DESOBEISSANCE CIVILE | vendredi 20 janvier 2012 | par Nadia Khost
Syrie: témoignage d'une femme de lettre
Résister aux milices armées soutenues par l’étranger est une question de survie pour le peuple syrien
par Nadia Khost
Victime
de milices islamistes violentes qui terrorisent les gens, la
population syrienne craint ces opposants armés qui sèment la peur et le
chaos. L’écrivaine syrienne Nadia Khost — auteur de nombreux ouvrages
d’essais et de nouvelles portant sur l’histoire, l’architecture, la
conservation et la protection du patrimoine de la Civilisation Arabe —
vit à Damas. Ce qu’elle nous dit ici, sur ce qui se passe véritablement
en Syrie, doit être pris très au sérieux. Son témoignage ne correspond
en rien à la version des faits qui nous est rapportée par de prétendus
« grands reporters » français.
Les bandes armées sévissent là où
elles peuvent… Les observateurs écoutent les témoignages des blessés,
entendent les pleurs des enfants réclamant leurs pères kidnappés,
constatent les blessures portées post mortem, notent les identités, les récits, les lieux, les horaires…
Pendant ce temps, les
télévisions syriennes filment à distance et restituent des images
d’horreurs, de massacres, que les Syriens ne pouvaient imaginer se
produire sur leur sol. Des images qu’ils n’ont jamais connues au cours
de leur histoire contemporaine : cadavres mutilés, membres coupés,
cœurs arrachés, corps brûlés et manifestement torturés.
Ainsi, le 8 janvier, nous avons
tous partagé le malheur et la tristesse d’un groupe d’habitants de la
ville de Homs à peine éclairés par les bougies encore allumées et qui,
en pleine veillée funèbre en hommage à leurs victimes, se sont vus
attaqués par des bandes armées faisant sur leur passage de nouvelles
victimes…des morts et des blessés. Toujours à Homs, le 10 janvier nous
avons déploré un ingénieur assassiné, son collègue blessé, un enseignant
kidnappé. Finalement, ces bandes assassines en sont arrivées à
interdire la fréquentation des établissements scolaires dont environ un
millier de bâtiments sont désormais en ruines !
Par conséquent, le problème
actuel en Syrie n’a rien à voir avec ce qu’affirment les médias
occidentaux ; à savoir, un conflit entre une opposition politique qui
demande des réformes et un gouvernement qui les refuse. Le problème en
Syrie est celui de bandes armées et de groupes de criminels qui sèment
le chaos en s’attaquant à une société habituée depuis des décennies à
vivre en sécurité. Lorsqu’une infirmière déclare aux observateurs
envoyés par la Ligue arabe : « Alors qu’avant nous
rentrions chez nous à une heure du matin en toute confiance, à présent
nous n’osons plus sortir à la tombée de la nuit », elle résume une réalité inédite en Syrie.
En effet, l’un des buts de
l’assassinat de soldats et de policiers est justement la généralisation
du chaos. Ce même chaos que Georges Bush a installé en Irak avec comme
conséquence prévisible, le démantèlement de l’État et la domination de
gangs violents. Dans sa guerre contre la Syrie, l’Occident a adopté ce
même projet. La preuve en est que lorsque le gouvernement syrien a
annoncé une amnistie générale pour tous ceux qui déposeraient leurs
armes, Madame Clinton a interpellé les rebelles en ces termes : « ne rendez pas vos armes ! ».
Toute personne qui voudrait
honnêtement s’enquérir de la vérité ne pourrait nier que des tueurs, et
d’ignobles criminels, sont utilisés pour répandre la terreur dans le
but d’exécuter un projet politique visant l’autorité de l’État, la
partition de la Syrie et par là, l’anéantissement de l’un des bastions
de la résistance au projet sioniste. En cas de doute, souvenons-nous
toujours du projet de l’Organisation Sioniste mondiale : « La
désintégration de la Syrie et de l’Irak en provinces ethniquement ou
religieusement homogènes… est l’une des priorités d’Israël… le premier
pas vers ce but passe par la dissolution de leurs armées ».
Ce but a été atteint en Irak
où l’une des premières décisions de Paul Bremer [administrateur civil
de l’Irak-2003- Ndt] a consisté à dissoudre l’armée irakienne. C’est
aussi ce qui a été prévu pour la Syrie où l’armée est la cible des
attaques des bandes armées. Plus de mille soldats et officiers syriens
ont été tués ; et pendant que des médias occidentaux et arabes
appellent nos soldats à la désertion des officiers ont déclaré dans nos
journaux et sont venus nous dire à la télévision syrienne qu’ils
avaient été kidnappés, filmés et torturés de manière à fournir les faux
témoignages de désertion diffusés par Al-Jazira.
