15 mars 2012

Le déclin états-unien en perspective

Première partie

Le Grand Soir. 5 mars 2012 par Chomsky


illustration : Matt Sesow

Les anniversaires importants sont commémorés avec solennité – c’est le cas par exemple pour l’attaque japonaise sur la base états-unienne de Pearl Harbor. D’autres anniversaires sont ignorés, et nous pouvons souvent en tirer des leçons qui nous permettent de savoir ce qui nous attend. Aujourd’hui précisément.

Actuellement nous ne commérons pas le cinquantième anniversaire de la décision prise par le président John F. Kennedy de déclencher l’offensive la plus destructive et la plus meurtrière de l’après-guerre : l’invasion du Vietnam du Sud, puis de toute l’Indochine, qui allait provoquer des millions de morts, la dévastation de quatre pays, avec des séquelles jusqu’à nos jours, dues à l’épandage sur les campagnes des produits chimiques les plus cancérigènes alors connus dans le but de détruire les caches et les aliments.

Le Vietnam du Sud était la cible principale. L’agression s’est plus tard étendue au Nord, puis à la lointaine société paysanne du Laos, puis au Cambodge rural, lequel a été bombardé autant que durant toutes les opérations alliées pendant la Guerre du Pacifique, bombardements de Hiroshima et Nagasaki inclus. Sur ce point les ordres d’Henry Kissinger ont été suivis – « tout ce qui vole et tout ce qui bouge », un appel ouvert au génocide, inhabituel dans l’histoire. On ne se souvient guère de cela. Presque tout cela était ignoré en dehors des petits cercles de militants.

Lorsque l’invasion a commencé il y a cinquante ans, on s’en préoccupait si peu que la justification avait été assez évasive, guère plus que l’affirmation passionnée du président selon laquelle « dans le monde entier nous faisons face à une conspiration unilatérale et impitoyable qui utilise principalement des moyens secrets pour élargir sa sphère d’influence », et si cette conspiration parvenait à ses fins au Laos et au Vietnam « les portes seront grandes ouvertes ».

Il s’alarmait d’ailleurs pour le futur : « les sociétés complaisantes et molles pourraient être emportées avec les débris de l’histoire [et] seules les sociétés fortes pourront survivre » ; il faisait là référence à l’échec de l’agression et du terrorisme états-uniens pour balayer l’indépendance cubaine.

Alors que les protestations commençaient à croître, six ans plus tard, Bernard Fall, historien militaire spécialiste du Vietnam, certainement pas une colombe, prévoyait que « le Vietnam comme entité culturelle et historique... est menacé d’extinction... [quand]... ses campagnes meurent littéralement sous les coups de la plus grande machinerie militaire jamais lancée sur un espace de cette dimension ». Il faisait référence au Vietnam du Sud.

Lorsque la guerre s’est achevée, huit horribles années plus tard, les points de vue dominants se divisaient en deux, ceux qui décrivaient la guerre comme une « noble cause » qui aurait pu être gagnée avec davantage d’insistance, et à l’extrême opposé, les critiques, ceux pour qui il s’agissait d’une « erreur » qui nous avait coûté très cher. En 1977 le président Carter n’a pas suscité de commentaire quand il a indiqué que nous n’avions aucune « dette » envers le Vietnam puisque « la destruction avait été mutuelle. »

Tout cela est porteur de leçons pour aujourd’hui, en dehors du fait que seuls les faibles et les vaincus doivent rendre des comptes pour leurs crimes. La première leçon à retenir c’est que pour comprendre ce qui se passe nous ne devrions pas seulement suivre les événements les plus importants du monde réel, souvent escamotés par l’histoire, mais nous devons aussi prendre en compte ce que les avis des dirigeants et des commentateurs autorisés, mêmes s’ils sont colorés de considérations fantastiques. Une autre leçon c’est qu’en plus des inventions concoctées pour effrayer et mobiliser le public (et peut-être crues par certains de ceux qui sont pris au piège de leur propre rhétorique) il existe aussi une planification stratégique, basée sur des principes rationnels et stables sur de longues périodes, principes qui émanent des objectifs de très solides institutions. Cela se vérifie également dans le cas du Vietnam. J’y reviendrai. Je signale juste ici que les facteurs durables dans les actions de l’État sont généralement bien cachés.

La guerre d’Irak est un cas instructif. Elle a été vendue à un public terrifié avec les arguments habituels de l’autodéfense face à une terrible menace pour notre existence. la « seule question », déclaraient George W. Bush et Tony Blair, était de savoir si Saddam Hussein voulait interrompre son programme de développement d’armes de destruction massive. Lorsque la seule question a reçu la mauvaise réponse, le discours gouvernemental s’est tourné sans effort vers notre « passion pour la démocratie », et les gens éduqués ont docilement suivi le nouveau cours. Tout cela est bien routinier.

Plus tard, lorsque la dimension de l’échec états-unien en Irak devenait difficile à cacher, le gouvernement a doucement concédé ce qui était clair depuis le début. En 2007 et en 2008, le gouvernement a annoncé officiellement que l’accord final devait garantir la permanence de bases militaires états-uniennes et le droit ouvert pour d’éventuelles actions militaires. Cet accord final devait de plus privilégier les investisseurs états-unien dans le riche système énergétique – ces demandes ont été abandonnées par la suite face à la résistance irakienne. Tout cela dans le dos de la population.

