Par Raoul Marc Jennar | le 16 février 2012
- TUE : traité sur l’Union européenne, première partie du traité de Lisbonne
- TFUE : traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, deuxième partie du traité de Lisbonne
- Conseil européen : réunion des Chefs d’Etat et de gouvernement
- Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG) :
le traité Merkel-Sarkozy encore appelé Pacte budgétaire adopté par 25
des 27 Chefs d’Etat et de Gouvernement le 30 janvier 2012. Il doit
être signé le 1 ou le 2 mars avant la ratification par les différents Etats signataires.
Le mardi 21 février, à la demande du gouvernement, l’Assemblée nationale examinera en procédure d’urgence deux projets de loi :
a) le projet de loi ratifiant la décision du Conseil européen de modifier l’article 136 du TFUE
b) le projet de loi ratifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES)
Ce qui se prépare dans un silence
scandaleux alors que ces projets devraient être au cœur des débats dans
toute la presse, va au-delà de tout ce qu’on a connu jusqu’ici, au
niveau européen, en matière d’abandon de souveraineté, de recul
démocratique et d’opacité.
Pour s’en rendre compte, il faut savoir ce qu’est le MES et de quelle procédure on use pour le faire adopter.
Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) : un FMI européen
Le texte définitif du traité instituant
le MES a été adopté par les représentants des Etats membres de la zone
euro le 2 février 2012.
Ce MES est destiné à prendre, à partir
de juin 2013, la suite des instruments créés en 2010 pour faire face à
la crise de la dette. Ce MES et le Pacte budgétaire (TSCG) sont
complémentaires : à partir du 1 mars 2013, pour avoir accès aux aides
du MES un Etat devra avoir accepté toutes les dispositions sur
l’austérité budgétaire contenues dans le TSCG.
Le MES, dont le siège est fixé à
Luxembourg, est doté du statut d’une institution financière
internationale bénéficiant des immunités dont jouissent les
institutions internationales. Il n’a donc aucun compte à rendre ni au Parlement européen,
ni aux parlements nationaux, ni aux citoyens des Etats membres et ne
peut en aucun cas faire l’objet de poursuites. Par contre, doté de la
personnalité juridique, le MES pourra ester en justice. Locaux et
archives du MES sont inviolables. Il
est exempté de toute obligation imposée par la législation d’un Etat
Membre. Le MES, ses biens, fonds et avoirs jouissent de l’immunité de
toute forme de procédure judiciaire.
En cas de litige entre le MES et un Etat Membre, c’est la Cour de Justice de l’UE qui est compétente.
Les membres du MES sont les Etats de la
zone euro. L’institution est dirigée par un collège composé des
ministres des finances des Etats membres appelés pour la circonstance
« gouverneurs ». Ces gouverneurs désignent un conseil
d’administration. Un Directeur général est nommé. Le Conseil des
gouverneurs est compétent pour toutes les décisions relatives à
l’intervention du MES. Le Conseil d’administration est compétent pour
la gestion de l’institution. Le secret professionnel est imposé à toute
personne travaillant ou ayant travaillé pour le MES. Toutes les
personnes exerçant une activité au sein du MES bénéficient de
l’inviolabilité de leurs papiers et documents officiels et ne peuvent
faire l’objet de poursuites en raison des actes accomplis dans
l’exercice de leurs fonctions.
Le but du MES est de « mobiliser des ressources financières et de fournir, sous une stricte conditionnalité, »
un soutien à la stabilité d’un de ses Etats membres qui connaît des
graves difficultés financières susceptibles de menacer la stabilité
financière de la zone euro. A cette fin, il est autorisé à lever des
fonds. Son capital est fixé à 700 Milliards d’euros. La contribution de
chaque Etat a été déterminée de la manière suivante :
Membres du MES | Capital souscrit (EUR) |
Allemagne | 190 024 800 000 |
France | 142 701 300 000 |
Italie | 125 395 900 000 |
Espagne | 83 325 900 000 |
Pays-Bas | 40 019 000 000 |
Belgique | 24.339.700.000 |
Grèce | 19 716 900 000 |
Autriche | 19 483 800 000 |
Portugal | 17 564 400 000 |
Finlande | 12 581 800 000 |
Irlande | 11 145 400 000 |
République Slovaque | 5 768 000 000 |
Slovénie | 2 993 200 000 |
Luxembourg | 1 752 800 000 |
Chypre | 1 373 400 000 |
Estonie | 1 302 000 000 |
Malte | 511 700 000 |
Total | 700 000 000 000 |
Les Etats Membres, par ce traité, s’engagent « de manière irrévocable et inconditionnelle » à fournir leur contribution au capital du MES. Ils s’engagent à verser les fonds demandés par le MES dans les 7 jours suivant la réception de la demande.
Le MES peut décider de revoir les contributions de chaque Etat membre. Cette décision s’imposera automatiquement.
Lorsqu’un Etat Membre sollicite une demande de soutien à la stabilité, c’est la Commission européenne en liaison avec la Banque Centrale Européenne (BCE)
qui est chargée d’évaluer le risque pour la stabilité de la zone euro,
d’évaluer, en collaboration avec le FMI, la soutenabilité de
l’endettement public du pays demandeur et d’évaluer les besoins réels de
financement de ce dernier.
Lorsque le MES décide d’octroyer un
soutien à la stabilité, c’est la Commission européenne, en liaison avec
la BCE et le FMI, qui négocie avec l’Etat demandeur les conditions
dont est assorti ce soutien. Cette négociation doit s’inscrire dans le respect du Pacte budgétaire (TSCG). La Commission européenne, en liaison avec la BCE et le FMI, est chargée du respect des conditions imposées.