Les méthodes les plus viles sont
utilisées pour faire plier le peuple syrien. Ainsi, dans la banlieue
de Damas, les bandes armées ont imposé la fermeture des boutiques dans
les quartiers de Harasta et de Darayya, sous prétexte de faire
respecter ce qu’ils ont présenté comme une consigne de « grève générale »,
tout en avertissant que celui qui n’obéirait pas serait tué, ou
verrait ses enfants kidnappés et tués ! A Deraa, un homme qui a osé
refuser a été tué et sa femme a été blessée. A Homs, un commerçant m’a
confié qu’après des dizaines d’ordres reçus par téléphone, il a été
obligé de fermer boutique.
Après ce genre de mises en
scène, les « spécialistes en communication », en collusion avec ces
bandes armées, filment les commerces fermés, envoient leurs images à la
chaine qatari Al-Jazira qui s’empresse d’annoncer que le peuple syrien
a répondu à l’appel à la grève générale, ou encore que les villes ont
été vidées de leurs habitants par crainte du régime ! Une autre fois,
trois jeunes frères ont été tués dans le seul but de discréditer le
service de sécurité syrien et l’armée.
Les Syriens sont douloureusement
consternés quand ils entendent ces criminels raconter leurs crimes
comme on raconterait une histoire banale et reconnaitre, sans états
d’âme, avoir touché de l’argent pour abattre un manifestant. Tout cela
pour offrir aux médias occidentaux la confirmation de leur version
falsifiée disant que les services de sécurité tuent des manifestants
pacifiques !
Cette cruauté et cette
sauvagerie est contraire à toutes les traditions syriennes d’amour, de
solidarité, de pardon, et de tolérance de ses concitoyens.
Pour le peuple syrien, ce n’est
donc plus une question d’opposition politique, mais une question
d’existence ! C’est ce qui explique l’ampleur des manifestations
spontanées à Damas au soirde la décision de la Ligue Arabe de suspendre
la Syrie en tant qu’État membre. C’est ce qui explique également les
manifestations spontanées dans toute la Syrie suite à la grande
explosion de Kafarsouseh [1] .
Tenant compte de ces réalités,
celui qui comprend l’Histoire ne peut pas ne pas comprendre que c’est
le peuple syrien qui est en train de sauver son pays. Sa voix est
désormais plus forte que celle des politiciens. Les femmes qu’elles
soient voilées ou non, les jeunes, les vieux, les enfants… tous
expriment avec passion leur refus de l’ingérence sous toutes ses
formes, condamnent le rôle du Qatar, critiquent la Ligue Arabe, sans
épargner Sarkozy, Clinton et Obama.
Aujourd’hui, il est indéniable
qu’il y a un peuple syrien dont la conscience politique est aiguisée.
Un peuple qui sait qu’il affronte des forces expansionnistes
américano-sionistes qui organisent contre lui une guerre diplomatique,
militaire, économique et médiatique. Une guerre dirigée par la France
et à laquelle participent la Turquie et les pays du Golfe menés par le
Qatar. Une guerre dont l’outil militaire est l’organisation d’Al-Qaïda
et l’outil politique, quelques opposants syriens de l’extérieur !
Et ce peuple conteste la
politique économique, la corruption, et les responsables de pays dont
il a été un protectorat. Ce peuple a développé un sens aigu du danger
et a parfaitement compris que l’Occident n’intervient certainement pas
pour l’avènement de la démocratie et l’avancement des réformes, mais
plutôt pour briser la volonté syrienne opposée aux projets occidentaux
et sionistes.
Ce peuple magnifique se dresse
telle une épée dans une bataille décisive. Il ne cesse de réinventer
ses messages en réponse au projet de partition
américano-européo-sioniste qui voudrait mettre à profit sa mosaïque
ethnique et religieuse, pour arriver à le diviser. Division qu’il
refuse ! Ainsi, les kurdes et arabes, réunis en congrès national, ont
rejeté à l’unisson toute intervention étrangère. Les musulmans et les
chrétiens ont prié main dans la main dans les mêmes églises, des
délégations de femmes musulmanes se sont déplacées pour rendre visite
au Patriarche maronite du Liban et se porter garantes de la protection
des chrétiens d’Orient.