Évaluation du déclin états-unien
(suite...)
Avec toutes ces leçons à l’esprit, il est utile de regarder ce qui est mis en valeur dans les principaux périodiques politiques aujourd’hui. Tenons-nous-en à Foreign Affairs, le plus prestigieux des journaux de l’établissement. L’énorme titre en gras sur la couverture du numéro de décembre 2011 était « Is America Over ? » [« Les États-Unis sont-ils finis ? »]

Les auteurs préconisent « un repli » des « missions humanitaires » à l’étranger, qui consomment la richesse du pays. Cela pourrait interrompre le déclin états-unien, lequel est un thème majeur dans le discours des affaires internationales, généralement accompagné par le corollaire selon lequel le pouvoir se déplace vers l’est, vers la Chine et (peut-être) l’Inde.

Les principaux articles concernent le conflit israélo-palestinien. Le premier est signé par deux importants dirigeants et a pour titre « The Problem is Palestinian Rejection » [« Le problème c’est le refus palestinien »] : le conflit ne peut pas être réglé parce que les Palestiniens refusent de reconnaître Israël comme État juif. Les Palestiniens s’en tiennent là aux pratiques diplomatiques habituelles : les États sont reconnus, mais non les secteurs privilégiés en leur sein. Cette exigence n’est rien de plus qu’un nouveau truc pour freiner la menace d’un accord politique qui ruinerait les objectifs expansionnistes d’Israël.

La position opposée, défendue par un professeur états-unien, est titrée « The Problem Is the Occupation » [« Le problème c’est l’occupation »]. Le sous-titre est le suivant : « How the Occupation is Destroying the Nation » [« Comment l’occupation détruit le pays »]. Quel pays ? Israël, bien sûr. Les deux articles sont parus sous le titre général « Israel under Siege » [« Israël assiégé »].

Le numéro de janvier 2012 publie un nouvel appel à bombarder l’Iran, maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Signalant « les dangers de la dissuasion », l’auteur suggère que « les sceptiques sur la question de l’action militaire ne voient pas qu’un Iran disposant de l’arme nucléaire représenterait un vrai danger pour les intérêts états-uniens au Moyen-Orient et ailleurs. Et leurs sombres prévisions concèdent que le remède serait pis que le mal – c’est-à-dire que les conséquences d’une attaque états-unienne contre l’Iran seraient au moins aussi néfastes que dans le cas où l’Iran atteindrait ses objectifs nucléaires. Mais ce présupposé est biaisé. La vérité c’est qu’une attaque militaire visant à détruire le programme nucléaire iranien, géré prudemment, pourrait épargner au monde et à la région une menace bien réelle et garantir sur le long terme la sécurité nationale des États-Unis ».

D’autres évoquent le fait que le coût serait trop élevé, et certains vont jusqu’à signaler qu’une attaque violerait le droit international – les modérés qui lancent régulièrement des menaces de violence violent aussi le droit international et violent la Charte des Nations unies.

Voyons ces inquiétudes.

Le déclin états-unien est réel, mais le sentiment apocalyptique est dû au fait que la classe dominante considère que dès qu’il n’y a plus contrôle total c’est un désastre total. Malgré de pitoyables lamentations, les États-Unis demeurent le pouvoir dominant dans le monde, et de loin, et il n’y a pas de concurrent en vue, et pas seulement sur le plan militaire, domaine dans lequel les États-Unis ont une suprématie totale.

La Chine et l’Inde ont eu des croissances rapides (bien que très inégales), mais elles restent des pays très pauvres, qui conservent d’énormes problèmes internes que l’Occident n’a pas. La Chine est le plus grand centre manufacturier au monde, mais dans une bonne mesure c’est une usine d’assemblage pour les puissances industrielles d’Asie et pour les multinationales occidentales. Cela pourrait certes changer à long terme. La manufacture offre généralement les bases d’une future innovation, souvent des avancées, comme cela se produit déjà parfois en Chine. Un exemple qui a impressionné les spécialistes occidentaux c’est le prise de contrôle par la Chine du marché des panneaux solaires, non en raison de la main-d’œuvre à bon marché, mais grâce à la planification et, de plus en plus, à l’innovation.

Mais la Chine doit faire face à de sérieux problèmes. La principale revue scientifique états-unienne Science évoque le problème démographique. L’étude montre que la mortalité a fortement baissé durant la période maoïste, « principalement comme conséquence du développement économique et des progrès dans l’éducation et dans les services de santé, notamment l’effort dans l’hygiène publique qui a fortement fait baisser la mortalité due aux maladies infectieuses ». Ce progrès s’est achevé quand ont commencé les réformes capitalistes il y a trente ans, et le taux de mortalité a depuis lors augmenté.

Par ailleurs la croissance économique récente de la Chine était fortement basée sur le « bonus démographique », une très grande proportion de la population en âge de travailler. « Mais la fin du cycle de ce bonus devrait s’achever bientôt », avec « un impact profond sur le développement » : « L’excédent de main-d’œuvre à bon marché, l’un des principaux facteurs du miracle économique chinois, n’existera plus ».

La démographie n’est que l’un des nombreux graves problèmes de la Chine. Pour l’Inde les problèmes sont encore plus importants.

