Vendredi après-midi, Adlène Hicheur, physicien au Cern, en détention provisoire depuis octobre 2009 pour activités terroristes, a été condamné à cinq ans de prison, dont quatre ans ferme. Ses défenseurs et soutiens dénoncent une dangereuse dérive de l'antiterrorisme. Le sursis d'un an lui a été accordé au titre de ses origines algériennes, une circonstance atténuante aux yeux du tribunal. Décryptage d'une issue révélatrice des dérives de l'antiterrorisme à la française.
Cinq ans de prison, dont quatre fermes. Le verdict prononcé contre Adlène Hicheur n’a pas surpris, mais a choqué ses soutiens. Physicien de haut niveau au Cern, il est condamné pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. En cause : des échanges de mails avec un correspondant identifié par les services antiterroristes comme étant Moustapha Debchi, présenté comme un cadre d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en Algérie, ce que la commission rogatoire en Algérie n’a pas permis de prouver.
La présidente de la 14e Chambre du tribunal de grande instance (TGI) a murmuré le verdict. Hors micro, à voix basse, Jacqueline Rebeyrotte l’a rapidement énoncé, avant de lever la séance (la copie de son jugement est publiée au bas de cet article).
Confiscation
À la prison ferme, le tribunal ajoute la confiscation des scellés, soit plus de 15 000 euros trouvés en cash lors des perquisitions et du matériel informatique. Sur les 15 000 euros, 13 000 étaient destinés à financer le début de travaux en Algérie, où Adlène Hicheur venait d’acquérir un terrain. Loin d’un détail, cette confiscation s’apparente à “une humiliation” dénonce Me Baudouin qui n’a pas mâché ses critiques à l’issue du verdict :Le fruit de ses recherches, son travail intellectuel est confisqué. Il a beau être soutenu par plus de 400 physiciens du monde entier, dont un prix Nobel [Jack Steinberger, NDLR], il lui sera difficile de reprendre une vie professionnelle à sa sortie. On a la sensation que l’intention est de le briser, de l’humilier.
Avant l’audience, l’avocat se disait inquiet, bien qu’une “surprise soit toujours possible”. Ses critiques visaient en premier lieu la tenue du procès les 30 et 31 mars derniers, présidé par une magistrate du siège qui “n’assurait pas l’équilibre entre l’accusation et la défense”, mais semblait s’être rangée du côté du Parquet.
Halim Hicheur, le frère du physicien, aussi était inquiet, notamment en raison de la tenue du procès, “complètement à charge”. Un déroulement qui avait surpris Adlène Hicheur, surtout le premier jour : la Présidente procédait à de longues lectures et lui demandait ensuite de réagir, la plupart du temps sans poser de questions plus précises. La deuxième journée avait permis davantage d’échanges. Sans convaincre Me Baudouin d’un déroulement correct : “C’est un scandale judiciaire et l’aboutissement de la logique du rouleau compresseur” a-t-il dénoncé à l’issue du prononcé du verdict.
Au centre de ses critiques : un chef d’accusation (l’association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste) qui n’a jamais reposé sur des faits, “le moindre commencement de cadre pré-opérationnel”. Une procédure abusive qui inaugure l’ère du “pré-terrorisme” et ne manquera pas d’alimenter la propagande d’esprits radicaux, a poursuivi l’avocat :
Ces injustices font le choux gras des terroristes. C’est très regrettable.
Dans des termes très durs, Me Baudouin a dénoncé les risques pour les libertés individuelles et la démocratie d’une justice qui ne reposerait que sur des propos tenus pour qualifier de terroristes des individus. Halim Hicheur a concentré ses critiques contre une “justice qui n’a plus rien d’indépendante”, désignant “une culpabilité déterminée dès le premier jour” :
Le scénario a été écrit dans les bureaux de la DCRI [Direction centrale du gouvernement intérieur, le "FBI à la française" créé par Nicolas Sarkozy en 2008, NDLR]. Il a ensuite été entretenu par son directeur Bernard Squarcini et Frédéric Péchenard [le directeur central de la police judiciaire, NDLR] qui a évoqué dans les médias une bombe qu’Adlène aurait été prêt à poser. A aucun moment cette accusation n’est ressortie pendant le procès.
