Le Monde.fr | 30 décembre 2011 | par Jean-Michel Costes, sociologue
Il faut dépénaliser l'usage de drogue
La baisse du nombre d'usagers de produits illicites et de personnes ayant une consommation problématique d'alcool d'ici à 2011 constitue (...) l'objectif central du plan gouvernemental." Tel était le principe directeur du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies 2008-2011 qui arrive à échéance. Quel bilan peut-on en dresser, alors qu'en rupture avec ses prédécesseurs ce plan insistait sur le rappel de l'interdit pesant sur l'utilisation des drogues illicites ? L'objectif est-il atteint ?
Force est de constater qu'il ne l'est pas et qu'on s'en est plutôt éloigné. Chez les Français, la consommation de tabac, qui était à la baisse, semble reprendre, la consommation problématique d'alcool est orientée à la hausse, la consommation de cannabis est restée stable à un des plus hauts niveaux européens et celle de la cocaïne a progressé à un rythme très élevé.
Le seul indicateur que l'on pourrait mettre au crédit de l'objectif attendu est celui de la consommation de cannabis parmi les jeunes de 17 ans, qui a poursuivi une décroissance amorcée depuis 2002. Mais, en ce domaine, on constate la confirmation de la tendance observée depuis 2002. Si on pouvait mettre cette rupture de tendance à l'actif d'une politique publique, il serait honnête de l'imputer à la stratégie en cours avant la date du changement, c'est-à-dire le plan gouvernemental 1999-2002, qui mettait en avant une approche centrée sur la réduction des risques. Et cette relative bonne nouvelle ne doit pas masquer les "mauvaises" concernant la progression des produits licites. C'est tout le problème d'une politique publique obsédée par le cannabis et qui oublie que les méfaits principaux des "drogues" sont à mettre à l'actif des deux produits les plus consommés : le tabac et l'alcool.
Force est de constater qu'il ne l'est pas et qu'on s'en est plutôt éloigné. Chez les Français, la consommation de tabac, qui était à la baisse, semble reprendre, la consommation problématique d'alcool est orientée à la hausse, la consommation de cannabis est restée stable à un des plus hauts niveaux européens et celle de la cocaïne a progressé à un rythme très élevé.
Le seul indicateur que l'on pourrait mettre au crédit de l'objectif attendu est celui de la consommation de cannabis parmi les jeunes de 17 ans, qui a poursuivi une décroissance amorcée depuis 2002. Mais, en ce domaine, on constate la confirmation de la tendance observée depuis 2002. Si on pouvait mettre cette rupture de tendance à l'actif d'une politique publique, il serait honnête de l'imputer à la stratégie en cours avant la date du changement, c'est-à-dire le plan gouvernemental 1999-2002, qui mettait en avant une approche centrée sur la réduction des risques. Et cette relative bonne nouvelle ne doit pas masquer les "mauvaises" concernant la progression des produits licites. C'est tout le problème d'une politique publique obsédée par le cannabis et qui oublie que les méfaits principaux des "drogues" sont à mettre à l'actif des deux produits les plus consommés : le tabac et l'alcool.
Un autre indicateur majeur d'évaluation d'une politique publique sur les drogues serait celui qui permettrait d'apprécier l'évolution de la mortalité liée aux usages des drogues. Or le bilan est tout aussi négatif. Le nombre de décès liés aux usages de drogues illicites a progressé ces cinq dernières années. Combien faudra-t-il de morts supplémentaires pour se rendre à l'évidence que l'approche actuelle mène à une impasse et pose un problème de santé publique ?
Par sa posture répressive, cette politique renforce la stigmatisation des usagers, considérés comme des "coupables" et accentue leur précarisation, liée à une moindre accessibilité aux dispositifs de prévention et de soin qu'induit la pénalisation de leur comportement. Cette politique a échoué. Aussi est-il raisonnable de penser et d'espérer que cette phase régressive de la stratégie sur les drogues ne soit que transitoire. Une autre politique, pragmatique, fondée sur des données probantes, est en effet possible. Pour réussir, elle devra s'attacher à respecter plusieurs principes.