Certaines voix importantes ne prévoient pas de déclin états-unien. Le Financial Times de Londres, le plus sérieux des médias internationaux, a récemment consacré une page entière aux perspectives optimistes pour l’extraction de gaz fossile aux États-Unis. Ce gaz extrait avec les nouvelles technologies pourrait rendre les États-Unis indépendants en termes énergétiques et donc leur permettre de maintenir leur hégémonie globale pour un siècle. On ne nous dit rien quant au monde que les États-Unis domineraient, pas en raison du manque de preuves.

À peu près au même moment, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) signalait que, en raison de l’augmentation accélérée des émissions de carbone provenant du gaz fossile, la limite de sécurité serait atteinte vers 2017 si le monde continue au même rythme. « La porte se referme », déclare le responsable économie de l’AIE, et sans tarder « la fenêtre sera fermée pour toujours ».

Peu auparavant le département énergie des États-Unis rapportait que les chiffres les plus récents des émissions de dioxine de carbone « avec de nouveaux records » parviennent à un niveau encore plus élevé que le pire des scénarios envisagés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Pour beaucoup de scientifiques cela n’est pas une surprise, c’est par exemple le cas du programme d’étude sur le changement climatique du Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui pendant des années a affirmé que les pronostics du GIEC était trop conservateurs.

Ces critiques des prévisions du GIEC n’ont pas du tout attiré l’attention du public, contrairement aux quelques négateurs qui sont soutenus par les grandes entreprises, au moyen de grandes campagnes de propagande qui ont amené les citoyens des États-Unis à une position singulière dans le monde de dénégation des menaces existantes. Le business se traduit directement dans le pouvoir politique. Le négationnisme fait partie du catéchisme qui doit être récité par les candidats républicains dans le théâtre de la campagne électorale actuellement en cours ; et au Congrès ils sont assez puissants pour faire avorter toute tentative de lancer des investigations quant au réchauffement global, pour ne pas parler de la moindre tentative de prendre quelque mesure que ce soit sur ce point.

Bref, le déclin états-unien peut peut-être être enrayé si nous abandonnons l’espoir d’une survie décente – des perspectives hélas bien réelles, vues le rapport de force dans le monde.

« La perte » de la Chine et du Vietnam

Si on met de côté ces faits regrettables, un regard plus précis sur le déclin états-unien montre que la Chine joue en effet un rôle important, et c’est le cas depuis soixante ans. Le déclin qui aujourd’hui provoque tant d’inquiétude n’est pas un phénomène récent. Il remonte à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les États-Unis possédaient la moitié de la richesse mondiale, disposaient d’une sécurité incomparable à l’échelle mondiale. Les planificateurs étaient bien entendu au courant de l’énorme disparité de pouvoir et ont tout fait pour que cet état de fait perdure.

La considération de base a été énoncée avec une franchise admirable dans un important state paper [document officiel d’État] de 1948 (PPS 23). L’auteur était l’un des architectes du « nouvel ordre mondial » de cette époque, le chef de l’équipe des planificateurs du département d’État, universitaire et homme d’État respecté, George Kennan, une colombe modérée parmi les planificateurs. Il observait que l’objectif principal de la politique était de maintenir la « position de disparité » qui séparait notre énorme richesse de la pauvreté des autres. Pour parvenir à ce but, signalait-il, « nous devrions cesser de parler d’objectifs vagues et irréels, comme les droits humains, l’élévation du niveau de vie et la démocratisation » et nous devrions nous en tenir « à de simples considérations de puissance » non « encombrées de slogans idéalistes » évoquant « l’altruisme et le bien-être du monde ».
Kennan faisait spécifiquement référence à l’Asie, mais l’observation est de portée générale, avec certes quelques exceptions, pour les participants au système global dirigé par les États-Unis. Il était bien clair que les « slogans idéalistes » devaient être mobilisés pour parler des autres, la classe intellectuelle devaient là les promouvoir.

Les plans que Kennan a contribué à formuler et à mettre en œuvre considérait évident que les États-Unis contrôlaient l’hémisphère occidental, l’Extrême-Orient, l’ancien empire britannique (incluant les incomparables ressources énergétiques du Moyen-Orient), la plus grande partie possible de l’Eurasie, particulièrement ses pôles commerciaux et industriels. Ce n’était pas des objectifs irréalistes, vu le rapport de force. Mais le déclin commençait déjà.

En 1949 la Chine a déclaré son indépendance, un événement connu dans le discours occidental comme « la perte de la Chine » – aux États-Unis il y a eu d’amères récriminations et des querelles à propos des responsabilités quant à cette perte. La terminologie est révélatrice. On ne peut perdre que ce que l’on possède. Le présupposé tacite était que les États-Unis possédaient la Chine, de droit, comme la plupart des autres pays du monde, tout à fait comme les planificateurs de l’après-guerre l’avaient considéré.

La « perte de la Chine » fut le premier pas vers le « déclin des États-Unis ». Il y a eu des conséquences politiques majeures. L’une d’entre elles ce fut la décision de soutenir l’effort de la France pour reconquérir son ancienne colonie indochinoise, de façon à ce qu’elle ne soit pas, elle aussi, « perdue ».