Nous n’ignorons pas que toutes
sortes de pressions continueront à s’abattre sur nous pour briser notre
volonté, notre dignité, et notre fierté de Syriens. Les sanctions
économiques et les bandes armées font partie de ces pressions. Bandes
armées qui, pour rendre la vie encore plus pénible à notre peuple,
coupent la route aux camions de fioul ; font exploser les pipelines et
les conduites de gaz qui alimentent les centrales électriques ; brûlent
les établissements publics, les mairies et les postes de police,
attaquent les transports de ravitaillement chargés de sucre et de riz à
destination des différentes régions du pays, font sauter les chemins
de fer…
Du coup, l’électricité est
rationnée et ce sont donc les pauvres et la classe moyenne qui
souffrent le plus de l’inflation qui en résulte. Pour autant, cette
souffrance ne rapproche pas les Syriens patriotes de ces opposants qui
soutiennent le projet occidental expansionniste et appellent à des
sanctions contre la Syrie. Au contraire, leur souffrance renforce leur
sentence : « Un tel comportement est celui d’un traitre responsable du sang versé et de l’atteinte à la sécurité de la patrie ! ».
Est-il difficile de
comprendre que les meurtres, les assassinats de professeurs
d’universités et d’ingénieurs, les rapts d’enfants, les viols, visent
aussi à briser la vie économique, sociale et culturelle ?
De
fait, les crimes des milices armées ont paralysé l’activité culturelle
dont tous les centres se sont vidés, même ceux des villages les plus
reculés. Les galeries d’art et les musées sont désertés, bien qu’en
Syrie le tarif des billets d’entrée aux théâtres et concerts reste
symbolique.
Dans ces conditions, comment
imaginer que des Syriens puissent s’autoriser de telles activités alors
que des cérémonies funèbres pleurent les nombreuses victimes tombées
dans plus d’une région, et que même les églises se sont interdites les
célébrations coutumières de Noël et du Nouvel An ? Comment s’intéresser
à la culture alors que des bandes armées infligent au pays
d’importantes pertes économiques en brûlant ses instituts, en faisant
exploser ses oléoducs et gazoducs, en paralysant son réseau commercial
et social par les barrages de l’horreur sur la route internationale
entre Damas et Alep ? Alep, où un habitant qui a vu son usine
incendiée, deux fois de suite, est mort de chagrin !
C’est ainsi que l’on brise la
vie des citoyens. C’est ainsi que chacun, chez soi, ne parle plus que
des événements tandis que les sujets d’ordre culturel deviennent
inopportuns !
C’est pour toutes ces raisons
que les habitants demandent la protection de l’armée. Mais la Ligue
Arabe persiste à exiger son retrait des villes alors qu’il est évident
que les forces de sécurité intérieure ne disposent pas des moyens
susceptibles de lutter contre les opérations terroristes. L’État syrien
n’avait aucune raison de les armer à outrance puisqu’il est clair que
l’ennemi vient d’Israël, et non pas du peuple syrien.
Il était impératif que l’armée
intervienne. D’ailleurs, une fois qu’elle a dû se retirer, les bandes
armées s’en sont données à cœur joie. La maman du petit Sari Saoud tombé
sous leurs balles à Homs n’a rien dit d’autre en hurlant sa douleur :
« Si l’armée avait été présente, mon fils ne serait pas mort ! ».
C’est donc parce que l’armée s’est retirée que ces gangs peuvent
passer d’une banlieue de Damas à une autre (de Moadamieh à Doumar,
Qudsaya), appuyant furieusement sur leurs gâchettes crachant balles et
roquettes pour obliger les habitants à se calfeutrer chez eux avant
même la tombée de la nuit.
Il faut que le monde sache que ce sont ces criminels que la « communauté internationale » protège et que les médias clientélistes occidentaux et arabes, tels qu’Al-Jazira et Al-Arabia, ont choisi de défendre !
Ces
bandes armées ne sont pas tombées du ciel ! C’est le néo-libéralisme
et l’économie de marché adoptée ces dix dernières années qui les ont
marginalisées. Tout un système parrainé par des corrompus qui ont pillé
le secteur public, couvert la contrebande d’armes vers la Syrie,
exacerbé les ressentiments d’injustice sociale et économique d’une
classe pauvre ; elle-même négligée par une classe politique qui n’a pas
pris les décisions nécessaires pour redresser la situation en misant
sur l’éducation et la culture. Ce faisant, elle a abandonné certains
des ces marginaux aux contrebandiers et aux prêcheurs des mosquées
wahhabites qui les ont intégrés dans leurs groupes armés.
C’est donc sur cette frange de
la population embrigadée par de notoires obscurantistes que se fondent
les espoirs de ceux qui appellent à une intervention étrangère !