Le traité entrera en vigueur deux mois
après le dépôt des instruments de ratification par les Etats
signataires dont la souscription représente 90% du total.
On s’en rend compte, les gouvernements
signataires de ce traité ont créé un monstre institutionnel contre
lequel les Etats eux–mêmes et à fortiori les peuples seront désormais
totalement impuissants. Ainsi se poursuit, sous la pression du monde de
la finance et des affaires, le démembrement du siège de la souveraineté populaire, l’Etat, au profit d’institutions échappant à tout contrôle.
Une procédure illégale
La création du MES exige une
modification de l’article 136 du TFUE. Cette modification, qui est
possible si on recourt à la procédure simplifiée pour modifier un
traité européen, a été proposée par la Commission européenne et adoptée
par le Conseil européen le 25 mars 2011. Elle est formulée comme
suit :
« A l’article 136, paragraphe 1, du TFUE, le point suivant est ajouté :
Les Etats membres dont la monnaie
est l’euro peuvent établir un mécanisme de stabilité pouvant, si
nécessaire, être activé dans le but de préserver la stabilité de la
zone euro dans son ensemble. L’octroi de toute aide financière en vertu
du mécanisme sera soumis à de strictes conditionnalités. »
Il est précisé que la base légale de
cette modification de l’article 136 du TFUE, via la procédure
simplifiée, est fournie par l’article 48, paragraphe 6, du TUE.
Or, cet article stipule, en son §6, alinéa 3, qu’une décision prise sous le régime de la procédure simplifiée « ne peut pas accroître les compétences attribuées à l’Union dans les traités. »
Les défenseurs du MES considèrent qu’ils
n’y a pas accroissement des compétences de l’Union puisque,
formellement, le MES ne serait pas une institution de l’Union. C’est
jouer avec les mots, et manipuler dangereusement les textes, car le
traité créant le MES indique clairement que le MES implique la
participation directe de la Commission européenne, et, en cas de
litige, celle de la Cour de Justice de l’UE, deux institutions de
l’Union. En outre, le Commissaire européen en charge des affaires
économiques et monétaires siègera dans l’instance dirigeante du MES en
qualité d’observateur. C’est la Commission européenne qui sera mandatée
pour imposer à l’Etat concerné les conditions d’une intervention du
MES.
Il n’est pas contestable que le MES
diminue les pouvoirs des Etats membres et augmente les compétences
attribuées à l’Union, en particulier les pouvoirs de la Commission
européenne.
Le projet de loi soumis le 21 février à
l’Assemblée nationale pour ratifier la modification à l’article 136 du
TFUE vise donc à permettre une extension des compétences de l’Union
européenne en toute illégalité.
Qu’est-ce qu’un coup d’Etat ? C’est le remplacement d’un pouvoir légitime, issu du peuple, par un pouvoir qui ne l’est pas.
Le transfert, en toute illégalité,
à des autorités européennes et internationales qui ne sont soumises à
aucun contrôle démocratique de pouvoirs qui relèvent pas nature de la
souveraineté populaire s’apparente à un véritable coup d’Etat.
Les gouvernants qui sont à la manoeuvre
manifestent leur plus total mépris du respect des exigences
démocratiques. Par des artifices de procédure, en interprétant
abusivement des règles dont ils se moquent, ils se font les complices
d’une entreprise de démantèlement de la démocratie et d’effacement d’un
acquis fondamental dans l’histoire de l’humanité : la souveraineté du
peuple.
Deux traités démocraticides
Avec le MES et le Pacte budgétaire
(TSCG) , les peuples qui ont déjà été dépossédés des choix en matière
monétaire du fait de la manière dont est géré l’euro (en particulier,
le statut et les missions de la Banque Centrale Européenne), seront
désormais dépossédés de tout pouvoir en matière budgétaire.
Rappelons que la démocratie est née
progressivement du droit réclamé par les peuples de contrôler les
dépenses des gouvernants. La Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen, adoptée le 26 août 1789, en son article XIV, proclame que « Tous
les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs
Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la
consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la
quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
C’est ce droit fondamental qui leur est aujourd’hui enlevé. En violation d’une disposition inscrite dans la Constitution de la République : « Le
peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de
l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont
été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le
préambule de la Constitution de 1946 (…). »
Ceux qui approuveront les deux projets
de loi soumis le 21 février approuveront le TSCG puisqu’ils sont
étroitement liés. Les promesses de renégociation de ce dernier perdent
leur peu de crédibilité si leurs auteurs approuvent le MES.
Ces deux traités MES et TSCG confirment que la construction européenne s’est définitivement éloignée de l’idéal démocratique.
Ces deux traités sont, contrairement à ce qu’affirme Hollande,
étroitement liés. Ils alimentent l’un et l’autre transfert de pouvoir
et perte de souveraineté rendant possible une totale mise sous tutelle
financière et budgétaire des Etats et des peuples.
La France est la première à engager la
procédure de ratification du MES. Des mouvements d’opposition se lèvent
dans plusieurs pays signataires qui interpellent les élus sur leur
attitude future.
En France, à ce jour, seuls Jean-Luc Mélenchon au nom du front de Gauche
et Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière se sont
prononcés clairement contre le MES et ont appelé les parlementaires à ne
pas voter les textes soumis le 21 février.
Si ces deux textes soumis le 21 février
sont adoptés, il est indispensable que soit saisi le Conseil
constitutionnel. Y a-t-il, dans le Parlement du pays qui a donné au
monde les progrès de 1789, 60 députés et sénateurs pour soumettre au
respect de la Constitution des traités qui la violent ?
Raoul Marc Jennar
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