L’Indochine elle-même n’était pas très importante, malgré les affirmations d’Eisenhower, ou d’autres, qui parlaient de ses riches ressources. La véritable raison c’était la « théorie des dominos », dont on se moque souvent lorsque les dominos ne tombent pas, mais qui reste un principe politique de base parce qu’il est assez rationnel. Pour adopter la version d’Henry Kissinger, une région qui tombe hors de tout contrôle peut devenir un « virus » qui va « semer la contagion », incluant de nouveaux éléments qui suivraient le même chemin.

Dans le cas du Vietnam, l’inquiétude était que le virus du développement indépendant n’infecte l’Indonésie, qui elle détient effectivement de riches ressources. Et cela pourrait conduire le Japon – le superdomino comme l’appelait l’historien de l’Asie John Dower – à s’accommoder d’une Asie indépendante dans la mesure où il serait son centre technologique et industriel dans un système qui échapperait au contrôle états-unien. Cela signifierait effectivement que les États-Unis auraient perdu la Guerre du Pacifique, laquelle avait précisément pour but d’établir un nouvel ordre en Asie.

La façon de gérer un tel problème est claire : détruire le virus et « inoculer » ceux qui pourraient être infectés. Dans le cas du Vietnam, le choix rationnel était de détruire tout espoir de développement indépendant réussi et d’imposer des dictatures brutales dans les régions voisines. Ces objectifs ont bien été atteints – bien que, l’histoire jouant parfois des tours, quelque chose de similaire à ce qui était redouté s’est depuis lors développé en Asie orientale, à la consternation des États-Unis.

La plus importante victoire des guerre d’Indochine s’est produite en 1965 avec un coup d’État soutenu par les États-Unis, conduit par le général Suharto, provoquant des crimes en masse comparés par la CIA à ceux d’Hitler, de Staline et de Mao. Le « stupéfiant massacre », comme le New York Times l’a décrit, avait été rapporté avec transparence par les médias dominants, avec une euphorie non dissimulée.

Il s’agissait d’« un rayon de lumière en Asie », comme écrivait dans le New York Times le fameux commentateur libéral James Reston. Le coup avait mis fin à la menace démocratique en détruisant le parti politique des masses pauvres ; s’était alors installée une des pires dictatures du monde en termes de droits humains qui a livré les richesses du pays aux investisseurs occidentaux. Après bien d’autres horreurs, comme l’invasion quasi génocidaire du Timor oriental, on n’attacha guère d’importance au fait que Suharto fût accueilli par le gouvernement Clinton en 1995 comme « un gars qu’on aime bien ».

Des années après les grands événements de 1965, McGeorge Bundy, conseiller de Kennedy et de Johnson, considérait qu’il aurait été judicieux d’arrêter la guerre du Vietnam à ce moment-là, le « virus » étant quasiment détruit et le premier domino solidement tenu, renforcé par des dictatures soutenues par les États-Unis dans toute la région.

Des procédures équivalentes ont été appliquées de façon routinière ailleurs. Kissinger a fait spécifiquement référence à la menace représentée par la démocratie socialiste du Chili. Cette menace a été éliminée à une date également tombée dans l’oubli, que les Latino-Américains appellent « le premier 11 septembre », lequel dépasse de loin, en termes de violence et de destruction, le 11 septembre commémoré en Occident. Une terrible dictature a été imposée au Chili, comme partie de la vague répressive qui a touché toute l’Amérique latine et qui est arrivée en Amérique centrale sous Reagan. Des virus ont provoqué beaucoup de préoccupation ailleurs, comme au Moyen-Orient, où la menace du nationalisme laïc inquiétait les planificateurs britanniques et états-uniens, ce qui les avaient conduits à soutenir le fondamentalisme islamique pour y faire face.


La concentration de la richesse et le déclin états-unien

Malgré de telles victoires, le déclin états-unien s’est poursuivi. Vers 1970, la part des États-Unis dans la richesse mondiale était descendue à 25%, à peu près le même pourcentage qu’à l’heure actuelle, encore énorme mais bien plus faible que le chiffre de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Le monde industrialisé était alors tripolaire : L’Amérique du Nord, avec le pilier états-unien, l’Europe avec le pilier allemand, et l’Asie orientale, déjà la région la plus dynamique industriellement, alors organisée autour du Japon, alors qu’aujourd’hui elle inclut les anciennes colonies japonaises, Taïwan, la Corée du Sud et, dernière venue, la Chine.

À peu près à cette époque, le déclin états-unien est entré dans une nouvelle phase : le déclin délibéré auto-infligé. À partir des années 1970 il y a eu un changement significatif dans l’économie états-unienne, lorsque les planificateurs, au service de l’État ou du privé, ont choisi l’option de la financiarisation et de la production délocalisée. Ces décisions ont donné naissance à un cercle vicieux dans lequel la richesse était hautement concentrée (spécialement parmi les 0,1% les plus riches de la population), facilitant la concentration du pouvoir, et choisissant la législation permettant de mener le cycle à son terme : les politiques fiscales, la dérégulation, les changements dans les règles de fonctionnement des grandes entreprises, le tout offrant des gains énormes aux dirigeants.

