites finissantes et les pisse-vinaigre ricanants peuvent toujours maugréer, la force des indignés réside précisément dans l’absence de structures et de leaders auto-proclamés pour les canaliser.

Et ils ont un atout supplémentaire déterminant : le soutien de l’opinion publique, largement acquise en l’occurrence. Le mouvement des Indignés se nourrit de sa seule indignation. Par contre, c’est le ras-le-bol général, la peur du lendemain qui déchante, qui, lui, fait basculer les opinions publiques.

Ce que le faux confort des années-fric enlevait aux mouvements des altermondialistes, les ravages de la Grande perdition sont en train de l’offrir sur un plateau aux Indignés.

Les incorrigibles fesse-mathieu pourront toujours insinuer que ces mouvements, quand ils ne s’essoufflent pas, finissent toujours par être récupérés d’une manière ou d’une autre.
« Car la révolte, si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l’intérieur du groupe. » (Henri Laborit, Éloge de la fuite, Folio).

Éloge de la fuite


Fesse-Mathieu, pisse-vinaigre et élites microcosmiques ont raison. Toute naissance comporte en elle sa propre fin (y compris, soit dit en passant, celle de leur propre petit monde gris à eux). La vie elle-même ne se termine-t-elle pas toujours mal ? Est-ce un raison pour ne pas la vivre ?

Henri Laborit suggérait une piste pour échapper aux carcans des institutions en ruine : la fuite.

La fuite, selon Henri Laborit et les Indignés, éperdue, ne consiste pas à décamper. Mais à se débarrasser vigoureusement du cadre vermoulue auquel on voudrait les lier. Refusant toute compromission, toutes négociations avec les tenants d’un ordre établi défaillant.

Tandis que chez nous, certains s’en remettent une nouvelle fois, en tremblant, à un improbable candidat “socialiste” par défaut, voilà ce que proclament certaines banderoles indignées sur les divers lieux de rassemblement :
« Nous ferons savoir aux politiques et aux élites financières qu’ils servent, que désormais c’est nous, les gens, qui allons décider de notre avenir. »