Story telling
Mathieu Burnel lui a emboité le pas, visant le “story telling” jamais contrarié de l’accusation. Mis en examen dans l’affaire Tarnac, il a apporté son soutien à Adlène Hicheur lors d’une conférence de presse mi-mars et a signé en début de semaine une tribune dans Le Monde avec Halim Hicheur, Jean-Pierre Lees, directeur de recherche au CNRS, et Rabah Bouguerrouma, porte-parole d’un collectif viennois créé pour l’occasion.
À la sortie de l’audience, devant les dizaines de caméras et de
micros, Mathieu Burnel a vivement déploré la distorsion entre cette
issue qui paraissait “aberrante à tout le monde, y compris les journalistes” et l’absence de remise en question du “story telling” par les médias alors que l’arrestation s’était déroulée presque un an jour pour jour après Tarnac :
Dans l’affaire Tarnac, les journalistes ont fait leur métier. Dans l’affaire Hicheur, ils sont là pour compter les années de prison.
Lors du procès, Adlène Hicheur avait contesté le chapeau qu’on essayait de lui faire porter, “plus une plate-forme qu’un sombrero”.
Outre les 35 mails échangés, l’accusation s’appuyait sur les documents
trouvés chez lui, dont les traductions étaient très approximatives
avait-il dénoncé. Dans son jugement, le tribunal note que ces documents “démontrai[en]t l’intérêt, voire la fascination, d’Adlène Hicheur pour l’islamisme radical et le jihad guerrier”
(voir p. 17 du jugement reproduit en intégralité au bas de l’article).
Et réfute d’un point d’interrogation la défense du prévenu (page 14) :
Interrogé sur la teneur de ces documents, Adlène Hicheur a déclaré qu’ils étaient “relatifs à l’histoire de l’Islam” (?).
L’affaire est à la croisée du cyberjihad et de l’association de malfaiteurs. Le premier, la “fréquentation
assidue [par Adlène Hicheur] de sites pro-djihadistes, ainsi que par
son action pour l’animer et traduire, afin de les mettre en ligne, des
documents émanant notamment d’AQMI” confirme son intérêt pour le jihad selon le tribunal.
Le second, l’association de malfaiteurs, était le plus contesté par
sa défense qui soulignait des propos parfois inquiétants mais limités à
l’échange d’opinions. Pour le tribunal, Adlène Hicheur a désigné “une
cible potentielle à un individu appartenant à une organisation
terroriste, en l’occurrence AQMi, sans savoir quelle suite serait donnée
à sa suggestion”.
Il a ensuite détaillé les modalités dans un texte (page 40). Ce texte
avait fait l’objet de vives protestations de la part de la défense
d’Adlène Hicheur : il n’a jamais été envoyé et ne peut être qualifié de
message. Le tribunal l’a considéré comme tel, s’appuyant sur sa forme : “Il s’agissait donc d’une missive complète et manifestement envoyée” (sic).
Le jugement se clôt donc sur une peine de cinq ans, dont quatre
fermes, que les deux ans et demi de détention provisoire effectués par
Adlène Hicheur couvriront en partie. La circonstance atténuante, un an
avec sursis, est accordée au titre de son origine algérienne (page 45) :
Adlène Hicheur a employé plusieurs fois le terme “humiliation” et l’on sent, à travers les messages de cet homme intelligent et fier, la douleur d’appartenir à un peuple qui a effectivement été colonisé pendant deux siècles par des représentants de son pays d’accueil et d’adoption ainsi que la difficulté à surmonter cette antinomie. Le Tribunal ne peut de même ignorer qu’Adlène Hicheur est né à Sétif, ville de triste mémoire, ce qui n’a pu que renforcer son sentiment d’injustice, d’humiliation devant le sort réservé à ses pères (sic).voir en ligne
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