Cependant pour la majorité les revenus réels ont globalement stagné, et les gens ne s’en sortaient qu’en travaillant davantage (bien plus qu’en Europe), une dette insoutenable, et des bulles financières à répétition depuis les années Reagan, créant ainsi une richesse de papier qui a inévitablement disparu dès que la bulle a éclaté (et les responsables ont été dédommagés par le contribuable). En même temps, le système politique a été encore plus défiguré parce que les deux partis sont encore plus soumis aux grandes entreprises en raison du coût toujours plus élevé des élections – pour les républicains ça atteint un niveau comique, les démocrates (aujourd’hui il s’agit des anciens « républicains modérés ») à peine un peu différents.

Une étude récente publiée par l’Economic Policy Institute, qui a été la principale référence sur ces questions pendant des années, a été titrée « Failure by Design » (« Le Projet de l’échec » ou « Échec délibéré » ou « La Conception d’un échec »). L’expression « by design » est bien choisie. D’autres choix étaient certainement possibles. Et comme l’étude le signale l’« échec » a une dimension de classe. Il n’y a pas d’échec pour les concepteurs. Loin s’en faut. Ces politiques sont plutôt un échec pour la grande majorité – les 99% de l’imagerie du mouvement Occupy – et pour le pays, qui a poursuivi son déclin et qui poursuivra son déclin avec de telles politiques.

L’un des facteurs c’est la délocalisation de la production. Comme l’exemple du panneau solaire dont je parle plus haut l’illustre la capacité de production offre la base et la stimulation pour l’innovation et cela conduit à des niveaux supérieurs de sophistication dans la production, dans la conception, dans l’invention. Cela aussi est délocalisé, ce qui n’est pas un problème pour les mandarins de la finance qui de plus en plus prennent les décisions politiques, mais un problème sérieux pour les travailleurs et pour les classes moyennes, et un vrai désastre pour les plus opprimés, la communauté noire des États-Unis, qui n’a jamais échappé à l’héritage de l’esclavage et de ses terribles lendemains, et dont les maigres revenus ont quasiment disparu après l’éclatement de la bulle spéculative sur l’immobilier en 2008, initiant la dernière des crises financières, la pire, jusqu’à maintenant.
Le déclin états-unien en perspective – 2ème partie Pendant les années du déclin délibéré et auto-infligé chez nous, les « pertes » ont continué ailleurs. Ces dix dernières années, pour la première fois en 500 ans, l’Amérique du Sud a commencé à se libérer de la domination occidentale, une autre perte significative. La région a initié son intégration et a commencé à régler quelques uns des terribles problèmes de ces sociétés dirigées par des élites européanisées, de minuscules îlots de richesse extrême dans une mer de misère. Ils se sont aussi libérés de toutes les bases états-uniennes et du contrôle du FMI. Une nouvelle organisation, la Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC), réunit tous les pays de l’hémisphère, exceptés les États-Unis et le Canada. Si la CELAC arrive à s’imposer, ce sera un nouveau signe du déclin états-unien, cette fois dans la région qui a toujours été considérée comme l’« arrière-cour ».

La perte des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord serait un signe encore plus inquiétant, ils ont toujours été considérés par les planificateurs comme « une extraordinaire source de pouvoir stratégique, et l’une des plus grandes réserves de richesses matérielles de l’histoire de l’humanité ». Le contrôle des ressources énergétiques de ces pays implique « un substantiel contrôle du monde », selon les termes du conseiller de Roosevelt Adolf A. Berle.

Au demeurant si se réalisaient les prévisions d’un siècle d’indépendance énergétique pour les États-Unis grâce aux ressources énergétiques d’Amérique du Nord, le contrôle du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord serait moins important, mais c’est relatif : l’objectif principal a toujours été le contrôle et non l’accès direct. Cependant les conséquences probables pour l’équilibre de la planète sont si désastreuses que tout débat relève de l’exercice académique.

Le Printemps arabe, autre événement historiquement important, peut représenter au moins une « perte » partielle dans la région. Les États-Unis et leurs alliés ont tout fait pour empêcher que cela ne se produise – jusque là avec une réussite remarquable. Leur réaction vis-à-vis des soulèvements populaires était conforme au scénario habituel : soutenir les forces les plus favorables à l’influence et au contrôle états-unien.

Les dictateurs préférés sont soutenus tant qu’ils peuvent maintenir le contrôle (comme dans les grands pays pétroliers). Lorsque cela n’est plus possible, écartez-les et essayez de restaurer l’ancien régime autant que possible (comme en Tunisie et en Égypte). Le schéma général est familier : Somoza, Marcos, Duvalier, Mobutu, Suharto, et tant d’autres. Dans un cas, la Libye, les trois pouvoirs impériaux traditionnels sont intervenus par la force pour participer à une rébellion pour renverser un dictateur imprévisible et insoumis. Ils espèrent ainsi obtenir un contrôle plus direct des richesses de la Libye (prioritairement le pétrole, mais aussi l’eau, très importante pour les grandes entreprises françaises), envisager l’installation d’une base pour l’Africa Command de l’armée états-unienne (aujourd’hui contraint d’agir depuis l’Allemagne) et contrecarrer la croissante pénétration chinoise. Ainsi vont les choses, guère de surprises.

Ce qui est décisif c’est de réduire la menace d’une démocratie fonctionnelle, qui verrait l’opinion publique peser de façon significative sur la politique. Cela encore une fois relève de la routine, et c’est bien compréhensible. Si on regarde les études de l’opinion publique faites par des instituts de sondages états-uniens dans les pays arabes on comprend pourquoi l’Occident redoute une démocratie authentique, dans laquelle l’opinion pèserait de façon significative sur la politique.