Bien avant ces événements sanglants et ce qu’il a été convenu de désigner par « le printemps arabe »,
les ouvriers, paysans, écrivains…, ont discuté de la situation
politique et économique au sein de leurs congrès respectifs et ont
réclamé les réformes nécessaires. À cette époque, nous n’avons pas
entendu les voix de ceux qui exigent aujourd’hui la chute du régime !?
Nous disons donc que c’est nous,
Syriens de l’intérieur, qui avons demandé à changer notre réalité et
que c’est plutôt l’Occident colonialiste, dont le but est de vaincre
notre résistance, qui ne veut pas de nos réformes ! De ce fait, nous
nous devons de défendre notre patrie avant tout le reste ; le peuple
syrien refusant nettement et clairement la tutelle étrangère qu’elle
soit arabe ou occidentale.
Sarkozy et Clinton peuvent répéter à l’envi : « Al-Assad doit démissionner ! », le peuple syrien leur répond : « C’est à nous de choisir notre président, pas à vous ! ».
Telle est la transition
qualitative majeure vécue par le peuple syrien qui, après avoir livré
son sort aux partis politiques avant les événements, envahit toutes les
places publiques, retrouve sa voix et sa langue, exprime sa volonté
et, en bref, s’adresse à l’Occident colonialiste en lui disant : « Dégage ! ».
Ce peuple syrien qui
manifeste ne le fait ni sur ordre de ses autorités, ni sur ordre d’un
quelconque parti politique. Il s’implique dans cette vie politique en
des moments décisifs pour son pays, et contre la partition il brandit
sa cohésion. Une cohésion soutenue passionnément par les femmes. En
effet, qu’elles aient une activité professionnelle ou non, elles sont
désormais nombreuses à s’avancer devant les caméras de télévision pour
exprimer leurs opinions sur la situation.
Contre vents et marées, les
Syriens condamnent le communautarisme sectaire à la base du projet qui
vise à vider le pays de ses chrétiens. Les chrétiens parfaitement
conscients du danger sont montés en première ligne pour prendre la
défense de notre pays. Nous n’avons jamais su distinguer un chrétien
d’un musulman, et il nous est difficile de classer nos amis sur des
bases religieuses ou ethniques, car la Syrie est une terre d’Histoire
et l’héritière de civilisations anciennes dont elle a thésaurisé les
croyances et les confessions.
Ceci explique la réponse
civilisée de son peuple au démantèlement ourdi par le projet de
partition colonialiste. Les religieux musulmans et chrétiens se
réunissent dans les églises et les salons pour prier ensemble. Le
dignitaire musulman commence par la lecture d’un texte de l’Évangile
que le prêtre chrétien termine par la lecture d’un verset du Coran.
Leur dernière union dans la prière s’est déroulée le 9 janvier 2012
dans les salons de l’hôtel Dedeman en présence de journalistes
occidentaux ; alors qu’au même moment était célébrée une messe en
hommage aux âmes des martyrs, en l’Eglise de la Croix de Damas et en
présence du Mufti de la République et des Évêques des églises.
Ceux qui projettent de vider la région de ses chrétiens n’ont pas pu ne pas recevoir ce message éloquent !
Que faire ?
La Syrie qui célèbre les fêtes
musulmanes et chrétiennes, la Syrie qui a envoyé son armée pour protéger
les chrétiens du Liban lors de la guerre civile puis a sacrifié dix
mille de ses soldats pour le protéger de l’invasion israélienne, la
Syrie qui a accueilli un million et demi d’Irakiens suite à l’invasion
de l’Irak est aujourd’hui confrontée à une coalition armée et fait face à
une Europe en perte de valeurs où des personnalités de la stature de
Charles de Gaulle n’existent plus.
Elle endure une guerre à la fois
médiatique, diplomatique et économique, prise entre la contrebande
d’armes sophistiquées et des criminels infiltrés à partir de la Turquie
et du Liban. Mais l’Histoire a enseigné à son peuple la patience devant
l’adversité ; il reste convaincu qu’il remportera la victoire face à
la coalition et au projet occidental et sioniste.
D’où notre conviction que, dans
ce contexte particulier, prendre à cœur la défense du peuple syrien
revient aussi à défendre la dignité, ce qu’il y a de noble en
l’humanité. Et l’intelligence de chacun d’entre nous impunément bafouée
par les médias internationaux.
Il est du devoir des hommes
libres et des sages de ce monde de soutenir ce peuple en dénonçant les
crimes couverts par les politiques et les médias de l’Occident
colonialiste.
Nadia Khost
10 Janvier 2012
Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
10 Janvier 2012
Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
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