Elle doit d'abord renoncer à clamer vouloir éradiquer l'usage de drogues. Il s'agit de s'employer à réduire les aspects néfastes des usages de drogues. Il convient pour cela de clarifier les principes directeurs de l'action à mettre en oeuvre : on "lutte contre les drogues" parce qu'elles posent un problème de santé ; sinon, la société n'aurait pas à intervenir à ce sujet. L'approche de "santé publique" doit donc guider cette politique. L'approche "sécurité publique" doit être mise au service de celle-là. On peut donc continuer à envisager de faire la guerre à la drogue, mais il est irresponsable de continuer à faire la guerre aux usagers.
Cela amène au nécessaire débat sur la "dépénalisation" de l'usage des drogues, à ne pas confondre avec celui de la "légalisation" (le rendre légalement accessible). La loi du 31 décembre 1970 sur les drogues est une loi d'exception. C'est le seul domaine dans lequel un individu est passible d'une peine d'emprisonnement pour un dommage qu'il se fait à lui-même. Peut-on en effet imaginer sur le plan éthique de prévenir et d'agir sur le suicide en mettant en prison ceux qui en commettent des tentatives ?
Améliorer l'accès aux soins
Dépénaliser ce comportement, c'est se donner plus de chances d'atteindre ce public et de rendre plus efficaces les dispositifs sanitaires sociaux. Dépénaliser les "usages" ne veut pas dire supprimer l'interdit sur les "drogues". La dépénalisation est compatible avec une volonté de contrôle sur l'offre de drogues. Au regard des lacunes du système de prévention et de soin existant, une nouvelle stratégie sur les drogues devrait s'articuler autour de quatre axes : contrôler/réguler l'offre, prévenir les usages nocifs, réduire les dommages et améliorer l'accès aux soins et leur qualité.
L'ensemble des acteurs du champ de la prévention et du soin a fait des propositions cette année dans le cadre d'un Livre blanc sur les addictions. L'Inserm a mené une expertise collective et fait des recommandations pour améliorer le dispositif de réduction des risques. Il serait temps que la structure administrative chargée du dossier drogues rompe son isolement, renoue avec les professionnels et prenne en compte ces travaux pour préparer le prochain plan du gouvernement.
A la croisée d'un plan du gouvernement sur les drogues qui s'achève et d'une campagne électorale qui démarre, il serait salutaire que les candidats puissent s'emparer du sujet dans sa complexité, au-delà du faux consensus énonçant que tout le monde est contre "la drogue". Il est vrai que le lobby des usagers de drogues est peu puissant. Mais cette absence de visibilité masque une inquiétude générale et beaucoup de souffrance. Espérons un peu de courage. Au moins, ouvrons le débat.
L'ensemble des acteurs du champ de la prévention et du soin a fait des propositions cette année dans le cadre d'un Livre blanc sur les addictions. L'Inserm a mené une expertise collective et fait des recommandations pour améliorer le dispositif de réduction des risques. Il serait temps que la structure administrative chargée du dossier drogues rompe son isolement, renoue avec les professionnels et prenne en compte ces travaux pour préparer le prochain plan du gouvernement.
A la croisée d'un plan du gouvernement sur les drogues qui s'achève et d'une campagne électorale qui démarre, il serait salutaire que les candidats puissent s'emparer du sujet dans sa complexité, au-delà du faux consensus énonçant que tout le monde est contre "la drogue". Il est vrai que le lobby des usagers de drogues est peu puissant. Mais cette absence de visibilité masque une inquiétude générale et beaucoup de souffrance. Espérons un peu de courage. Au moins, ouvrons le débat.
Jean-Michel Costes a fondé en 1995 et dirigé jusqu'en avril 2011 l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Ancien directeur de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanie.
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