Israël et le parti républicain

Des considérations similaires mènent directement à la deuxième grande inquiétude abordée par le numéro de Foreign Affairs que je cite dans la première partie de cet essai : le conflit israélo-palestinien. La peur de la démocratie pourrait difficilement être plus visible que dans ce cas. En janvier 2006, une élection a eu lieu en Palestine, considérée honnête et équilibrée par les observateurs internationaux. La réaction instantanée des États-Unis (et d’Israël bien sûr), et l’Europe suivant poliment, a été de punir sévèrement les Palestiniens parce qu’ils avaient voté de la mauvaise façon.

Ce n’est pas nouveau. C’est assez conforme au principe général et habituel, admis par la recherche universitaire : les États-Unis soutiennent la démocratie si, et seulement si, les résultats sont en accord avec leurs objectifs stratégiques et économiques, la triste conclusion du néo-reaganien Thomas Carothers, l’universtaire le plus respecté et le plus prudent, spécialisé dans l’analyse des initiatives de « promotion de la démocratie ».

De façon plus générale, sur la question israélo-palestinienne les États-Unis se trouvent depuis 35 ans à la tête du camp du refus, faisant obstacle au dégagement d’un consensus international qui permettrait un accord politique sur des bases trop bien connues pour qu’on les rappelle. L’antienne occidentale c’est qu’Israël veut des négociations sans condition, alors que les Palestiniens refusent. C’est plutôt le contraire qui est vrai. Les États-Unis et Israël demandent des conditions très strictes, qui sont en plus destinées à garantir que les négociations conduiront soit à la capitulation des Palestiniens sur les questions clés soit nulle part.

La première précondition c’est que les négociations soient supervisées par Washington, ce qui a autant de sens que de demander que l’Iran supervise la négociation pour le conflit entre les sunnites et les chiites en Irak. Des négociations sérieuses devraient se dérouler sous les auspices d’un parti neutre, de préférence disposant d’un certain respect international, le Brésil peut-être. Les négociateurs devraient chercher à régler les conflits entre les deux antagonistes : les États-Unis et Israël d’un côté, le reste du monde ou presque de l’autre côté.

La deuxième précondition c’est qu’Israël doit être libre d’étendre ses colonies en Cisjordanie. En théorie les États-Unis s’opposent à ces actions, mais ils le font avec une légère tape sur l’épaule, tout en continuant de fournir un soutien économique, diplomatique et militaire. Lorsque les États-Unis ont quelques objections limitées, ils peuvent très facilement faire prévaloir leur point de vue, comme dans le cas du projet E1 qui relie le Grand Jérusalem à la ville de Ma’aleh Adumim, divisant littéralement la Cisjordanie, une grande priorité, consensuelle parmi les planificateurs israéliens, mais qui provoque quelques objections à Washington. Donc Israël a dû recourir à des moyens obscurs pour faire avancer partiellement le projet.

La prétendue opposition états-unienne s’est transformée en véritable farce en février passé lorsque Obama a opposé son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui demandait que soit défendu ce qui correspond pourtant à la position officielle des États-Unis (ajoutant en plus que les colonies sont illégales, en dehors de toute expansion, observation indiscutable). Depuis lors on a peu parlé de mettre un terme à l’expansion des colonies, laquelle se poursuit donc, avec des provocations bien calculées.

Ainsi, alors que les représentants palestiniens et israéliens se préparaient à se rencontrer en Jordanie en janvier 2011, Israël a annoncé de nouvelles constructions à Pisgat Ze’ev et à Har Homa, des parties de la Cisjordanie qui ont été déclarées comme appartenant à l’immense région de Jérusalem, annexée, colonisée, et construite en tant que capitale d’Israël, tout cela en violation d’ordres directs du Conseil de sécurité. D’autres constructions font avancer le plan visant à séparer d’une part le centre politique, culturel et commercial des Palestiniens dans l’ancienne Jérusalem et d’autre part la partie de la Cisjordanie qui sera laissée à l’administration palestinienne.

Il est compréhensible que les droits des Palestiniens soient marginalisés dans le discours et dans la politique des États-Unis. Les Palestiniens n’ont ni pouvoir ni richesse. Ils n’offrent quasiment rien d’intéressant pour les plans des États-Unis ; en fait ils ont une valeur négative, ils représentent une nuisance qui fait bouger « la rue arabe ».

Israël par contre est un allié de valeur. C’est une société riche avec une industrie high-tech sophistiquée et largement militarisée. Pendant des décennies Israël a été un important allié militaire et stratégique, particulièrement depuis 1967, quand ce pays a rendu un grand service aux États-Unis et à leur allié saoudien en détruisant le « virus » nassérien, établissant une « relation spéciale » avec Washington sur des bases qui ont duré jusqu’à nos jours. Israël est aussi devenu un haut lieu de l’investissement états-unien dans l’industrie de pointe. En fait les industries de pointe dans les deux pays sont complètement entremêlées, notamment dans les industries militaires.

En dehors de ces considération élémentaires sur ces grands pouvoirs politiques, il existe des facteurs culturels qui ne devraient pas être ignorés. Le sionisme chrétien en Grande-Bretagne et aux États-Unis a précédé de loin le sionisme juif, et c’était un phénomène assez important dans les élites, qui a eu de claires implications politiques (comme la Déclaration Balfour, qui en est le résultat). Lorsque le général Allenby a conquis Jérusalem lors de la Première Guerre mondiale, il a été salué dans la presse états-unienne comme un Richard Cœur de Lion qui avait enfin remporté sa croisade et chassé les païens de la Terre sainte.

L’étape suivante a été pour le Peuple élu de retourner à la Terre qui lui a été promise par le Seigneur. Exprimant un point de vue assez commun dans l’élite, le secrétaire à l’intérieur du Président Franklin Roosevelt Harold Ickes décrivait la colonisation juive de la Palestine comme une réussite « sans comparaison dans l’histoire de l’humanité ». Ces points de vue sont facilement compréhensibles dans le cadre des doctrines providentialistes qui ont marqué la culture populaire et la culture de l’élite depuis les origines du pays : la croyance selon laquelle Dieu a un projet pour le monde et ce sont les États-Unis qui en conduisent la réalisation, sous orientation divine, cela a été exprimé par de nombreux dirigeants.

De plus, le christianisme évangéliste est une grande force populaire aux États-Unis. À l’extrême le christianisme évangéliste de la fin des temps est également très populaire, revivifié par l’établissement d’Israël en 1948, revivifié encore davantage lors de la conquête du reste de la Palestine en 1967 – autant de signes que la fin des temps et la seconde venue de Jésus Christ sont proches.

Ces forces ont pris une importance significative depuis les années Reagan, lorsque les républicains ont cessé de prétendre être un parti politique au sens traditionnel, se murant dans une inflexible uniformité pour se consacrer à la défense des super-riches et des grandes entreprises. Cependant cette petite partie de la société qui est si choyée par le parti reconstruit ne peut pas fournir de suffrages, il faut donc s’adresser ailleurs.

Le seul choix est de mobiliser des tendances qui ont toujours été présentes, bien que rarement comme force politique organisée : d’abord les nativistes qui tremblent de peur et de haine, et les éléments religieux, qui sont des extrémistes selon les critères internationaux, mais non aux États-Unis. L’un des résultats c’est la croyance aveugle aux supposées prophéties bibliques, et donc non seulement le soutien à Israël, à ses conquêtes et à son expansion, mais un amour passionné pour Israël, un autre point important du catéchisme qui doit être récité par les candidats républicains – et les démocrates ne sont pas si différents.

Cela mis à part, on ne devrait pas oublier que l’ « Anglosphère » – la Grande-Bretagne et ses colonies – est constituée de sociétés de peuplement colonial, qui se sont élevées sur les cendres de populations indigènes, vaincues ou presque exterminées. Les pratiques du passé devaient être correctes, dans le cas des États-Unis il s’agissait d’un ordre de la divine Providence. Logiquement il y a donc souvent une sympathie intuitive pour les enfants d’Israël lorsqu’ils suivent une voie similaire. Mais ce sont les intérêts géostratégiques et économiques qui prévalent, et la politique n’est pas gravée dans le marbre.

La « menace » iranienne et la question nucléaire

Tournons-nous finalement vers le troisième sujet abordé par les périodiques cités plus haut, la « menace iranienne ». Parmi les élites et dans la classe politique on considère généralement que c’est la principale menace pour l’ordre mondial – mais ce n’est pas ce que pense le reste de la population. En Europe, les sondages montrent qu’Israël est considérée comme la principale menace pour la paix. Dans les pays arabes, ce statut est partagée avec les États-Unis, à tel point qu’en Égypte, à la veille du soulèvement de la place Tahrir, 80% de la population pensaient que la région serait plus sûre si l’Iran avait des armes nucléaires. Le même sondage indiquait que 10% à peine de la population considéraient l’Iran comme une menace – à la différence des dictateurs au pouvoir qui ont des préoccupations bien à eux.

Aux États-Unis avant la massive campagne de propagande de ces dernières années la majorité de la population était d’accord avec le reste du monde pour dire que, en tant que signataire du Traité de non-prolifération nucléaire, l’Iran a le droit d’enrichir de l’uranium. Et y compris encore aujourd’hui une grande majorité est favorable à l’emploi de moyens pacifiques dans la relation avec l’Iran. Il existe même une forte opposition à l’implication des États-Unis au cas ou l’Iran et Israël entreraient en guerre. Un quart seulement de la population considère que l’Iran est un sujet d’inquiétude pour les États-Unis. Mais il n’est pas rare qu’il existe une différence, souvent un abîme, entre l’opinion publique et les décisions politiques.

Pourquoi l’Iran est-il considéré comme une si terrible menace ? La question est rarement discutée, mais il est facile de trouver une réponse sérieuse – mais pas dans les déclarations exaltées, comme toujours. La réponse qui ferait le plus autorité est donnée par le pentagone et par les services d’intelligence dans leurs réguliers rapports au Congrès sur le thème de la sécurité mondiale. Ils disent que l’Iran ne représente pas une menace militaire. Ses dépenses militaires sont très faibles si on les compare à celles des pays de la région, et bien sûr minuscules comparées à celles des États-Unis.

L’Iran n’a guère la capacité de déployer ses forces. Ses doctrines stratégiques sont défensives, conçues pour contenir une invasion assez longtemps pour que la diplomatie entre en action. Si l’Iran devient capable de fabriquer des armes nucléaires, disent-ils, cela ferait partie de sa stratégie défensive. Aucun analyste sérieux ne croit que les membres du clergé au pouvoir en Iran souhaitent voir leur pays et leurs biens anéantis, la conséquence immédiate s’il s’avisait d’initier une guerre nucléaire. Et il n’est pas nécessaire d’énoncer les raisons pour lesquelles tout gouvernement iranien devrait avoir une politique de dissuasion, dans les circonstances actuelles.

Le régime représente sans aucun doute une grave menace pour une bonne partie de sa propre population – et ce n’est hélas pas le seul dans ce cas. Mais la principale menace pour les États-Unis et pour Israël c’est que l’Iran pourrait freiner leur libre usage de la violence. Une autre menace est représentée par le fait que les Iraniens cherchent à étendre leur influence dans les pays voisins, l’Irak et l’Afghanistan, voire au-delà. Ces actes « illégitimes » sont appelés « déstabilisation » (ou pis). Par contre l’imposition par la force de l’influence états-unienne sur la moitié du monde contribue à la « stabilité » et à l’ordre, selon les traditionnelles doctrines sur la question de savoir à qui le monde appartient.

Il est logique d’essayer d’empêcher l’Iran de rejoindre les États nucléaires, dont les trois qui ont refusé de signer le Traité de non-prolifération nucléaire – Israël, l’Inde et le Pakistan, tous les trois ont bénéficié de l’assistance états-unienne pour développer les armes nucléaires, assistance qui dure jusqu’à aujourd’hui. Il n’est pas impossible d’atteindre cet objectif par des moyens pacifiques. Une approche qui jouit d’un soutien international très majoritaire, c’est de prendre des initiatives qui transformeraient peu à peu le Moyen-Orient en zone libre d’armes nucléaires, ce qui inclurait l’Iran et Israël (et s’appliquerait également aux forces états-uniennes déployées dans la région), et ce qui pourrait s’étendre à l’Asie du sud.

Le soutien pour de telles initiatives est si fort que le gouvernement Obama a été contraint de donner son accord formel, mais avec des réserves. La plus importante c’est que le programme nucléaire iranien ne soit pas placé sous les auspices de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ; de plus aucun État (c’est-à-dire les État-Unis) ne devrait être sollicité pour offrir des informations au sujet des « installations nucléaires israéliennes et de leurs activités, incluant les informations relevant de transferts antérieurs vers Israël ». Obama accepte aussi la position israélienne selon laquelle toute proposition sur ce point doit être conditionnée à un accord de paix global, que les État-Unis et Israël peuvent retarder indéfiniment.

Ce sondage est loin d’être exhaustif, inutile de dire. Il y a de nombreux points qui ne sont même pas abordés, comme les changements dans la région Asie-Pacifique. À l’énorme dispositif militaire états-unien seront ajoutées de nouvelles bases, notamment dans l’île coréenne de Jeju et dans le nord-ouest de l’Australie, il s’agit de la politique d’« endiguement de la Chine ». Il y a aussi la question de la base états-unienne d’Okinawa. La population de l’île s’oppose depuis des années à la présence de la base et cela provoque régulièrement des crises dans les relations États-Unis-Japon-Okinawa.

Montrant à quel point les options fondamentales sont restées inchangées, les analystes stratégiques états-uniens décrivent le résultat du programme militaire de la Chine comme « un classique ’dilemme sécuritaire’, lorsque les stratégies nationales et les programmes militaires, considérés défensifs par leurs concepteurs, sont perçus comme menaçants par d’autres », écrit Paul Godwin du Foreign Policy Research Institute. Le dilemme sécuritaire se pose sur la question du contrôle des mers qui bordent la Chine. Les États-Unis considèrent leur programme de contrôle de ces eaux comme « défensif », alors que la Chine le juge menaçant ; ainsi la Chine considère ses actions dans les régions voisines comme « défensives » alors que les États-Unis les considèrent menaçantes. Un tel débat n’est même pas imaginable à propos des eaux qui bordent les États-Unis. Ce « classique dilemme sécuritaire » est logique, une fois encore, si on part du principe que les États-Unis ont le droit de contrôler presque le monde entier et si on considère que la sécurité des États-Unis requiert un contrôle quasi-absolu.

Alors que les principes de la domination impériale n’ont guère changé, la capacité à les mettre en application à nettement baissé ; le pouvoir a été distribué plus largement dans un monde qui se diversifie. Il y a de nombreuses conséquences. Il est cependant très important d’avoir présent à l’esprit que – malheureusement – aucune n’élimine les deux nuages noirs qui couvrent toutes les considérations à propos de l’ordre mondial : la guerre nucléaire et la catastrophe environnementale, les deux menaçant littéralement la survie de l’espèce.

Ces deux terribles menaces sont bien présentes et elles s’aggravent.

Noam Chomsky

Le mercredi 15 février 2012

Titre original : American decline in perspective, part 2

http://www.zcommunications.org/american-decline-in-perspecti...

Traduction : Numancia Martinez Poggi

2ème PARTIE : http://www.legrandsoir.info/le-declin-etats-unien-en-perspec...

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